Chapitre 4 - Les Appelées

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— Toutes les suites donnent sur le grand salon, et c'est là que nous nous retrouvons toutes pour échanger les potins et astuces, chaque soir avant le dîner.

Le ton est badin, et le regard luisant qu'elle nous jette en insistant sur l'horaire laisse présager que toute absence sera sévèrement réprimée, mais qu'il s'agit bien là d'un temps fort de la vie au gynécée, et je m'interroge sur les secrets d'alcôve, les mystères des puissants que nous allons découvrir. Je me représente très bien, tout à coup, l'enthousiasme de Cassandra et Circe, qui auraient adoré pouvoir se mêler à nous pendant cette causerie dans la soie !

Je leur raconterai tout dans mes lettres.

La pièce est assez vaste, et, pour le moment, elle est déserte. On entend en revanche un bourdonnement diffus de bruits de conversations étouffées et d'objets entrechoqués — sans doute les quarante-quatre autres suites où une activité de ruche doit régner depuis plusieurs jours que certaines Appelées sont arrivées à Altis.

Par le jeu de l'architecture pyramidale de la Montagne Décapitée, des fenêtres hautes, accessibles par des escaliers donnant sur la pièce, permettent en journée à la lumière du soleil de pénétrer et, cerise sur le gâteau, semblent mener à des balcons surplombant les suites, ou bien à une large terrasse unique. J'imagine que la vue doit y être saisissante, et je sais déjà que j'aimerai sans doute m'y promener pour échapper un peu à la pesanteur de la roche omniprésente.

— Les balcons ne sont autorisés qu'en journée, et vous n'avez pas le droit de vous y rendre seule.

— Pourquoi ?

La question m'échappe sans que j'aie le temps de la retenir, prise en défaut par la déception soudaine de me voir limiter un plaisir que je me faisais déjà une joie d'expérimenter, et la matrone, qui a les yeux rivés sur moi, m'adresse un sourire sans gaieté.

— Pour qu'il ne vous arrive pas malheur.

Je déglutis sans pouvoir m'empêcher de subir un défilé d'images dans ma tête, toutes plus édifiantes les unes que les autres quant aux malheurs qui peuvent attendre la promeneuse solitaire. Mamina me presse l'épaule de la main, et je me ressaisis tandis que notre hôtesse poursuit son explication.

— Cette pièce est centrale, et on l'appelle d'ailleurs la Salle aux cent portes — ce qui entre nous est un peu exagéré, puisque ne s'y trouvent les accès que des cinquante suites et d'une vingtaine de salles annexes.

Je m'emploie malgré moi à les dénombrer, mais je perds le compte devant le bavardage excité de la Maîtresse des Bourgeons.

Berce. Serait-ce à cause de son babillage incessant qu'on la nomme ainsi ?

La grosse femme semble fière et nous fait remarquer que les suites sont numérotées sur une plaquette dorée — et je remarque ce faisant que nous avons le numéro quarante-cinq —, alors que les salles annexes, elles, portent un nom évocateur de leurs fonctions. Elle nous présente donc par exemple la Salle des Nez enchanteurs, où une parfumière exerce son art pour magnifier nos effluves, ou bien la Salle des délassements exquis, où sont réunis hamam, saunas et masseuses pour que nous soyons toujours fraîches et pimpantes.

Je souris à sa précision — dire que je rentrais souvent crottée de mes escapades autour du manoir !

Agréablement étonnée, j'apprends au passage qu'il y a des salles d'enseignement, ce qui manque me procurer un regain d'espoir jusqu'à ce que leurs noms, un peu trop mystérieux à mon goût, viennent me plonger dans la perplexité : la Salle des Pouvoirs de Lune et la Salle du Verbe Ensorceleur, en particulier, me remplissent par anticipation d'une curiosité inquiète : je sais de source sûre par tout ce qui se colporte qu'il y a des magiciens à Altis, mais je n'imaginais pas devoir apprendre des sortilèges... À moins que ces pièces soient réservées aux mages ?

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant