Nous sommes Lundi. Il est six heure et demi du matin. Le réveil sonne une fraction de seconde avant qu'une main ne s'écrase lourdement dessus, le faisant tomber par la même occasion. Arabella, seize ans depuis une semaine, attrape son coussin et se couvre le visage avec avant de soupirer longuement. Il fait encore noir dans la chambre, les volets sont fermés, les rideaux tirés, seul une ligne de lumière provenant de la serrure de la porte éclaire un bout de son drap blanc. Elle balance l'oreiller au sol puis se redresse comme un zombie. Les cheveux emmêlés, d'énormes cernes sous les yeux, elle se retourne pour faire craquer sa colonne vertébrale suivie de ses poignets et de ses doigts, puis enfin se lève. La jeune fille marche péniblement jusque sa commode contre laquelle elle se cogne le genoux puis attrape un débardeur, un sweat-shirt trop grand autrefois appartenant à son grand frère, Isaac, puis une paire de jean bleu marine. Tenant à peine debout, elle file à la salle de bain, puis fais couler l'eau de sa douche avant de croiser son reflet dans le miroir. Elle sursaute. Mauvais signe. Comme tous les matins elle est dégoutée par son propre visage.
Arabella, plus communément appelée Bella, n'est pas moche, loin de là. Seulement elle ne fait pas vraiment attention à elle. Elle ne prend pas le temps de se brosser les cheveux à part ses racines pour ne pas ressembler à un lion, ne se maquille que très rarement et ne s'habille pas de manière très féminine (ce qui peut se comprendre quand on grandit entouré de garçons). Au lycée, personne ne la regarde vraiment car elle ne sort pas de l'ordinaire. Elle est banale. De toute manière, seuls les élèves populaires, beaux et bien habillés, ou les gothiques (comme on les appelle alors qu'ils ne sont pas vraiment gothiques, ils s'habillent juste en noir), autrement dit, les badboys et badgirls sont remarqués. Sinon vous êtes considéré comme part de la masse inintéressante et sans potentielle. Ce qui n'est pas forcément vrai, évidemment. Certaines personnes « normales » sont d'excellents artistes ou de futures mathématiciens. Mais ça, tout le monde s'en fiche. Au lycée, ce n'est pas ce qui compte. Le lycée c'est soit génial, soit le chemin le plus court vers la dépression.
Bella, elle, veut juste y survivre puis dégager de là au plus vite.
***
_ « Ella ! Cria une adolescente venant de l'autre bout du couloir, pardon, excusez-moi, pardon, continua-t-elle en essayant avec tant de bien que de mal de se frayer un passage parmi le monde qui se rendaient en cours.
Bella se retourna puis sourit en voyant son amie se précipiter vers elle en faisant de grands signes avec ses bras. Impossible de la rater. Elle avait un don pour se faire remarquer. Du Lucy tout craché.
_ Ella, tu ne devineras jamais ce que j'ai acheté ce week-end. Jamais je n'aurai cru que mes parents accepterai que j'aille en chercher un mais j'ai réussi à les convaincre et tu devrais le voir ! Oh, il est magnifique, et puis tu sais depuis combien de temps j'en veux absolument un...
_ Lucy, t'as acheté un lapin ? Demanda la rouquine en agitant ses mains devant son amie pour la faire taire. Il faut dire que le débit de parole de Lucy était impressionnant.
L'adolescente sourit comme une enfant a qui l'on dévoile ses cadeaux de Noël puis hocha les tête les sourcils levés presque émue, ses mains jointes sur sa poitrine. Bella émit un petit rire amusé puis leva les yeux au ciel. Lucy lui parlait d'acheter un lapin depuis la sixième et c'est seulement a seize ans qu'elle décide de s'en procurer un. A seize ans. L'âge où l'on sort, invite des amis, travaille pour ses études, mais sûrement pas l'âge pour s'occuper d'un lapin faiseur de crottes. De plus, Lucy avait l'air particulièrement enjouée par l'évènement qui aux yeux de Bella n'avait pas de quoi se mettre dans un état pareil. Mais après tout, Lucy réagissait toujours de manière extrémiste et ce dans n'importe quelle situation.
Lucy, tiens, parlons-en. Lucy est une jeune fille dans la même classe que Bella depuis la sixième. Celle-ci se souvient encore parfaitement de la première fois où elles se sont adressée la parole. C'était lors de leur premier jour d'année de sixième. Lucy s'était assise à côté de la fillette rousse au fond de la classe n'étant autre qu'Arabella puis lui avait demandé, un sourire angélique et innocent sur le visage, si elle était une fille ou un garçon. La raison pour laquelle le doute était possible était due au manque de chance de Bella qui avait attrapé des poux en colonie de vacances pendant l'été, ce qui l'avait poussée à devoir se couper les cheveux juste au dessous des oreilles avant la rentrée scolaire. Mais sachant qu'elle bouclait très facilement, ils paraissaient encore plus court qu'ils ne l'étaient réellement. Et puis comme aujourd'hui, elle n'était de toute manière pas vêtue de manière très féminine mais récupérait plutôt les vieux vêtements de ses deux grands frères. Son physique portait donc à confusion. Ayant passé une année entière assise à côté d'elle, Bella avait donc appris à connaître Lucy et a très vite comprit qu'elle faisait une véritable fixation sur les bébés lapins (blancs de préférence). Depuis, elles ne s'étaient jamais quittées.
En revanche, Lucy avait un don pour se faire des amis. Elle est jolie, gentille et serviable. Son physique d'elfe lui a d'ailleurs valu un bon nombre de conquêtes amoureuses qui n'ont jamais vraiment durées. L'adolescente est blonde, ses cheveux sont coupés juste au dessus de ses épaules et son visage est extrêmement fin, son nez est minuscule et en trompette, et ses yeux légèrement bridés qui se ferment totalement lorsqu'elle sourit sont noisettes. Sa silhouette est svelte, élancée, elle possède de jolies formes et les habille toujours de vêtements très féminins aux couleurs pâles. Lucy porte toujours des jupes ou des robes, rarement des pantalons. Elle adore les accessoires et se maquiller. En gros, elle prend énormément soin d'elle. Difficile de ne pas se retourner dans les couloirs quand elle y passe.
_ Il s'appelle Sully, et tu ne peux même pas t'imaginer comme je suis contente !
_ T'as appelé ton lapin comme le monstre d'un dessin animé ?
_ Où est le problème ? Demanda Lucy en grimaçant comme si c'était absolument normal d'appeler un animal aussi adorable par le nom d'un monstre.
Bella secoua lentement la tête de gauche à droite en fronçant les sourcils puis la sonnerie du lycée retentit, appelant tous les adolescents du bâtiment en enfer.
_ On se voit à la cafet' ! » Lança Lucy qui s'éloignait déjà en sautillant gracieusement.
***
En sortant de son cours de chimie, Bella se sentit soulagée d'en avoir enfin fini avec ce cours qui lui paraissait encore interminable il y a quelques secondes, avant que la cloche ne sonne de nouveau. Elle détestait les maths et les sciences, comme la plupart des adolescents de son lycée. Elle n'y comprenait rien, elle n'y voyait pas l'intérêt et elle avait toujours l'impression de perdre son temps assise devant un prof qui l'endormait plus qu'autre chose. Par chance, c'était à présent l'heure de son cours de littérature, l'une des seules matières qu'elle appréciait vraiment. De plus, elle adorait son professeur qu'elle trouvait vraiment intéressant dans le sens où il semblait toujours passionné par ce qu'il racontait. Puis Bella adorait lire et en apprendre toujours plus sur les auteurs du monde.
En passant devant le couloir menant au bureau du principal, Bella entendit des cris. Quelqu'un avait l'air de se faire engueuler, et pas qu'un peu. La jeune fille recula de deux pas puis observa discrètement la scène dont elle était témoin. Il y avait un adulte debout. C'est lui qui criait. Un homme, assez grand, vêtu d'un costume gris, ses cheveux grisonnants trahissait son âge qui dépassait probablement la cinquantaine. Ce devait être un prof, Bella se souvenait l'avoir déjà vu marcher dans les couloirs. En face de lui, affalé sur un siège devant la porte du principal se trouvait un garçon. Un adolescent, en fait. C'est celui qui se faisait engueuler. Bella le reconnu, il s'agissait de Zachary Blackwell.
En fait, pas mal de monde le connaissait. Il n'était pas populaire, ne jouait pas pour l'équipe de football, n'écrivait pas le journal de l'école, mais avait un don pour s'attirer des ennuis et puis il ne passait pas inaperçu de toute manière. Il était assez grand, plutôt fin mais en été, une bonne partie des filles du lycée bavaient devant les formes de son torse perceptibles sous ses T-shirts moulants. Son teint étaient pâle, ses cheveux presque noirs, coupés courts sauf sur le dessus et devant, laissant une masse de mèches ondulés et en bataille tomber sur son front. La plupart du temps, il était habillé en noir, en bleu marine ou autres couleurs foncées. Son visage était souvent abimé par un bleu ou une blessure plus ou moins importante, cela dépendait. On dit que ce sont les conséquences des bagarres auxquelles il participerait fréquemment, ce qui n'étonnait personne, en fait. Zac était le genre de personne qui fumait régulièrement, buvait pendant des soirées en petit comité, entouré de gens un peu comme lui, refusant de se mêler à la société qu'ils renient plus que tout au monde.
Bella sursauta lorsque le visage du brun se tourna dans sa direction puis la dévisagea de haut en bas. C'est seulement lorsque le professeur - qui tentait de lui faire la morale pour Dieu seul sait quelle raison encore - se tourna en se frottant les mains sur le visage, exaspéré par l'adolescent que ce dernier souri en coin à la rouquine qui sentit la température de ses joues monter d'un seul coup. Elle se précipita dans sa salle de cours en tentant d'oublier ce qu'il venait de se passer. De toute manière, Zachary Blackwell était bien le genre à mettre n'importe quelle fille mal à l'aise sans en avoir la moindre chose à faire.