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Ils ne sortent pas à la lumière du jour. Rapidement, ils débouchent dans une immense salle chichement éclairée par quelques lampes, dotée d'un haut plafond voûté et métallique.
« C'est un ancien abri atomique. » dit Choy.
Puis il sourit à 2, lui fait un signe de la main et s'éloigne, rapidement englouti par la foule. 2 se sent abandonnée. Les rebelles sont des centaines et tous la regardent. Les murmures sont amplifiés par la configuration de la salle et le bruit est assourdissant, sans qu'elle puisse comprendre un seul mot. On la conduit brutalement au centre de la pièce. Les gens s'écartent d'elle sans cesser de la fixer et la Tech ressent leurs regards effrayés ou furieux comme autant d'humiliations. Elle a su grâce à 4 ce que les trois petits avaient vu dans la manifestation anti-tech, mais elle n'avait pas ressenti la haine avec eux et elle n'avait pas réalisé ses terribles ravages. Jusqu'à maintenant.
Puis elle repense au message désespéré de 5, celui que Choy a trouvé si humain. Faut-il donc souffrir pour être humain ? Si c'est le cas, elle devrait montrer qu'elle est déstabilisée. Mais elle refuse de leur faire ce plaisir. Au contraire, elle marche en se tenant très droite, avec un orgueil qu'elle n'avait jamais montré jusque-là. Après tout, elle a empêché le massacre des habitants des Ghettos. Tous les rebelles qui lui font face devraient lui être reconnaissants.
Peu à peu un certain calme s'installe et tout le monde s'assoit par terre, sauf elle et ceux qui sont chargés de la surveiller. On ne l'a pas attachée mais on la menace en permanence. Choy avait raison, certains font tout pour qu'elle prenne une balle qu'on pourrait qualifier d'accidentelle ou, pire encore, de légitime défense. La jeune fille décide de se tenir tranquille et de défendre sa cause dans la dignité, non seulement par prudence et pour l'honneur des Techs, mais aussi pour faire les pieds à tous ceux qui s'attendent à la voir se battre.
Au premier rang, elle reconnaît Nora Milley. Ça lui donne un coup au cœur. Elle n'arrive toujours pas à réaliser qu'elle a été trahie et enlevée par la propre fille du professeur Milley. 2 ne peut plus détacher son regard de Nora. Et c'est réciproque. La Tech se demande ce que Nora voit en elle. Est-ce la jalousie envers les enfants qui lui ont volé sa mère qui la fait agir ? Ou est-ce qu'elle croit réellement en sa cause ?
2 ne détourne les yeux qu'en entendant la voix grave et paisible de Choy se détachant dans le silence :
— Cette jeune femme est Betsie, la deuxième enfant Tech créée par l'équipe Milley et Stones, dans le plus grand secret, sur l'île Jacob. Vous connaissez tous ses capacités : elle peut soumettre la matière tech à sa volonté, y compris l'informatique. Ce qui en fait une arme extrêmement puissante, que nous ne voulons pas voir aux mains de nos ennemis. Mais, alors même qu'elle était aux mains de cet ennemi, elle l'a trompé en sabotant la destruction des Ghettos, qui aurait été le plus crime le grave commis par l'A.G.N. depuis sa création. Certains parmi nous estiment donc qu'elle serait notre alliée naturelle contre la SRAM et l'A.G.N.. D'autres jugent qu'une création en tech ne peut être qu'une créature de la SRAM et qu'il serait impossible de s'y fier. C'est pourquoi, à présent qu'elle est parmi nous et peut répondre à nos questions, nous devons décider si nous allons la considérer en tant qu'être humain ou en tant qu'objet. Ensuite, nous déciderons de ce que nous ferons. Qui s'oppose à cet ordre du jour ?
Choy est debout lui aussi, sur une estrade au fond de la salle, et parle dans un mégaphone. À ses côtés se trouve un immense gong de cuivre. Il guette les mains levées dans la salle et déclare :
— Vote minoritaire. L'ordre est accepté.
Il frappe le gong et laisse lentement le silence revenir. Puis poursuit :
— Avant de commencer, je dois vous informer que Betsie a posé une question qui me paraît concerner ce Conseil. Je crois poli d'y répondre avant de la harceler par les nôtres. Qui s'y oppose ?
Le nombre de bras levés est plus grand, mais reste minoritaire. Choy frappe à nouveau le gong. Ce rythme lent horrifie 2. On va juger son humanité. Et le résultat sera frappé sur le gong. Il sera sans appel. Un son tranchera son sort et son identité. De quel droit ? Elle pose son poing sur ses lèvres et serre de toutes ses forces pour masquer sa terrible envie de hurler.
Choy continue :
— La question de Betsie était : qu'est-ce que nous lui voulons et pourquoi l'avons-nous enlevée. Pour y répondre, je nomme Nora Milley.
Nora se lève et marche entre les gens jusqu'à atteindre l'estrade et le mégaphone. Certaines personnes assises entre 2 et l'estrade se tournent vers elle, mais la plupart continuent à fixer 2.
— Heu... commence maladroitement Nora. Heu, il faut que tu saches, 2... enfin, Betsie... Je veux dire, on avait... Bon sang, Choy, pourquoi moi ?
— Parce que depuis le début, tu as brillamment défendu l'idée qu'on devait les rechercher, puis les tuer, puis les enlever. Tu es la mieux placée pour exposer tes arguments.
— Oui, mais...
La tuer ? En entendant ce mot, les pires craintes de 2 sont confirmées. Elle s'écrie :
— C'est parce que tu es jalouse de ta mère ?
Un moment, elle se demande si on l'a entendue depuis l'estrade, puis entend Choy dire :
— Nora, tu n'es pas obligée de répondre à cette question-là devant le Conseil.
Nora inspire longuement puis reprend la parole d'une voix plus assurée :
— Nous avons décidé de considérer les Techs humains comme une menace, à cause du trop grand pouvoir qu'ils accordent à ceux qui sont déjà des tyrans, et qui marginalisent des êtres humains sur la base de la richesse. Je veux que tu saches, Betsie, que moi je te considère comme un être humain, pas un robot de la SRAM. Mais j'étais d'accord pour te tuer. Pour la cause. Pour en sauver des milliers d'autres. Lorsque nous avons mangé ensemble, j'étais chargée de vous empoisonner tous les deux. J'ai pris la décision de ne pas le faire quand je t'ai entendue parler des HR et de la SRAM. J'ai compris que vous pouviez rejoindre nos rangs et mettre vos pouvoirs au service de la justice. Ensuite, en entendant que vous aviez détruit les Ghettos, j'étais anéantie. Mais j'ai tout de même voté votre enlèvement plutôt que votre assassinat. Je pensais que sans la pression du gouvernement, vous pouviez nous rejoindre. Le fait que vous ayez menti pour sauver les habitants des Ghettos le prouve. Ce que nous voulons, c'est votre aide, à vous les Techs humains, pour abolir les privilèges dus à la matière tech.
— Est-ce que ça répond à ta question ? demande Choy. Betsie, lève la main pour dire oui.
2 hésite. Il y aurait beaucoup d'autres choses qu'elle voudrait demander à Nora Milley. Mais les quelques réponses qu'elle a obtenues l'ont déjà assommée. Elle lève la main. Le gong résonne.
— À présent, pour décider de la manière dont nous devons traiter les Techs humains, je vais faire intervenir Betsie, Nick Adams et Moose.
Des protestations s'élèvent de toutes parts contre ce manquement aux règles de sécurité. Les gardiens de 2 hésitent.
— S'il y en a qui ont peur, dit Choy, vous pouvez la menotter.
Personne ne le fait. Personne n'admet avoir peur de la Tech, seule et désarmée contre tous, séparée du Réseau qui assure sa toute-puissance. Les gardiens l'amènent sur l'estrade où Adams et Moose l'attendent. Et Choy. 2 passe près de lui sans le regarder. Elle se sent trahie dans sa confiance. Celui à qui elle parlé librement, comme à un ami, a pris des allures de juge. De juge plutôt bienveillant, mais ça ne change rien au fait qu'il ne l'ait pas prévenue. Qu'il ne lui a jamais dit qu'on allait évaluer son humanité. Qu'il la testait, pendant toute leur conversation, sans qu'elle le sache. Au moins au B.A.G.N. les agents étaient facilement repérables. Ils tentaient d'être aimables sans parvenir à cacher leur peur et parfois leur répulsion. Choy, lui, a été vraiment gentil et 2 a cru à sa sincérité.
La jeune fille attrape le mégaphone et déclare très sérieusement :
— Pour commencer, je dois vous dire que vous ne savez pas comment me traiter, mais moi je ne sais pas comment vous traiter non plus. Je suis censée être née pour servir et protéger l'humanité. C'est ce qu'on m'a dit, c'est en ça que je crois. Mais vous avez fait des choses que je dois vous empêcher de faire. Et vous les avez faites pour lutter contre une situation injuste, contre laquelle je suis censée lutter aussi. Alors...
Les HR réagissent vivement à ces mots, jusqu'à ce qu'il soit impossible à la jeune fille de se faire entendre dans le brouhaha. Entre les applaudissements, les huées et les cris, elle ne parvient pas à savoir si ce qu'elle entend est bon signe ou pas. L'un des hommes de l'estrade, Adams, lui arrache le mégaphone des mains, avant de se le refaire confisquer par Choy qui appelle vigoureusement la salle au calme. Mais même lorsque le niveau sonore redevient acceptable, il ne rend pas tout de suite le mégaphone à 2 et déclare :
— La question de Betsie est tout à fait pertinente et sera traitée dans un second temps. Et si vous voulez la convaincre de votre bonne foi, vous feriez mieux de mesurer soigneusement vos paroles dès à présent.