A bord de l'Ouroboros, dans le système Tartarus
Brandon pénétra en trombe dans la salle de bain de ses quartiers, réveillant son père adoptif qui dormait à côté. Le vieil homme s'éveilla doucement, frottant ses petits yeux fatigués d'un revers de la main. Bon Dieu, mais que faisait son fils debout à une heure pareille ? La nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures, et le couvre-feu mis en place par le lieutenant imposait à ses soldats de regagner leurs dortoirs à 22 heures précises. Bien que compétent, sa pupille ne dérogeait pas à la règle. Avec une élégance qui lui collait à la peau, Sam quitta sa couche et se précipita vers la salle d'eau, rugissant de colère. A peine eut t-il le temps de passer le seuil de la porte qu'une vision d'horreur prit forme devant lui.
_ Fils ?
Impuissant, il surprit le jeune marine en train de se laver vigoureusement les mains, ses paluches teintées de sang. Ses habits portaient encore les marques de lutte. Du sang séché traînait par endroits, imbibant ses vêtements de fluide rouge. C'est abattu et l'air coupable que Brandon porta son attention sur son mentor, le regard brillant. Sam n'en croyait pas ses yeux. Il pleurait. Son meilleur soldat pleurait. Lui révéler le nom de l'homme qui avait assassiné ses parents n'était peut-être pas une bonne idée, tout compte fait. Il savait que son désir de vengeance primait sur tout le reste. Cette promesse qu'ils se sont faites, 20 années plus tôt, jamais il ne l'avait oublié. Mais, le voir si dévasté, alors même qu'il avait fait le choix de ne plus montrer la moindre émotion, la moindre once d'affection... Le vieil homme n'en revenait pas.
_ Papa...
Le cœur de Sam se serra. Son fils adoptif ne l'avait pas appeler comme ça depuis des lustres. Les larmes lui montèrent aux yeux, sa gorge couverte de rides tremblant légèrement. L'assassin se tourna vers son père, tombant dans ses gros bras. Le lieutenant resserra son étreinte autour de lui, caressant ses cheveux de sa main valide. Il était brûlant de fièvre, chaud comme la braise. Les pleurs du gamin lui vinrent aux oreilles, tandis qu'il sentit un flot de larme couler le long de son T-shirt.
_ Je l'ai fait, papa, lui répéta son rejeton dans un souffle douloureux. Je l'ai fait... Je l'ai...
_ Je sais, chuchota son paternel, fier de retrouvé l'enfant qu'il a connu. Laisse toi allez...
Dans les bras de son tuteur, Brandon fondit en sanglots, incapable de gérer sa profonde tristesse. Ce qu'il avait fait, cette nuit là, il s'en souviendrait toujours. En fermant les yeux, il crut voir le visage de Frank lui apparaître, agrippant de ses gros doigts les habits de son père, cherchant sécurité et protection. Sam passa une main sur sa nuque, balayant sa peau rugueuse d'un air tranquille. L'espace d'un instant, les deux hommes étaient enfin redevenu une famille. Un instant seulement...
Ruines d'Hadley's Hope, LV-426, 2180
Brandon s'assit sur le rebord du lit, baissant la tête. En endormie, Rachel ne pouvait percevoir les tremblements de la montagne de muscles, transpirant à grosse gouttes. Se cambrant en avant, le tireur d'élite passa ses mains sur son crâne rasé, une grimace déformant son visage dans la pénombre. Il joignit ses mains l'une à l'autre, fermant les yeux. Même si il ne voulait se l'avouer, cette situation le dépassait. Le crash de leur vaisseau, la mort de Sam, les xénomorphes, Abraham... Il n'arrivait plus à le supporter. Alors, il leva les yeux au plafond, espérant y trouver le réconfort qu'il recherchait tant.
Nôtre père,
qui êtes aux cieux,
que ton nom soit sanctifié,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faîtes sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé.
Ne nous soumets pas à la tentation,
mais délivre nous du mal.
Amen.
D'ordinaire impassible, son visage était prit d'un élan de tristesse. La bouche tombante, le tireur d'élite lança sa tête de gauche à droite, jetant un regard tourmenté aux quatre coin de la chambre.
_ Seigneur, pardonne moi car j'ai péché, commença t-il péniblement, ses suppliques le forçant à se racler la gorge. Tout ce que j'ai fait dans ma vie, je ne l'ai fait que pour survivre... Pour moi... Pour mon père... Pour Mia...
Il poussa un soupir, ravalant un brin de salive. Ses yeux se tournèrent vers ses pieds.
_ Mais aujourd'hui, j'ai fait une erreur, continua t-il sur un ton plus grave encore. Je sais que je n'aurais pas dû la faire, mais...
Il s'arrêta, cherchant ses mots.
_ Je n'avais pas le choix, se justifia t-il, les mains tremblotantes. Sur le moment, je pensais juste que c'était la seule chose à faire pour protéger tout le monde. J'ai merdé...
Le marine secoua sa lourde tête de haut en bas, grinçant des dents. Pour réponse, il n'eut que le silence.
_ C'est pour ça que je me tourne vers vous, ajouta t-il d'une voix plus confiante. Parce que j'ai besoin de votre aide... Parce qu'on a tous besoin de votre aide... Alors, si tu existes vraiment... Si tu nous regardes de là-haut, fait nous un signe !
Brandon planta son regard au plafond, guettant le moindre mouvement dans le noir. Mais rien n'arriva. Vexé de parler dans le vide, le soldat baissa les yeux, claquant des mâchoires. Une colère noire lui montait.
_ Tu as conscience de ce qu'on traverse, brailla t-il silencieusement, étouffant ses cris. Alors, par pitié, aide nous ! On a besoin de toi ! Aide nous, bordel de merde !
A nouveau, pas de réponse.
_ Pitié, aide-moi...
Désespéré, le brave soldat s'effondra, sa lourde tête tombant entre ses genoux. Pas un bruit. Pas même un murmure. Rien. Seul son souffle rauque et difficile lui venait encore aux oreilles. Sa face blafarde se ferma, couverte de rides. Son regard plein de chagrin et d'espoir, lui, vira au noir.
_ Comme tu voudras, renifla t-il, ne cachant pas sa déception. Je me débrouillerais tout seul. J'ai besoin de l'aide de personne de toute façon... Et surtout pas de la tienne.
Accablé par la frustration, le tireur d'élite repéra son pantalon à ses pieds et l'enfila d'une traite, pressé de regagner ses quartiers. Il ne voulait surtout pas qu'elle le voit comme ça. Si faible. Si fragile. Alors même qu'il jouait aux durs devant tout le monde. Se permettre de laisser de côté cette image de brute incontrôlable, il ne le pouvait pas. Un léger froissement attira son attention dans son dos tandis qu'il mettait ses bottes. Du coin de l'œil, le marine jeta sa tête par dessus son épaule. Rachel s'étirait déjà, poussant de petits gémissements familiers. Et merde !
_ Tu dors, l'interpella t-elle, ses yeux à demi fermés.
Concentrant ses chakras, la brute épaisse se pencha vers ses chausses, évitant tout contact visuel. Tournant sa langue plusieurs fois dans sa bouche, il lui répondit entre deux murmures, une légère tension le forçant à frisonner.
_ Non. Et toi ?
_ Je te poserai pas la question si c'était le cas.
_ C'est vrai, oui, souffla t-il difficilement, reprenant ses esprits. Tu rêvais pas de moi, j'espère.
_ Pourquoi je rêverais de toi ?
_ Je sais pas... Peut-être que...
_ Aucune chance, non.
Rachel esquissa un sourire, ce que n'avait pas l'air d'apprécier le tireur d'élite. Elle s'appuya sur ses coudes, se tournant dans sa direction. Quelque chose n'allait pas. Et il donnait l'air de le lui cacher. Même après s'être livrée entièrement à lui, la jeune femme se sentait toujours loin derrière, comme si elle marchait dans ses pas, sans jamais pouvoir le rattraper. Angoissée à l'idée de le perdre, la marine se redressa, levant une main vers l'élu de son cœur.
_ Hey, qu'est-ce qui a ?
De son doigté plus qu'habile, elle obligea le tireur d'élite à la regarder. Une larme, puis deux roulèrent contre ses joues énormes. Surprise, Rachel écarquilla de grands yeux. C'était la première fois qu'elle le voyait pleurer. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Brandon déglutit, la gorge tremblante.
_ Je ne peux pas te perdre, souffla t-il dans un sanglot, incapable de contenir ses émotions.
Bouche grande ouverte, sa dulcinée s'immobilisa, les mots lui manquant. Elle aurait aimée lui répondre la même chose, lui dire que jamais ça n'arrivera pour le rassurer, lui dire que tout irait bien... Mais ce serait lui mentir. Et ça, cela lui était impossible. D'une légère tension du poignet, elle fit glisser sa main jusqu'à sa joue, séchant ses larmes d'un geste du pouce.
_ Tu peux me perdre, lui murmura t-elle avec un sourire.
_ Non, je...
_ Tu peux me perdre, Brandon...
La montagne de muscles leva les yeux vers elle, révulsant ses lèvres de tristesse. Il bascula sa lourde tête de côté, cherchant les caresse de sa bien-aimée. Rachel, elle, récupéra son visage entre ses mains robustes, captant l'attention de son regard bouleversé.
_ Tu sais pourquoi je suis tombée amoureuse de toi, l'interrogea t-elle des plus sérieusement.
Son homme leva légèrement le menton, indécis. Sans comprendre où voulait en venir la jeune femme, il secoua sa tête de gauche à droite, trahissant son incompréhension. Cette question, jamais il ne se l'était vraiment posée. Après tout, les sentiments qu'éprouvaient Rachel à son égard lui étaient inconnus avant ces dernières heures. Dans ce cas, comment pourrait t-il le savoir ? Sa belle se rapprocha de lui. Il pouvait sentir son souffle chaud lui chatouiller la peau.
_ Parce que tu es un battant, gronda t-elle avec assurance. Parce que, quoiqu'il arrive, tu n'abandonnes jamais ! Et même sans moi, je sais que tout ira bien. Parce que toi, tu vivras...
Pris de court, Brandon se surprit à boire ses paroles, hochant vaguement la tête. Dans le fond, peut-être avait t-elle raison ? Peut-être que... Non. La vérité, c'est que si elle disparaissait. Si il venait à lui arriver quelque chose... De terribles pensées s'emparèrent de son être, l'empêchant de réfléchir à autre chose. Tout ce qu'il voyait, c'était que sans elle, il perdrait pieds. Sans elle... Il ne préférait pas y penser davantage. Rachel écrasa ses lèvres fendues contre les siennes, l'embrassant avec une fougue et une passion qui lui était étrangère. Longtemps, leurs babines demeurèrent l'une contre l'autre, sans feindre le moindre mouvement. Puis, la jeune femme s'en extirpa, essoufflée, un léger pincement lui serrant la poitrine.
_ Alors, fait ce que tu sais faire de mieux, continua t-elle, hors d'haleine. Bas toi !
La porte de la chambre s'ouvrit dans un grand fracas. Le cœur battant, Rachel s'enfonça au fond de son lit, couvrant son corps nu sous sa couette. Sanders était entré, son fusil de précision sous le coude. Impassible, le sergent posa un regard onyx sur Brandon. Le tireur d'élite, révolté, quitta le confort du lit où il était assis et s'avança vers son supérieur, une horrible grimace déformant sa face bouillonnante.
_ Putain, c'est quoi ce...
A peine eut-il le temps de finir qu'une impression de déjà vu le gagna. Raphaël avait porté la crosse de son arme à son visage. Chancelant, le super soldat s'écroula, incapable de tenir debout. Un cri lointain lui parvint, tandis que son adversaire lui porta le coup de grâce.
Il n'y avait... Rien. L'abîme l'entraînait, inlassablement. Dans les ténèbres qui l'entouraient, une petite voix lui parvenait, à peine audible. Puis un raclement métallique lui vint aux oreilles avant de sombrer, à son tour, dans l'obscurité. Brandon sentit qu'on le traînait. Incapable de lutter, le tireur d'élite s'abandonna aux profondeurs abyssales, laissant derrière lui sa vie vaine et misérable. Un flot de pensées lui tortura l'esprit alors qu'il tombait. Comment avait t-il fait pour en arriver là ? Lui qui s'était si résolument fermé aux autres. Lui qui s'était affairé à contenir la moindre de ses émotions, jusqu'à entraver les relations qu'il tenait avec ses frères d'armes... Qu'avait t-il donc fait pour tomber aussi bas ? Son attirance pour la gente féminine lui avait t-il porter défaut ? A moins que ce ne soit l'enfant qui est en lui, toujours une main tendue vers ses camarades, qui ne soit en cause ? Lui-même n'en avait pas la réponse. Ce dont il était sûr, à contrario, c'est qu'il s'était passé quelque chose en son absence. Quelque chose d'assez grave pour le mettre en porte à faux. Pourquoi ? Pourquoi Sanders l'avait t-il frappé ? Par deux fois, il avait goûter à son légendaire coup de crosse. Et par deux fois... Mais oui ! Bien sûr ! Ce devait être un coup de Taylor. Il en avait l'intime conviction. Mais, pourquoi ?
L'armoire à glace ouvrit les yeux dans un sursaut. Il suffoquait, tentant d'inspirer péniblement l'air qui vadrouillait en abondance. Pourtant, on l'en empêchait. Paniqué, le marine balança sa tête de gauche à droite, cherchant à comprendre ce qui lui arrivait. Il lui fallut peu de temps pour deviner les contours d'une main contre sa nuque. On le maintenait sous l'eau, des torrents de liquide se dispersant dans ses poumons. En y regardant de plus près, Brandon distingua une courbe circulaire, au fond de sa prison rafraîchissante. Un sceau. Quelqu'un avait enfoncée son visage dans un sceau. Secoué par un vent de terreur, la montagne de muscles se mit à hurler, des vagues de bulles sortant de sa gueule. En tentant de se dégager, le tireur d'élite remarqua qu'on lui avait lié les mains et les pieds. Du coin de l'œil, à travers la masse opaque qui troublait sa vue, il discerna une vague silhouette, dans la pénombre. On l'avait ligoté à une chaise. Instinctivement, il secoua son corps en tout sens. Rien à faire. Quoi qu'il fasse, ses efforts lui parurent inutile. Alors, il s'abandonna à la douleur qui lui saisissait la poitrine, attendant l'inévitable. A sa grande surprise, le tireur d'élite se sentit tirer en arrière, revenant progressivement à la vie. On venait de lui sortir la tête de l'eau. Quel joie ! S'attendant à des représailles, le marine profita de ses quelques secondes de répit pour respirer. Mais, contre toute attente, rien ne se produit. Alors, il jeta sa tête de côté, le souffle difficile. Une ombre menaçante capta son attention, les poings serrés.
_ Zaeed ?
L'arabe se pencha vers sa victime, la courbure de ses lèvres trahissant sa colère. Brandon baissa les yeux, portant son attention sur ses mains attachés au dos de son siège. Lentement, il se redressa comme il le pouvait, soulageant la douloureuse tension qui lui saisissait les paluches. L'air y était étouffant, irrespirable. Transpirant à grosse gouttes, le prisonnier s'attarda sur son frère d'armes et ami, encore haletant.
_ Où, où est-ce que je suis, lui demanda t-il, à bout de souffle.
_ Là où est ta place, lui murmura Zaeed, de l'autre bout de la pièce.
_ Quoi ?
_ Arrête ton petit jeu, d'accord ? Tu sais très bien pourquoi tu es là, avec moi.
Il déglutit, regardant autour de lui. Un rouge ambiant s'était entiché de sa prison de béton, mais il pouvait reconnaître là le vieux local à balai dans lequel il avait été enfermé, un jour plus tôt.
_ Retour au bercail, pas vrai, se força t-il à rire. Qu'est-ce que j'ai fait cette fois ?
L'irakien posa les yeux sur son collègue sans rien dire.
_ Désolé mon gars, brailla l'armoire à glace, pieds et mains liées. Mais je ne vois pas du tout de quoi tu parles.
_ A ta guise, soupira l'arabe, parcourant machinalement la pièce de long en large.
Brandon suivit les mouvements du marine, attentif. Le moindre faux pas pourrait lui coûter cher, et il le savait. Rusé était là son meilleur atout. Mais comment ? L'irakien n'avait pas l'air très enclin à la conversation. Il devait se rendre à l'évidence. Jamais il ne l'écouterait parler. Alors, il devait comprendre pourquoi il s'était retrouvé ici afin d'en sortir.
_ Détache-moi Zaeed.
_ Je regrette, mais j'ai bien peur que ce ne soit impossible.
_ Pourquoi ?
Zaeed termina sa ronde, prenant place derrière un vieux bureau qu'il avait fait amener à sa demande.
_ Parce que tu as tué Abraham, l'accusa t-il, transparent. Et parce que tu as tenté de tuer Taylor...
Un éclat de rire retentit, se répercutant dans un écho. Le tireur d'élite s'époumona, toussotant au passage. C'était d'une absurdité telle qu'il ne pouvait retenir les gloussements qui lui raclaient la gorge. Une dizaine de secondes lui suffirent pour reprendre son calme habituel, un sourire moqueur s'affichant sur ses lèvres.
_ Alors, toi aussi tu crois que c'est moi qui ait fait ça, s'esclaffa le prisonnier. Tu crois vraiment que j'aurais pu m'en prendre au capitaine ?!
_ Je ne le crois pas, j'en suis sûr, lui assura son bourreau.
_ Évidement... On m'avait enfermé, Sherlock ! Comment j'aurais pu le buter si j'étais...
_ Une serrure, c'est pas bien compliqué à faire sauter, le coupa Zaeed, le regard tourné vers ses mains abîmés.
_ Bon, OK, je te l'accorde, marmonna le marine, incapable de contester ses propos. Mais je n'ai rien à voir dans cette histoire. Et Taylor... Bordel, je sais même pas ce qui lui est arrivé ! J'étais avec Rachel, elle peux te le confirmer, merde !
Agacé, la montagne de muscles bomba le torse, dévoilant sa mâchoire pleine de dents. Une fois de plus, il avait perdu le contrôle. L'irakien leva le menton au plafond, se dirigeant d'un pas lourd vers son compagnon d'infortune.
_ Alors qui d'autre ?
Brandon baissa les yeux, lâchant un soupir. Merde ! Une fois de plus, il s'était fait avoir par sa conduite déplacée. Il aurait mieux fait de s'en rendre compte plus tôt. Oui, il aurait mieux fait... Zaeed se pencha vers lui, imperturbable.
_ C'est bien ce que je pensais... Sam aurait honte de voir ce que tu es devenu.
Le tireur d'élite leva les yeux vers son agresseur, tirant la grimace.
_ Ne prononce plus jamais son nom, s'écria t-il, révolté.
_ De quoi tu as peur ? Qu'il quitte sa tombe pour te faire la leçon ?
Brandon serra les poings, hors de lui. Son torse se courbait d'avant en arrière avec une certaine irrégularité. Une colère noire montait en lui. Ses globes virèrent au rouge, roulant dans leurs orbites. Intensément, il sentit une force surhumaine lui saisir les bras. Là, il ne lui suffisait plus qu'à tirer un peu pour s'extirper des cordes qui l'entravait et il serait libre de lui faire mordre la poussière, à l'abri des regards. Pourtant, quelque chose l'en empêcha. Il ne saurait dire quoi, mais il avait l'impression qu'une petite voix dans sa tête lui donnait l'ordre de ne rien faire. Était-ce pour ne pas revivre un autre « Abraham » ? Perdre à nouveau le contrôle de la situation, il ne pourrait le supporter. A contre cœur, le marine garda le silence, laissant les pleins pouvoirs à l'arabe. Satisfait par sa réaction, Zaeed se pencha en avant, jusqu'aux oreilles de son coéquipier.
_ Je sais ce que tu as fait, Brandon, lui souffla t-il d'un ton glacial, l'air menaçant. Alors, je te laisse le choix. Ou tu avoues tout maintenant, et on avisera ce qu'on fera de toi ensuite... Ou on passe à la méthode forte... Tu tiens vraiment à me voir prendre les choses au sérieux ?
A nouveau, Brandon ne répondit rien. Il n'était plus d'humeur à lui répondre. Le frapper jusqu'à ce que mort s'en suive, le voir s'étouffer dans une mare de sang... Voilà ce qu'il aimerait voir. Mais il ne pouvait se le permettre, sans quoi il perdrait toute crédibilité. Alors, il tua ses pensées les plus abjectes, posant un regard tortueux sur son bourreau. Zaeed plongea ses yeux globuleux dans ceux du soldat, attendant sa réponse. Les secondes passèrent, sans que le moindre son ne sorte de la bouche de son partenaire. L'arabe s'en retourna vers son bureau, écartant d'un revers de la main le sceau d'eau qu'il avait posé, quelques temps plus tôt. Un sac plastique lui apparut, brillant dans l'obscurité. A l'intérieur, une mallette remplit d'outils. Tour à tour, il en sortit un scalpel, des tenailles, des cisailles... La liste ne semblait jamais s'arrêter. Enfin, il récupéra une paire de pinces, s'amusant à les ouvrir et les refermer. D'étranges piaillements lui parvinrent à l'oreille. Il se retourna vers Brandon. Inquiet, le marine se mit à trembler, s'enfonçant au fond de sa chaise.
_ Très bien, gloussa le tortionnaire, prêt à en finir. Tu ne veux rien me dire, soit. Je récupérais les infos dont j'ai besoin moi-même.
_ Je te connais, Zaeed, cracha sa future victime, affolé. Tu parles beaucoup mais tu ne me feras rien.
_ Malheureusement pour toi, tu te trompes...
Brandon effaça le vulgaire sourire qu'arborait son visage, forçant sur ses liens. Et merde ! La force qu'il avait emmagasinée l'avait quitté. Comment faire ? Comment ? Zaeed s'était déjà retrouvé derrière lui, rentrant les pinces sous la peau de son coéquipier, cherchant ses ongles dans la pénombre. Malgré la réticence qui l'envahissait, une partie de lui se délectait de chaque secondes. Il s'était pourtant juré de ne plus jamais torturer par plaisir. Il s'en était fait la promesse. Cette promesse, il venait de la rompre.
_ Pourquoi est-ce que tu leur as fait ça, lui hurla t-il, quémandant des réponses.
_ Arrête, grimaça Brandon, se préparant au pire.
_ Pourquoi est-ce que tu leur as fait ça ?!
_ Je ne sais pas de quoi tu veux parler, l'implora le pauvre homme, ne sachant quoi faire d'autre.
_ Comme tu voudras...
D'une pression mécanique, Zaeed arracha un ongle de la main droite du tireur d'élite, lui arrachant un terrible hurlement. Insoutenable, la souffrance qu'il endurait lui paraissait si forte qu'il ne pouvait retenir ses cris plus longtemps. Lui qui, d'ordinaire, ne faisait jamais part de ses émotions, se retrouvait à supplier son collègue d'arrêter. Mais, étonnamment, l'irakien ignora ses suppliques. D'un geste maîtrisé, il plaça la pince sur son majeur et retira un ongle supplémentaire. Brandon gueula de toutes ses forces. S'en était trop pour lui. Contre son gré, on était en train de le mutiler vivant. S'adonnant à la douleur, Zaeed en extirpa un troisième, puis un quatrième, décollant ses trophées de la chair de son frère d'armes. Et puis, soudain, il s'arrêta, s'en retournant vers sa caisse à outil. Il y déposa ses tenailles, sentant qu'on l'épiait depuis le bout de la pièce. Brandon avait levé les yeux vers le bourreau, retroussant ses lèvres de colère.
_ Je suis prêt à parier que c'est quelqu'un qui t'as payé pour le faire, lui rapporta l'arabe, moqueur. C'était quoi alors, la raison ? La boite noire, peut-être ? C'est vrai qu'elle doit avoir une sacrée valeur. Quelqu'un d'autre cherche à la récupérer ? Pour qui tu travailles ? Réponds moi !
_ Va chier...
_ Tu veux jouer Brandon. Alors, on va jouer.
L'irakien leva une main au dessus de lui, l'abattant avec une force déconcertante contre la joue de son collègue. Une flaque de sang se répandit contre le sol tandis qu'il le frappait, encore. Des flots de liquide jaillirent des pores de son compagnon, éclaboussant son visage vitreux. Sans opposer la moindre résistance, Brandon encaissa, se contentant d'attendre. Essoufflé, son tortionnaire finit par s'arrêter, portant ses mains à ses yeux. Un torrent de fluide rougeoyant ruisselait entre ses doigts. Sans comprendre pourquoi, il se mit à trembler, répugné par cette vision d'horreur. Le tireur d'élite se redressa péniblement, vomissant une cascade pourpre sur le côté. Défiguré, le pauvre homme était recouvert de boursouflures. Son visage tournait déjà au violet. Par endroits, sa peau s'était déchirée, dévoilant le métal qui lui recouvrait les os. Son nez était légèrement de travers. L'arabe l'avait frapper si fort qu'il le lui avait cassé. Une mare de sang s'échappa de ses naseaux, dégoulinant sur ses vêtements.
_ C'est tout ce que t'as, souffla difficilement le prisonnier, défiant l'irakien du regard.
_ Non, pas tout...
Le bourreau retourna à la mallette. Il regarda son contenu un moment, jetant finalement son dévolu sur les cisailles. Un instant, il se demanda si toute cette mascarade en valait vraiment la peine. Un instant, il se demanda si Brandon savait vraiment quelque chose. Après tout, peut-être que Taylor s'était trompé ? Peut-être qu'il n'était pas à l'origine de ses maux ? Pourtant, il ne pouvait plus faire marche arrière. Plus maintenant. Zaeed se retourna vers la victime de ses sévices, ses hurlements résonnant déjà dans sa tête.