Prologue

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« Les étoiles sont éclairées pour que chacun

puisse un jour rencontrer la sienne »

-Antoine de Saint-Exupery

La terrasse du petit bistro français à laquelle Morad venait de s'attabler était presque déserte. Étant seulement de passage à Paris, l'homme éprouvait de la difficulté à s'habituer aux horaires de repas des Français. Il s'assit donc en ouvrant son journal. Vers cette heure-ci, la ville était encore endormie et tout était calme. Le Paris en ébullition que Morad connaissait ne s'était pas encore réveillé, et il en profita pour se détendre après avoir passé un long séjour à Northwel, la cité du Nord qu'il n'aimait pas. À son opposé, Paris était accueillante et possédait un charme unique propre à la Capitale. Lorsqu'il en avait le temps, Morad aimait bien se balader sur le bord de la Seine.

La serveuse arriva quelques instants plus tard. Morad délaissa son journal, et avec un sourire irrésistible, leva la tête vers elle, s'attendant à ce qu'elle fonde sur place, comme toutes les humaines qu'il rencontrait. Au lieu de quoi, ce fut deux yeux écarquillés qui le fixèrent.

- Morad ? s'exclama la jeune femme. Que fais-tu ici ?

Celui-ci fut aussi stupéfait qu'elle. Les chances qu'il rencontre à cet endroit et à cet instant précis Paige, une Semi-Syrès d'Atlansìa, étaient quasi-nulles.

- Une petite escale. Et toi ?

- Je travaille ici.

L'homme observa la jeune femme. Avec ses cheveux auburn et ses yeux marron, elle avait une apparence tout à fait humaine, bien qu'elle soit plus jolie que la plupart d'entre eux. Grande et mince, elle était distinguée et avait l'allure parfaite pour travailler avec la clientèle. Elle avait une facilité toute naturelle à sourire aux clients, et la lueur de détermination dans son regard signifiait qu'elle savait ce qu'elle voulait,

- Qu'est-ce que je te sers ?

- Une quiche aux champignons et un café noir.

Paige fit un hochement de tête et retourna dans le bistrot. Quelques instants plus tard, elle revint avec une tasse de café.

- Te plais-tu ici ? lui demanda alors Morad. Tu sais que tu peux revenir à Atlansìa quand tu veux.

La serveuse le fixa, puis répondit :

- Ma vie me convient. Je m'installe quelques années à un endroit, puis je repars et refais ma vie ailleurs.

- Seule ?

Elle leva le menton.

- Oui, répondit-elle. Je ne veux m'attacher à aucun humain.

- C'est compréhensible, fit Morad en buvant une gorgée de son café bouillant. Après tout, les humains finissent tous par mourir.

- Je reviens avec ton repas, dit-elle en laissant Morad songeur.

Ce dernier arrivait de Northwel où il avait rendu une petite visite à son frère, Owel. Depuis quelques années, ils avaient repris contact. Morad avait également appris que Bess, fille d'Owel et Reine de Céfir, était enceinte d'un garçon. Il demanda si elle avait changé et si elle possédait toujours ce tempérament aussi explosif.

Bess lui gardait rancœur depuis qu'il avait détruit, cinq décennies plus tôt, le bracelet que Rem avait donné à la jeune fille lorsqu'ils étaient enfants. Morad avait pensé faire une bonne action. Après tout, Bess avait rompu avec Rem et voulait refaire sa vie sans lui, mais elle avait finalement changé d'idée. Hélas, il était trop tard... Morad l'avait emmenée avec lui à Atlansìa parce qu'elle possédait une très puissante magie et elle lui faisait penser à son premier amour, Donoma. Ce fut une grosse erreur puisque la jeune femme avait déjà donné son cœur à Rem. Celui-ci avait débarqué à Atlansià avec Owel et, après un conflit qui avait failli coûter la vie à Bess, ils étaient repartis à Céfir. Morad ne les avait pas revus depuis ce jour.

Un quart d'heure plus tard, Paige revint avec le repas de Morad, puis lui souhaita bon appétit.

Perdu dans ses pensées, il s'aperçut à peine de l'arrivée de deux jeunes gens sur la terrasse du bistrot. Le Semi-Syrès, qui avait espéré prendre son petit-déjeuner tranquillement, poussa un long soupir lorsque les nouveaux venus s'installèrent deux tables plus loin et que la jeune fille accrocha les couverts, qui tombèrent par terre dans un grand fracas.

Morad leva les yeux vers le couple et les observa. La jeune fille possédait une longue chevelure bouclée or, portait un débardeur vert fluo sous une veste en jeans et des pantalons noirs. Elle semblait nerveuse puisqu'elle tripotait sans arrêt son sac à dos. Lorsqu'elle leva la tête, il remarqua d'abord ses joues en feu, puis ses magnifiques yeux bleus. Morad resta sidéré par sa beauté, mais aussi par le fait qu'elle lui semblait familière. Pourtant, il était sûr de ne jamais l'avoir croisée auparavant. Il n'aurait pu oublier ce visage si délicat, ces grands yeux perçants d'une couleur singulière, ni ce petit menton pointu qui lui donnait un air provocateur. En dehors de sa beauté, quelque chose en elle l'attirait à tel point qu'il eût envie d'aller lui parler, mais il resta tranquillement assis à observer les deux jeunes derrière son journal. Le jeune homme qui l'accompagnait, lui, possédait des cheveux bleu indigo, si foncés qu'ils paraissaient presque noirs. Ils étaient ébouriffés comme s'il venait de faire un tour de montagne russe. Il portait des lunettes fumées, un chandail en coton rouge et des jeans troués. Ils ne passaient certes pas inaperçus.

Paige s'empressa d'aller leur répondre et prit leur commande. Morad remarqua que leur accent n'était pas français mais, à Paris, c'était très fréquent, puisque des touristes du monde entier visitaient la ville-lumière.

Morad tendit l'oreille afin d'entendre la conversation des deux jeunes. Il était curieux de savoir d'où ils venaient.

- Ils ne nous trouveront pas ici, Amiel, lui dit la jeune fille, qui semblait vouloir le rassurer.

- Alors pourquoi n'arrêtes-tu pas de surveiller la rue ? interrogea son compagnon. As-tu peur de rencontrer quelqu'un de Céfir ?

Morad, qui s'apprêtait à prendre une bouchée de sa quiche, immobilisa son geste. Avait-il bien entendu ? Les chances qu'il existe un endroit ailleurs dans le monde portant le même nom que la cité qu'il connaissait étaient presque nulles, alors pourquoi le destin avait-il mis ces jeunes gens sur son chemin ?

La Saga des Syrès : Dévastation ( tome 3) (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant