- Chut ! Parle moins fort, ordonna la jeune fille à son ami. Des gens pourraient nous entendre.
- L'endroit est désert, Cléo, et personne ne connaît notre cité.
- Raison de plus pour ne pas en parler.
Ces deux jeunes avaient piqué la curiosité de Morad. En les détaillant discrètement par-dessus son journal, il se rendit compte qu'ils n'avaient pas l'air d'humains normaux. De plus, s'ils venaient bel et bien de Céfir, ils seraient des Syrès, dont les ancêtres, rescapés du Continent de Mù, s'étaient cachés sous la mer et qui, au fil des siècles, s'étaient transformés selon leur mode de vie. Les cheveux bleus du jeune homme ne paraissaient pas teints et sa peau était trop claire pour un touriste qui visitait Paris en plein été. La jeune fille, quant à elle, n'avait pas les critères d'une Syrès de Céfir. Morad ne connaissait qu'une seule personne qui aie les cheveux blonds, et ils étaient beaucoup plus pâles, presque blancs. Non, cette fille ressemblait plus à Boucle d'Or qu'à une Syrès. Quelle était l'identité de cette jeune personne ?
Paige revint remplir la tasse de café de Morad et lui chuchota :
- Tu crois qu'ils forment un couple ?
Elle détaillait le garçon aux cheveux bleus.
Morad haussa les épaules.
- Il semble plus jeune que toi, dit-il en replongeant dans son journal.
- Et ce sera aussi le cas de la réincarnation de Donoma. De toute façon, aucun humain de soixante-dix ans ne conviendrait à mes critères.
- Tu marques un point, répondit Morad. Tu devrais choisir un Syrès...
- Je les déteste, répliqua-t-elle avant de retourner à l'intérieur du bistro.
Morad dégusta tranquillement sa quiche tout en tendant l'oreille au cas où il aurait pu en apprendre plus sur les deux jeunes gens, mais ceux-ci avaient baissé le ton et chuchotaient désormais entre eux.
Quelques instants plus tard, les deux compagnons bondirent de leur chaise, ce qui le fit sursauter.
- Oh non ! s'écria Boucle d'Or. Elle nous a retrouvés !
- Vite, filons avant qu'il ne soit trop tard, se hâta d'ajouter son compagnon.
Paige arriva avec leur commande et s'immobilisa en voyant les deux camarades debout.
- Y a-t-il un problème ? demanda-t-elle d'un ton qui signifiait qu'ils ne partiraient pas avant d'avoir réglé l'addition.
- Nous...euh...
Les jeunes paraissaient effrayés et Morad devina qu'ils avaient probablement fugués.
- Cléophée ! Cria une voix que Morad reconnut aussitôt.
Il tourna la tête et jura en reconnaissant la jeune femme qui venait d'arriver.
Bess se tenait à l'entrée de la terrasse, accompagnée de Gick. Les longs cheveux blonds pâle de la Reine de Céfir vaguaient dans son dos et ses yeux lançaient des éclairs. Elle portait des vêtements normaux, soit un pantalon court et un t-shirt bleu poudre, révélant ainsi son ventre rebondi de femme enceinte. Gick, quant à lui, était reconnaissable grâce à ses cheveux bleus royal. Il paraissait également furieux.
La jeune femme fixait les deux jeunes, ne s'étant manifestement pas rendu compte de la présence de Morad.
- Bonjour, maman, dit la prénommée Cléophée d'une voix tremblante.
Morad en renversa son café, qui arrosa son journal, tandis que Paige, qui avait assisté à la scène, lâchait son plateau. Les assiettes volèrent en éclats et leur contenu s'éparpilla sur le sol.
- Moi qui pensait que cette journée serait ennuyeuse, fit alors Morad en abaissant son journal.
Ce fut au tour de Bess et Gick de rester stupéfait.
- Morad ! lâcha-t-elle. Espèce de...
- Content de te revoir également, la coupa-t-il en se levant.
Cléophée regarda Morad d'un air ébahi.
- Vous vous connaissez ? interrogea-t-elle.
- Malheureusement, si, répondit Bess.
- Tu ne nous présentes pas ? ajouta sa fille, curieuse.
Elle n'avait pas remarqué ce bel inconnu, trop nerveuse à l'idée que sa mère ne les retrouve, mais maintenant qu'elle le voyait, il l'intriguait. Jamais elle n'avait vu un jeune homme aussi magnifique, même parmi tous les Syrès de Céfir et de Northwel, qu'elle avait visité quelques fois en compagnie de ses parents. Son père était certes un bel homme, mais la beauté de Morad était unique en son genre. L'homme portait ses cheveux mi-longs, peignés vers l'arrière, et ils étaient presqu'aussi pâles que ceux de sa mère. Ses yeux vert émeraude accrochaient le regard et leur intensité était intimidante ; ils donnaient l'impression de transpercer l'âme d'autrui. Outre son regard pénétrant, cet individu possédait un charme indéniable. Son sourire provoquant avait un petit quelque chose de attirant. Cet homme était sans conteste un séducteur-né. Sa posture et son air désinvolte lui concédaient un petit côté sexy. Quant à son habillement, Morad détenait un style bien à lui avec son trench et ses pantalons noirs, qui rajoutaient une touche de mystère à sa personne.
- Cléophée, voici Morad, fit Bess d'un air ennuyé.
- J'ignorais que tu avais une fille, dit le Semi-Syrès.
- Je suis sa fille adoptive, précisa Cléophée.
Morad, cligna des yeux, interloqué.
- C'est une longue histoire, précisa Bess d'un ton qui signifiait qu'il n'en saurait pas plus.
- Enchanté, fit Morad en tendant la main à Cléophée.
Il avait un sourire si sincère que Bess en resta ahurie. Jamais elle ne l'avait vu se comporter de cette manière, ce qui l'inquiéta encore plus. Morad fixait sa fille droit dans les yeux, ce qui fit rougir celle-ci instantanément. À vingt ans, Cléophée n'avait encore jamais eu de relation amoureuse et était impressionnable. De ce fait, Bess n'avait pas l'intention de laisser Morad s'approcher de sa fille.
- C'est un plaisir, répondit la jeune fille en lui souriant à son tour. Comment as-tu connu ma mère ? Es-tu également un Syrès ?
- En partie. Je suis originaire de Northwel. Nous nous sommes rencontrés grâce à Owel.
Bess leva les yeux au ciel. Il atténuait beaucoup les circonstances de leur rencontre.
- Ah ! Tu viens de la cité de grand-père ! s'exclama Cléophée.
- J'y ai vécu pendant un moment.
- Et je suppose que la glace ne t'enchantait guère si tu es parti.
Morad resta interloqué pendant un instant. Comment avait-elle fait pour deviner qu'il n'aimait pas Northwel ?
- En effet, répondit-il. De plus, les femmes Syrès n'étaient pas aussi jolies que celles de Céfir.
Gick, qui était resté un peu en retrait, fit semblant d'être malade, mais Cléophée ne le remarqua pas.
- Désolé d'interrompre cette passionnante discussion, intervint Gick avec sarcasme, mais nous devons partir. Rem nous attend. Amiel ?
L'interpellé se trouvait aux côtés de Paige et l'aidait à ramasser la vaisselle cassée.
- Merci, répondit la serveuse, des taches rouges apparaissant sur son visage et son cou, révélant son embarras.
Bess retint un soupir d'impatience. Cette journée ne se déroulait pas comme prévu.
- Comme ça, tu es maintenant capable de téléporter plusieurs personnes en même temps, dit Morad. La dernière fois que j'ai assisté à ton essai, tu...
- Pas besoin de me le rappeler, le coupa Bess.
Elle s'était évanouie directement devant la maison de Rem et s'était réveillée à Atlansìa, où elle ne voulait pas aller.
- Félicitation pour votre mariage, à Rem et à toi, lui dit alors Morad. Finalement, vous êtes parvenus à vous réconcilier malgré le fait que vous n'aviez plus de bracelet et, d'après ce que je vois, vous avez un heureux événement en route...
Son regard se porta sur le ventre de Bess.
- Le conseil a fini par accepter que Rem et moi nous unissions puisqu'une Sièlstre m'a transformée entièrement en Syrès, souligna Bess. Selon eux, c'est elle qui a décidé de ma destinée.
Cléophée pouffa et sa mère lui jeta un regard sévère.
- J'aime trop le lien avec ton prénom, s'expliqua-t-elle. Le mien n'a aucun sens.
- Il signifie « célébration et lever d'une étoile », l'informa Morad. Je trouve, qu'au contraire, sa signification est flagrante.
Morad discerna dans ses yeux un éclat qui lui rappela justement le scintillement d'une étoile. Ses iris étaient bleus foncé comme le ciel juste après le crépuscule. Mais le plus étonnant, c'était la teinte plus claire juste autour de sa pupille. Morad n'avait jamais vu de tels yeux.
La jeune fille eut un petit rire, ravie du commentaire de Morad.
- Tu riras moins lorsque tu verras ton père, riposta Bess. Il est très très en colère que vous ayez fui Céfir. C'est dangereux pour de jeunes Syrès comme vous de vous mêler aux humains.
- Je n'ai pas envie de retourner à Céfir. Je veux découvrir ce monde. Et Amiel aussi.
Ce dernier se tenait désormais à côté de Gick, son père.
- Amiel te suivrait jusqu'en enfer, répliqua Bess en jetant un coup d'œil vers Morad.
Ce dernier comprit l'allusion à lui, et le coin de sa bouche se retroussa, lui donnant l'allure détestable qu'elle lui connaissait.
Puis, Cléophée se tourna vers le garçon. Celui-ci n'avait même pas écouté la conversation, trop occupé à fixer Paige, qui se tenait un peu en retrait et semblait suivre leur échange avec intérêt.
- Amiel est comme mon frère. Nous n'allons nulle part l'un sans l'autre, fit Cléophée en croisant ses bras.
- Tu vas bientôt avoir un frère, dit Bess. Tu ne veux pas être là à sa naissance ?
- Que veux-tu que je fasse avec un bébé ? Que je change ses couches ?
Morad connaissait assez bien Bess pour savoir que celle-ci était sur le point de laisser exploser sa colère. En cinquante ans, elle n'avait pas l'air d'avoir changé sur ce point.
- Je connais bien le monde des humains, dit-il. Si tu veux, je pourrais lui servir de guide...
Il ignorait pourquoi, mais Cléophée le captivait. Quelque chose en elle l'attirait à un point tel qu'il était déterminé à mieux la connaître. De plus, contrairement aux gens qu'il rencontrait habituellement, il était incapable de lire dans son esprit, ce qui piquait encore plus sa curiosité.
- Il est hors de question que tu t'approches d'elle, répliqua Bess.
Morad lâcha un soupir.
- Peut-on laisser le passé derrière nous ? Je ne commettrai pas les mêmes erreurs. Ta fille est en sécurité avec moi.
- Permets-moi d'en douter.
Ils parlaient de Cléophée comme si elle n'était pas présente.
Paige qui, jusque-là, était restée silencieuse, se manifesta :
- Si vous voulez rester à Paris pendant quelques jours, j'ai un appartement dans le 2e Arrondissement. C'est petit, mais il y a un canapé-lit et j'ai également un matelas gonflable.
Bess fronça les sourcils. Elle savait que Paige ne l'avait jamais appréciée, alors pourquoi proposait-elle le gîte à sa fille ? De plus, elle avait toujours eu un faible pour Morad, alors que celui-ci ne s'intéressait manifestement pas à elle. Puis, Bess eut sa réponse lorsqu'elle la vit couler un regard vers Amiel. Finalement, elle avait peut-être oublié Morad... depuis dix minutes.
- Je ne crois pas que...commença Bess, mais elle fut incapable de terminer sa phrase.
Une violente contraction la fit se plier en deux. Gick accourut vers la jeune femme, inquiet.
- Le bébé arrive, fit Bess en haletant.
Cette journée ne se déroulait VRAIMENT pas comme prévu.
Cléophée eut un petit rire.
- Je sens que ce frère va me plaire, dit-elle, moqueuse.
Elle savait qu'elle avait remporté la manche, du moins jusqu'à la prochaine confrontation. Elle espérait, qu'au moins, le bébé les occuperait assez pour qu'elle puisse encore voyager un certain temps.
- Amiel, prends soin de Cléophée, ordonna Bess. Nous devons y aller...
Puis, elle se tourna vers Morad.
- Je te jure que s'il lui arrive quoi que ce soit, tu regretteras d'être né, le menaça-t-elle.
Morad se demanda si toutes les mères étaient aussi protectrices qu'elle. Alors, au lieu de répondre avec cet air insolent qu'elle lui connaissait bien, il répondit seulement :
- N'aie aucune crainte, lui assura-t-il. Je ne laisserai rien lui arriver.
Bess serra la main de Gick dans la sienne. Après avoir jeté un regard autour d'elle pour s'assurer que personne ne les regardait, ils disparurent.
- Depuis qu'elle est enceinte, son caractère a empiré, et je vous jure que c'était déjà quelque chose avant, les informa Cléophée.
- Je te crois sur parole, répondit Morad en lui faisant un clin d'œil.
Le cœur de Cléophée bondit dans sa poitrine, mais la jeune fille, qui avait appris à se méfier des inconnus, lui fit seulement un petit sourire poli. Morad admira la maîtrise de la Syrès. Habituellement, les filles répondaient en bégayant lorsqu'il leur adressait la parole. En outre, Cléophée était différente, et le Semi-Syrès était impatient de connaître cette jeune personne.
Paige, qui avait disparu avec les restes de vaisselle cassée, revint sur la terrasse.
- Je termine mon chiffre dans trois heures, leur dit-elle. Ensuite, nous pourrons nous rendre chez moi.
Les autres acquiescèrent.
- En attendant, que diriez-vous de faire un tour de bateau-mouche ? proposa Morad.
- Un tour de bateau ? Sur l'eau ? s'enquit Cléophée, le regard voilé.
Morad observa la jeune fille en essayant de discerner son expression. On aurait dit qu'elle avait peur des bateaux. Pourquoi donc ?
- C'est très sécuritaire, assura-t-il. Vous pourrez ainsi voir la tour Eiffel et Notre-Dame-de-Paris de loin, et la vue est splendide.
Cléophée se détourna vers la Seine et, malgré son appréhension, Morad remarqua les étoiles dans ses yeux, ce qui signifiait qu'elle avait très envie de tenter l'expérience.
- De toute façon, je suis trop crevée pour visiter à pied aujourd'hui, annonça-t-elle. Le décalage horaire commence à se faire sentir.
- C'est également mon cas, agréa Amiel, qui avait retrouvé sa gaieté depuis que Gick et Bess étaient partis. Allons explorer Paris avant de nous endormir !
Alors, qu'est-ce que vous en pensez ?