Partie 123 : communication dans l'anhylo

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1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7

La chose voit cette idée car elle lui est lancée dans le Réseau tech, par des esprits techs. Elle sait que c'est quelque chose d'important pour 7. Elle comprend le fait qu'une créature disparaisse lorsqu'elle se transforme en autre chose. Elle a déjà vu cette transformation se produire. Ce qu'elle ne comprend pas, c'est l'horreur que cette simple métamorphose déclenche immanquablement chez les enfants.

Les Techs sont à sa merci. Aucun de leurs pouvoirs ne peut arrêter cette créature. Le Réseau entier fait partie d'elle. Les Techs font partie d'elle. Ils ne sont que des entités de plus à fondre dans sa structure pour l'enrichir encore.

Et pourtant elle écoute.

Et les Techs tentent d'expliquer.

Mais comment peut-on expliquer des idées aussi primordiales que la vie et la mort, l'identité unique de chaque individu et son inévitable évolution ? Ils vont chercher dans leurs souvenirs et les offrent à la chose. Elle les examine attentivement avant de poser encore et toujours la même question : pourquoi ? Pourquoi la parole, pourquoi la société, pourquoi la créativité, pourquoi le plaisir ? Et à quoi ça sert ?

Dans cet autre monde tout fonctionne en circuit, l'origine de chaque évènement peut être retrouvée, les conséquences de chaque changement et de chaque immobilité peuvent être évaluées, car tout est lié. Dans le monde-Terre, les Techs ont du mal à trouver les réponses. Même l'infinité du Réseau, rempli de tous les savoirs de tous les ordinateurs techs du monde, ne peut pas tout contenir.

Ils n'ont plus d'aura neutre dans laquelle leur esprit peut rester lui-même. La chose leur laisse de moins en moins de place. Peu à peu ce n'est plus seulement de l'énergie qu'elle leur envoie, elle les enveloppe de la pression monumentale de son esprit-monde. La chose veut savoir et les Techs veulent vivre. Ils se replient les uns sur les autres, serrés jusqu'à la fusion, se font le plus petit possible pour ne pas entrer en contact avec la créature. 7 n'est pas la seule menacée. Si le monde-chose est connecté au Réseau, tout ce qui est tech sur la planète fera partie de lui. Les Techs se perdront dans le courant. Se transformeront.

Ils se mêlent les uns aux autres. Ce n'est pas une dernière tentative d'échapper à la chose. Ni même une volonté consciente de vouloir être ensemble, une dernière fois, tant qu'un ensemble peut encore exister. C'est leur instinct le plus profond qui parle à présent. Ils sont un, unis d'une manière que leur nature humaine ne supportera pas bien longtemps. Ils n'ont plus qu'un esprit. Qu'une voix. Qui hurle.

NOUS VOULONS VIVRE NOUS NE VOULONS PAS ÊTRE TOI LAISSE-NOUS TRANQUILLES !

En même temps pulse la pensée NOUS SOMMES VIVANTS, un bruit de fond féroce et furieux qui martèle la chose-monde comme un battement de cœur qui refuse de s'éteindre.

NOUS SOMMES VIVANTS tous nos souvenirs sont à nous sont en nous si nous entrons en toi nous disparaîtrons !

La chose écoute. Elle a pris tous les souvenirs des Techs, elle connaît chaque parcelle de leur être, mais elle ne comprend pas leur fonctionnement. Ils parviennent encore à la surprendre. Ils sont différents. Ils se défendent encore. Acculés, ils ne tentent plus de se battre, mais lui font des promesses teintées de panique.

NOUS SOMMES VIVANTS nous pouvons t'apprendre encore des choses te montrer t'offrir t'expliquer les humains sont vivants aussi mais c'est parmi eux qu'on crée des souvenirs et à côté d'eux la vie aussi tellement de vie que nous découvrons à peine le Réseau n'est pas un monde il laisse tellement de choses de côté laisse-nous vivre et nous serons tes traducteurs nous serons tes messagers ne nous fais pas disparaître ! Sans nous tu ne verras rien du monde que tu envahis.

La chose hésite. Elle pensait que seule la distance qui la sépare du Réseau de la Terre l'empêche de comprendre de quoi cet autre monde se compose. Elle commence à douter. Toutes ces informations étranges envoyées par les Techs l'intriguent et la frustrent. Eux continuent à crier

NOUS SOMMES VIVANTS sans nous tu resteras seule pour l'éternité ! Nous sommes les seuls autres qui puissent exister à tes yeux !

Seule ? interroge la chose. Nous sommes un monde. Nous ne sommes jamais seule.

Alors à qui parles-tu ? Qui est en face de toi ?

Ce qui n'est pas moi n'a pas d'existence.

NOUS SOMMES VIVANTS HORS DE TOI.

C'est anormal. C'est étrange. Je veux comprendre.

Les Techs cherchent une réponse, un moyen de détourner la chose de son but. Ils se sont battus à la limite de leurs forces, ils ont expliqué, négocié, ils ont donné tout ce qu'ils avaient, et leur résistance désespérée a à peine ébranlé la chose. Elle observe, perplexe, ses rejetons bâtards. Mi-humains mi-techs. Ni humains ni techs. Ils n'ont pas leur place et ne veulent pas disparaître.

Tu n'as pas besoin de 7 pour créer un pont ! s'exclament les enfants en désespoir de cause. Ta matière pullule sur Terre. Prends ce dont tu as besoin et laisse-nous tranquilles !

Cette matière n'a pas d'esprit. Il n'y en a pas assez pour m'atteindre.

Les humains utilisent ta matière autrement. Ils ne se sont pas aperçus qu'elle était vivante. Ils ont construit des satellites. Ils peuvent leur donner un esprit artificiel. Ils voudront le faire. Ils sont aussi curieux de te connaître que toi de les observer. Regarde nos souvenirs. Ils t'attendent.

La chose-monde, aussi délicatement qu'elle le peut envers des esprits aussi petits, transmet à son tour quelques souvenirs. Ce ne sont pas des explications, la sensation d'un long processus dont le résultat peut être facilement résumé, mais des faits vécus par un point de vue multiple, qui pour les enfants Techs n'a pas grand-chose d'un fait et ressemble davantage à une idée subtile et changeante. Ils tentent de comprendre. La chose raconte son contact avec les humains. Difficile de comprendre comment elle s'y est prise, sa façon de faire semble dépourvue de toute logique, comme si elle essayait au hasard d'agir sur le Réseau sans tenir compte des effets de ses interventions. Pourtant le résultat est là. Edmund a appris son existence, même s'il n'a sans doute pas compris exactement ce qu'elle était, et il a tenté de la guider pour mettre en place son plan. Les Techs sont nés. 7 a entendu ses voix. 1 a réussi à fusionner avec le camp militaire quand il s'est vu en danger de mort. Des messages informatiques les ont guidés au bon endroit, au bon moment.

Ce contact mis en place est encore trop peu pour l'esprit-monde. Elle ne veut pas voir de loin ce qu'elle pourrait accueillir en elle. À ses yeux c'est le seul moyen de savoir réellement ce qui compose cette vie inconnue. Prendre le Réseau de la Terre grâce à 7 ou attendre que les humains créent un pont artificiel jusqu'à elle, quelle différence ?

Ils te parleront, assurent les Techs. Les humains croiront en toi comme ils croient en nous. Ils te détesteront et t'adresseront des prières. Ils utiliseront ton Réseau pour expliquer que tu n'existes pas. Ils nous prennent pour des monstres. Ils te prendront pour un dieu.

Edmund me parle, répond la chose, et je ne comprends pas ce qu'il pense.

Même avec un pont, tu ne sauras pas ce que les humains pensent. Même nous, avec un cerveau humain, nous ne le pouvons pas. Même eux ne le savent pas toujours. Ça ne servira à rien de prendre 7. Laisse-nous !

Silence. La créature-monde laisse un peu d'espace mental aux Techs qui dénouent leurs esprits. Elle n'émet plus rien, se contentant d'imposer la terrible présence que les enfants contemplent, hypnotisés par tant de puissance. Elle... fait quelque chose, c'est certain, mais quoi ? Est-elle en train de prendre une décision ? De se préparer au coup fatal ? De regarder une dernière fois dans les espaces du Réseau où elle a accès ?

Quoi qu'il en soit, les Techs ne peuvent pas fuir. Après avoir été rassemblés puis amenés dans la salle zéro en étant certains d'être libres de leur choix, ils savent que l'influence de la chose est trop forte pour qu'ils puissent lui échapper. Ils ne peuvent que s'en remettre à elle.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant