3, 4 et 5
« Ooooh ! » admirent en cœur les trois Techs.
Mok se demande bien pourquoi. Ils sont entrés dans une vaste salle contenant quelques écrans allumés et d'énormes blocs métalliques aux formes aussi déchirées et apparemment inutiles que les piles de déchets du Ghetto. Pour les trois autres, il s'agit d'ordinateurs techs plus énormes encore que ceux du laboratoire. Ils ont senti leur aura dès qu'ils sont entrés dans le bâtiment et ils ont sans hésiter grimpé jusqu'au sommet de la tour abritant les appareils les plus hauts de gamme, jusqu'à arriver au cœur du système, l'endroit d'où partent toutes les connexions avec les fabuleux engins de l'espace. Même sans entrer dans les programmes tech, les trois enfants peuvent sentir les effets des courants techs surpuissants comme un vent tourbillonnant envahissant la pièce.
Les adultes présents les ignorent, tous très concentrés et au moins aussi excités qu'eux devant leurs écrans et leurs boutons. Ils se parlent très vite et s'écoutent peu, passant parfois d'un écran à l'autre avec brusquerie. Et la plupart d'entre eux portent des blouses blanches, comme les adultes du laboratoire : les petits Techs se retrouvent en terrain familier. Ils s'avancent sans hésiter au milieu des machines. Mok est le seul à regarder où il va et suit le mouvement avec un léger recul, au cas où ces gens étranges seraient finalement hostiles.
Il faut que l'un des scientifiques percute 5 de plein fouet pour enfin s'apercevoir de leur présence. La femme est très grande et même si 5 est elle-même assez élancée pour son âge, elle ne lui arrive qu'au nombril ; le choc l'aurait fait tomber si elle n'avait pas été rattrapée par 3 et 4 d'une manière parfaitement synchronisée. Immédiatement Mok sort son tournevis, se demandant pourquoi 3 ne sort pas son pistolet pour défendre sa sœur. Mais la femme se répand immédiatement en excuses et aide la fillette à se remettre à l'aide d'une chaleureuse tape dans le dos qui en aurait assommé une autre moins costaud. Puis, après un instant d'hésitation, elle leur demande :
« Mais qui vous a fait entrer ? Vous êtes avec vos parents ?
Tandis que les Techs hésitent à répondre et que Mok range précautionneusement son arme, elle demande d'une voix forte à la ronde :
— Hé, à qui sont les gosses qui traînent, là ?
Les autres la regardent, surpris, regardent les enfants, et secouent la tête avant de revenir à leurs préoccupations. Certains avaient aperçu les petits du coin de l'œil mais avaient supposé que s'ils étaient entrés dans cette zone de haute sécurité tech, c'est qu'ils avaient toutes les permissions nécessaires et qu'ils accompagnaient leurs parents. Le fait que les parents en question se soient volatilisés et qu'il est visible que les quatre enfants n'ont aucun lien de parenté ne les a pas perturbés. Depuis quelque temps, des évènements étranges et passionnants se déroulent dans l'espace et chacun d'eux est sur le pont sans arrêt, ne se préoccupant plus guère du monde des rampants. L'un d'eux finit tout de même par s'arrêter et demander timidement :
— Ce ne sont pas les tiens, Cassidy ?
Celle-ci le foudroie du regard. Faisant partie des rares à avoir des enfants dans ce métier si chronophage, elle sait que beaucoup de gens considèrent ses interminables journées de travail comme la preuve qu'elle est une mauvaise mère. Elle répond donc sèchement :
— J'ai des jumelles de quatre ans, et je sais encore les reconnaître, je te signale.
L'autre s'excuse en rougissant. Il a une trentaine d'années mais est aussi timide qu'au temps difficile de son adolescence, lorsqu'il séchait les cours pour construire ses prototypes révolutionnaires. Il a un faible certain pour Cassidy Heartway, mais son incapacité totale à se rappeler qu'elle a une vie privée est un handicap important dans ses tentatives maladroites. Pour rentrer à nouveau dans ses bonnes grâces, il lui propose de les ramener jusqu'au poste de sécurité et de charger un gardien de retrouver qui ils sont et où sont leurs parents. Heartway acquiesce, esquisse un geste pour retourner à son travail, puis choisit de les accompagner. Son collègue a beau comprendre les particules de matière obscure, elle doute qu'il soit capable d'en faire autant avec les étranges créatures que sont à ses yeux des enfants.
Tout cela est bien entendu décidé sans consulter les petits. Et c'est sans consulter les grands que 3, 4 et 5 décident de leur côté qu'ils ne sont certainement pas venus jusqu'ici pour se faire refouler au dernier moment, et qu'il y a beaucoup trop d'activité tech dans le secteur pour repartir si vite. Bien sûr, ils ne pourront pas rester éternellement sans perdre trop d'énergie mentale et se coller une migraine carabinée, mais au moins il faut qu'ils tentent d'en profiter un maximum avant que les adultes ne s'en mêlent et que Josh Malone ne débarque en catastrophe.
— On monte ! » dit 5 à Mok en le tirant par le bras.
Et ils grimpent rapidement sur l'ordinateur le plus proche. Ses composants techs, à nu, écorchent les mains de Mok jusqu'à ce que 5 s'en aperçoive et adoucisse les formes sous ses paumes. Quant à eux, ils n'ont aucun souci : leurs mains lisent les programmes au fur et à mesure qu'ils s'appuient sur les angles et les tiges des composants informatiques, sans ressentir la moindre douleur. Une fois perchés, les trois Techs s'installent le plus confortablement possible, préviennent Mok de les réveiller s'il y a un problème, et entrent dans les puissantes machines. Le garçon s'étonne de les voir tomber dans le sommeil aussi vite mais ne perd pas de temps en suppositions : là, à portée de main, se trouve le pistolet sans défense de 3. Mok se glisse vers elle avec la prudence et la délicatesse d'un chat venant voler l'os d'un rottweiler.
Pendant ce temps, les trois Techs glissent mentalement d'un programme à l'autre. Ces machines n'ont pas le moindre contact avec le Réseau mondial, mais le courant tech est tout de même très puissant, et 5 tisse rapidement un programme protecteur autour de leurs trois esprits. Le Réseau local englobe tous les ordinateurs de la salle et se poursuit au-delà. 3 et 4 suivent aveuglément 5 tandis qu'elle farfouille allègrement parmi les données, emmagasinant des informations disparates pour mieux tenter de les comprendre plus tard.
Mais, si 4 est fasciné par la moindre photo d'étoile, la fillette quant à elle se lasse vite des interminables colonnes de chiffres. Il y a quelque chose au-dessus d'eux, quelque chose de relié au Réseau local mais d'impossible à distinguer à distance car il est blindé de codes de sécurités. Preuve que c'est quelque chose d'intéressant, se dit 5 qui commence à avancer. Par habitude, elle remet en place derrière eux tous les codes qu'elle ouvre devant elle, et ne paraît pas avoir la moindre difficulté dans la manœuvre. Son frère se dit qu'elle a encore progressé. Peut-être même est-elle plus forte que 2. Il la suit sans hésiter. Le programme de 5 leur permet de se déplacer en utilisant peu d'énergie et 3 est presque à l'aise. Elle aussi admire le talent de sa petite sœur, mais redoute qu'elle ne soit en train de foncer vers la source d'ennuis la plus proche. Elle ne lui fait pourtant pas la moindre remarque. Sa sœur est ici sur son territoire.
Derrière les codes se trouve un tourbillon. Les données tech admises à passer sont aspirées avec violence et condensées en éléments si minuscules qu'ils semblent disparaître. Non, ce n'est pas un tourbillon, c'est un véritable trou noir ouvert au milieu de l'ordinateur tech, prêt à tous les broyer.
5 accroche solidement son frère et sa sœur au mur de code. Elle-même ne se tient que par un mince filin. Elle le programme pour s'agrandir au fur et à mesure qu'elle avancera. C'est alors que 3 et 4 comprennent qu'elle a bien l'intention d'aller jusqu'à toucher cette anomalie destructrice. Ils l'appellent en vain : elle refuse de se laisser toucher par leurs pensées et n'a aucun mal à créer une enveloppe protectrice entre eux et elle, contrairement aux deux autres qui ont toutes les peines du monde à l'atteindre au milieu de l'abominable aspiration.
Qu'est-ce que c'est que ce truc ? demande 3 à son frère avec peur et colère. 4 réfléchit. D'après les informations trouvées dans les ordinateurs, ça pourrait très bien être le super-Réseau qui permettrait de communiquer avec les fusées et les satellites techs envoyés dans l'espace. Il ne s'attendait pas à ce que ça ressemble à ce diabolique trou noir, mais après tout, rien des éléments techs qu'il a approchés jusqu'à ce jour n'a une aura plus grande qu'une centaine de mètres. Lui-même a une aura de trois mètres, six au maximum quand il est très stressé. Quelque chose capable d'envoyer son aura à des kilomètres de distance est forcément très différent de tout ce qu'il a connu jusqu'ici. Il envoie ses suppositions à sa sœur, ainsi que sa peur pour 5. Les informations qui sont avalées par le tourbillon parviennent peut-être à bon port en bon état, mais rien ne garantit qu'un esprit tech supporterait aussi bien le voyage.