1
1 est installé dans le corps de 6 qu'il remet debout dans un réflexe de fuite. Il faut absolument qu'il sorte son frère de là.
Mais 6 n'est pas d'accord. Si Ève travaille pour Edmund et que ce type peut sauver 2, alors 6 est prêt à coopérer et autant qu'il le faudra. 4 l'approuve timidement.
1 serait bien tenté d'imposer sa décision sous prétexte que ses frères sont trop petits pour prendre eux-mêmes les bonnes décisions, mais il lit directement dans leurs pensées et leurs raisons sont parfaitement valables.
Il peine à se remettre du choc. La fuite, l'agression, Sanx, tout ça pour au final revenir se jeter dans la gueule du loup...
Et si c'était lui qui faisait fausse route depuis le début ? Lui qui, recherchant un ennemi à abattre, s'est focalisé sur celui qui détient les professeurs ? Oui, le professeur Milley a semblé lui indiquer de ne pas faire confiance à Edmund. Mais est-ce qu'elle laisserait une situation pareille perdurer ? Après tout, n'a-t-elle pas elle-même fini par accepter de collaborer avec lui, faute d'autre solution ?
1 laisse donc 6 annoncer à Ève qu'ils acceptent de leur faire confiance et les aideront pour retrouver 2.
« Il faut que tu me dises où vous êtes, demande Hindgam.
— Non, répond 1. J'ai déjà un contact avec Edmund, je négocierai directement avec lui. Si c'est une condition pour retrouver notre sœur, on se rendra. Mais ça peut attendre.
— Il ne veut pas vous faire prisonniers, juste...
— Je sais ce qu'il veut. »
Après quoi 1 retourne à son corps. Il doit partir maintenant. Même s'il sait dorénavant que où qu'il aille, quoi qu'il fasse, il n'échappera pas à M. Edmund. Il a été créé par cet homme, pour servir ses intérêts. Edmund connaît tout de lui tandis que 1 ignore tout de son ennemi. Edmund sait tout sur tout le monde. Il a des fidèles partout. 1 n'a que ses frères et sœurs. 6 est déjà tombé entre ses mains — et volontairement. 2 ne va pas tarder à être sauvée par lui et elle restera sa prisonnière, quoi qu'en dise Hindgam. Il va tirer 3 et 5 du Ghetto. Il ne mettra pas longtemps à terminer son œuvre. Tous les Techs lui appartiendront. Ils seront choyés et on leur bourrera soigneusement le crâne pour qu'ils obéissent sans discuter.
Car après tout, si tout s'était déroulé comme prévu, 1 et 2 seraient sortis de l'île de temps en temps pour exécuter les ordres qu'on leur aurait donnés. Ils n'auraient rien connu du monde à part la masse d'informations déjà triées circulant dans le Réseau. Ils n'auraient pas réfléchi aux conséquences de leurs actes. Ils auraient fait aveuglément confiance à leurs maîtres, à ceux qu'ils prenaient pour leurs parents. Mais qui manipule les professeurs, depuis le début ? L'Alliance, la SRAM, et Edmund. Officiellement, c'est l'Alliance qui a créé les Techs. Tout aussi officiellement, la SRAM l'a aidée. Et à un moment, un challenger officieux a infiltré le laboratoire. Combien de ses membres étaient des agents en secret, agents doubles, agents triples ? Quelles guerres se cachaient derrière les allusions et les non-dits ?
À présent que 1 refuse de suivre cette voie, on s'est arrangé pour qu'il n'ait pas le choix : la vie de ses sœurs en dépend. Il envoie les coordonnées du Ghetto où 3 et 5 sont prisonnières à Edmund : tenter de les soustraire à son influence n'a plus aucun sens désormais, ou plutôt il doit utiliser une autre méthode, pour qu'ils s'en sortent tous les sept. Tant que l'un d'entre eux restera prisonnier d'Edmund, ils seront tous tenus en laisse.
3 et 5
Il y a peu de lumière dans la petite pièce lépreuse. Celle-ci est moins décrépite que celle qu'on a donnée à 3, mais il n'y a aucune fenêtre. Impossible de savoir où se trouve l'extérieur. Les deux fillettes pourraient aussi bien être dans une cave que dans un appartement censé dominer le paysage. Quoiqu'aucun des immeubles du Ghetto n'est assez grand pour permettre de voir au-delà des murailles. Histoire de ne pas donner des idées aux prisonniers...
Les deux enfants attendent en silence, chacune ruminant dans son coin, guettant le moment où Mok viendra. Et s'il ne vient pas... Et s'il ne porte plus le blouson tech... et si leur plan ne marche pas... et si elles sont blessées... et si elles sont tuées...
Et pourtant il faut qu'elles essayent.
Au bout de ce qui leur paraît durer des heures, Mok remplace le gardien précédent. Il a un grand sourire charmeur et paraît ravi de retrouver ses Princesses-Esprit qui vont le rendre riche. 5 lui répond par un grand sourire également. Elle et 3 sont ravies de retrouver leur billet pour la sortie.
Prête ? demande 5 à 3.
Vas-y ! répond 3 – car plus grande ou pas, il est évident pour les deux sœurs que c'est 5 qui va s'occuper de la partie "manipulation tech" de leur plan.
5 se concentre et bloque mentalement les deux manches du blouson, le transformant en camisole de force. Mok, stupéfait, en est encore à tenter de dégager ses bras quand 3 s'avance et lui prend son pistolet. Après réflexion, elle le fouille rapidement et enlève un couteau de la jambe de son pantalon, une lame de rasoir de sa ceinture, deux chargeurs de ses poches et un tournevis effilé qui tenait en place une partie de la masse de ses cheveux. 5 siffle d'admiration à la vue de ce butin et confisque immédiatement le couteau et le pistolet.
Ça va ? demande 3. Ne tire pas trop sur tes forces !
Aucun problème, je gère.
5 ne ressent aucune fatigue : elle a modifié le tissu pour que les manches s'agrippent aux flancs de la veste et Mok a beau gesticuler comme un damné, il ne peut pas s'en dépêtrer. Elle braque sa propre arme sur lui, tenant le couteau dans l'autre main, et dit :
« Ne crie pas.
Haletant, Mok finit par se calmer.
— On va vous buter, dit-il en leur lançant un regard noir.
— Si on meurt, tu meurs avec nous.
5 resserre le col du blouson jusqu'à ce que Mok commence à être étranglé. Elle le laisse suffoquer quelques secondes avant de laisser à nouveau l'air passer. Penché en avant, il prend de grandes goulées d'air le plus silencieusement possible. Puis il se redresse et leur dit avec un petit sourire narquois :
— Si j'y passe avec vous et j'y passe avec Thune, je préfère crever avec Thune.
— Mais il ne va pas nous tuer, dit froidement 3. Sans nous, pas d'évasion.
— Il va vous foutre au trou...
— Mok, dit 5, est-ce que tu préfères mourir ou nous aider ? Parce que si on te tue, on n'a qu'à utiliser nos pouvoirs pour faire pareil avec le suivant, et le suivant encore, et à la fin on arrivera bien à en trouver un qui va dire oui.
Mok ne dit rien. 3 déclare brusquement :
— Victoria, donne-moi le couteau. Si tu lui tires dans la tête, ça va faire trop de bruit.
— T'as le tournevis.
— Si je lui plante dans la tempe, ça va durer des heures...
— Oui, mais si tu l'égorges, il y aura du sang partout !
Hé, demande 5 qui commence à se poser des questions, on plaisante, hein ? On le tue pas pour de vrai !
En face, aucune réponse. Et le sang-froid avec lequel 3 joue son rôle — elle qui est si mauvaise menteuse — commence à donner le frisson à sa sœur. Finalement, la plus grande Tech consent à laisser 5 entrer en contact avec elle : bien sûr qu'on ne le tue pas. Même si j'aimerais bien, ce serait quelque chose de mal et c'est interdit.
De son côté, Mok ignore ce que signifient les mots "tempe" et "égorges", mais il a saisi le sens général. Il n'est pas le plus fanatique des combattants de Thune, jusqu'ici il est monté en grade en étant intelligent et capable de saisir les opportunités qui se présentent à lui. Il décide de collaborer.
— C'est bon. Je vous suis. Mais ça va pas marcher.
5 le libère, tout en le tenant en joue, tandis que 3 dit :
— On a besoin que tu nous ramènes deux capuchons noirs et des armes, de préférence des pistolets mitrailleurs et des fusils.
— Trop gros pour vous.
— Il y a des gosses plus petits que nous ici ! proteste 5 vexée.
— Il faut que ça fasse beaucoup de dégâts, ajoute 3, pas besoin d'être précis.
— Et si jamais tu nous doubles, rajoute 5, tu vas crever étranglé. Tout ce que tu vas faire, je le saurai. Et je pourrai serrer...
— Ramène-nous aussi nos vêtements, dit 3.
— Et reprend tes armes, dit 5, elles ne te servent plus à rien contre nous. »
Mok ramasse ses armes, défie les Techs une dernière fois du regard puis tourne les talons. Il frappe à la porte et crie « Message pour Thune ! » pour qu'on lui ouvre et qu'on le remplace. Personne ne remet en cause ce qu'il dit et personne ne l'accompagne pour vérifier qu'il va bien voir Thune. Et personne ne regarde ce qu'il y a dans le paquet qu'il ramène plus tard, soi-disant sur ordre de Thune. Aucun combattant n'est censé défier leur chef à tous. Aussi Mok n'a aucun mal à ramener dans la cellule deux capuches noires, deux armes à feu et tous les vêtements techs sur lesquels il a pu remettre la main.
« J'ai pas tout, se défend-il, les gars se sont servis.
— On fera avec. » dit 3 qui examine les armes.