1
1 se réveille brusquement. Une voix. Quelqu'un. Qui ? Ami ou ennemi ? Où est-il ? Il a dormi... Quelle heure est-il ? Non, c'est bon il a encore le temps avant le rendez-vous d'Edmund.
Il est chez Sanx. Et quelqu'un d'autre est là. La voix grave qui l'a réveillé demandait négligemment :
« Allons bon, c'est qui encore celui-là ?
1 se redresse du canapé où il s'était écroulé à nouveau, pendant que Sanx répond :
— Un pote qui a des problèmes avec un tas de gens.
— Tous tes potes ont des problèmes, et en général c'est parce qu'ils te connaissent.
— Statistiquement parlant, c'est pas faux. Salut, au fait. »
L'homme ne répond pas et quitte la pièce. Sanx le suit nonchalamment. 1 reste un moment médusé, puis se dit que puisque Sanx a l'air aussi tranquille, il gère la situation. Et 1 de son côté a déjà trop dormi, il est grand temps qu'il retourne dans le Réseau s'organiser avec les autres. Dans la pieuvre il ne trouve que 4, fou de joie de retrouver enfin son frère et d'avoir quelqu'un pour lui dire quoi faire. Un instant, 1 est tenté de lui dire qu'il ne devrait pas compter sur les autres pour ça, qu'il ne sera libre que lorsqu'il prendra ses propres décisions... Mais, étant donné leur situation, ce serait une responsabilité trop écrasante pour le petit garçon.
En tant qu'aîné, qu'adulte, c'est à 1 d'assumer la direction des opérations. Rien de nouveau concernant le Ghetto, il dit à 4 qu'il va partir dès ce soir avec les troupes d'Edmund pour délivrer leurs sœurs. Puis les deux Techs partent vers les fichiers du B.A.G.N. pour retrouver la trace de 2 et 6. C'est alors qu'ils croisent le message d'alerte indiquant que les deux Techs ont été attaqués.
Paniqués, 1 et 4 tentent d'entrer dans le système de sécurité de la maison présidentielle, mais tout le Réseau du lieu est fractionné, chaque fil d'or mène à un cul-de-sac. 1 et 4 unissent leurs forces pour accélérer le processus de réparation, mais c'est long et épuisant.
Il faut qu'on trouve un autre passage, décrète 1. On se sépare. Fais très attention à ne pas te retrouver piégé. Garde un fil de sécurité qui te relie à la pieuvre. Comme ça.
L'aîné des Techs crée un programme les reliant tous les deux à la pieuvre-abri fabriquée par 5. Le Réseau fissuré ressemble à un labyrinthe en trois dimensions dont les éléments bougent sans cesse, tentant fébrilement de réparer eux-mêmes les fils d'or brisés. L'esprit des Techs est capable de contrôler les mouvements de la matière tech et du Réseau. Mais pas de contrôler autant de mouvements en même temps. Eux qui se dirigent d'habitude en pensant à leur but pour s'y rendre instantanément, ils n'ont plus de destination en vue, ils ne peuvent qu'avancer en suivant une direction au hasard. Ils avancent à la vitesse de la pensée, mais c'est encore insuffisant. Ils tournent en rond.
Très vite 4 est distancé. 1 a plus d'expérience et parvient tant bien que mal à maintenir un semblant de cap. Au bout d'un moment, il parvient à retrouver une trace familière. Bien que son passage ait à peine modifié le Réseau, aucun doute, 6 est passé par là. 1 remonte la piste des traces de son frère, traquant le moindre signe dans le labyrinthe, et au bout de nombreux tâtonnements il parvient à trouver 6 tout entier, en train de crier qu'il est prêt à tuer, avant de tomber en larmes dans les bras d'Hindgam. 1 entre en contact mental avec le petit garçon et voit ce qui s'est passé. Il tente aussi de consoler 6 et lui promet qu'ils vont réussir à retrouver leur sœur. La réaction de 6 est plutôt partagée. Il est content de ne plus être seul. Et en veut à 1 ne de pas avoir protégé 2. C'est une colère froide et tranchante que 1 n'avait encore jamais rencontrée chez son frère, un ressentiment injuste mais impossible à nier.
Hindgam parle de ses relations qui pourraient retrouver 2 et 1 préfère se concentrer sur la conversation, se demandant bien d'où cette aide miraculeuse peut bien venir.
6
6 est pelotonné dans un coin, le pouce dans la bouche, les yeux dans le vague, encore sous le choc. Ève ne sait pas comment réagir. Elle s'attendait à ce qu'il pleure, qu'il hurle, en un mot qu'il se comporte comme un enfant malheureux. De son côté, elle a fait ce qu'elle a pu pour organiser les recherches, mais bien sûr les agents de la sécurité ont repris les choses en main. Peu à peu mise à l'écart, elle finit par s'asseoir à côté de Steven. Elle lui pose machinalement une main sur l'épaule. À sa grande surprise, il parle :
« Ils vont la tuer ?
Pas besoin de lui demander de qui il parle. Hindgam se demande quelques instants si elle doit ignorer la question ou lui dire que tout va s'arranger. Mais elle le connaît suffisamment pour savoir qu'il n'est pas assez naïf pour y croire. Pour l'instant, il est essentiel de ne pas perdre sa confiance.
— Je pense que non, sinon ils l'auraient tuée tout de suite. Ils veulent quelque chose. Et ils ont besoin qu'elle aille bien pour ça.
— Et après ? On va aller la sauver ?
— Il y a plein de gens qui sont en train d'aller la sauver.
— Je veux venir !
Il n'y a plus aucune trace d'apathie chez 6 qui s'est redressé, flambant de colère.
— Je veux venir avec vous ! Je veux tous les tuer !
— Non, tu ne viens pas avec eux et tu ne vas tuer personne. Bon sang ! C'est comme ça qu'on t'a éduqué ?
— Je m'en fous !
Enfin, les premières larmes apparaissent dans les yeux de 6. Il les essuie d'un poing rageur, mais d'autres suivent. Et il finit par sangloter dans les bras d'Hindgam. Qui lui murmure :
— Ne t'en fait pas. On va tout faire pour retrouver 2. Il n'y a pas que les lourdauds du B.A.G.N. J'ai lancé l'alerte. J'ai d'autres alliés, très redoutables. Ils sont en chasse. Ils la trouveront.
6 reprend son souffle et marmonne :
— 1 veut savoir si ils sont assez forts pour battre Edmund.
— Dis-lui que ce n'est pas M. Edmund qui a enlevé 2.
— Qui c'est alors ?
— On a plusieurs pistes.
— Il dit que ce n'est pas juste. Qu'on a besoin de tout savoir. C'est notre sœur !
— Et il va la sauver ?
— Oui ! Et je vais partir avec lui !
— Si 1 ressemble rien qu'un peu à 2, je sais qu'il ne t'a certainement pas demandé de venir. Il ne va pas t'exposer au danger. On protège les plus petits, hein ?
— Dis-lui que je dois venir !
6 ne supplie pas. Il montre juste son désespoir. Son regard repart dans le vague. Il a mal et voudrait arrêter tout ça. Juste un moment, un tout petit moment, mettre "pause" dans ce cauchemar... Hindgam finit par répondre :
— Dis à ton frère qu'on soupçonne Nora Milley d'avoir des liens avec les HR. C'est elle et son collègue Ned Jallow qui ont enlevé 2. On ne sait pas qui les a aidés en piratant le système de sécurité tech, et s'il le découvre, ce serait gentil de nous avertir. Il faut qu'on collabore sur ce coup-là, pour sauver 2.
— Il demande avec qui il doit collaborer et qui sont vos amis et où il peut les trouver.
Ève jette un regard fatigué autour d'elle. Puis se retourne vers l'enfant et lui — leur ? – fait un clin d'œil.
— On va parler de tout ça dans un endroit plus tranquille.
Elle se lève et signale à son assistant :
— Je vais mettre le petit Tech en sécurité. Si on a encore besoin de moi, tu m'appelles.
Elle sait bien que personne n'aura besoin d'elle, tout le monde est trop content qu'elle débarrasse le plancher. Et personne ne se donne la peine d'appeler Andrew Burther ou qui que ce soit qu'on pourrait estimer plus compétent qu'elle pour s'occuper du Tech. Elle leur enlève même un souci.
Elle prend 6 dans ses bras et, au bout d'une heure de passage de barrage et autres contrôles, elle finit par atteindre sa voiture et sortir. Bien sûr, elle n'a aucune autorisation pour faire quitter la maison présidentielle au dernier Tech qui reste à l'Alliance, surtout sans avertir personne qu'elle l'emmène. Mais le talent de 6 l'aide à tricher aux points de contrôle et nul ne pense à remettre en cause son autorité. Ce qu'elle fait peut être considéré comme un véritable enlèvement et un crime de haute trahison. Ou comme une aide qu'elle apporte à une amie : veiller sur son frère alors qu'elle ne peut pas le faire elle-même. Ou encore comme l'occasion de prendre l'avantage.
Elle emmène 6 chez elle. Dans la voiture, l'enfant lui dit :
— 1 n'est plus là. Mais il va revenir. Il y a quelque chose dehors qui lui parle.
— Dehors, tu veux dire là où est son corps ?
— Oui.
— Oh. Cool. Tant qu'on n'est que tous les deux, je vais te poser une question très importante. Est-ce que tu serais d'accord pour rester avec moi ?
— Je veux retourner avec les autres Techs !
— Oui, oui, je sais. Mais le grand est en train d'aller aider 2, et je ne crois pas que les autres puissent s'occuper de toi, si ? Ils sont où ?
— J'ai pas le droit de le dire.
— Tu peux aller avec eux ?
— Je peux me débrouiller tout seul.
— Tu ne préfères pas rester avec moi ? Je m'occuperai bien de toi, tu sais. Je ne dirai pas à l'Alliance où tu es. 2 voulait que vous vous évadiez. Tu serais évadé.
— Et toi ? demande l'enfant avec colère. Pourquoi tu veux m'emmener ? Tu y gagnes quoi ?
— Eh ben... dis-moi, c'est courant les gosses de six ans qui réfléchissent aussi vite que toi ? Ou ton frangin est revenu en douce ?
6 hausse les épaules. Les compliments, il s'en moque.
— J'y gagne, continue lentement Hindgam j'y gagne... J'y gagne parce que d'autres y perdent... Tu sais, le Président et le Premier ministre vous comptaient comme un instrument de pouvoir très puissant. L'armée et la SRAM voulaient vous récupérer pour la même raison. Et si tu viens avec moi, tu n'aides aucun de mes ennemis et ils perdent beaucoup d'argent, de temps et d'énergie, qu'ils avaient investis pour toi.
6 ne répond rien et regarde par la fenêtre, apparemment concentré sur les feux des voitures qui slaloment dans les rues. Ève se demande si elle n'a pas surestimé ce gosse. Puis il répond :
— Pourquoi tu dis que le Président c'est ton ennemi ? Je croyais que c'était ton patron.
Hindgam sourit pour elle-même. Non, elle ne s'est pas trompée.
— Justement... mais après c'est de la politique, c'est compliqué.
— Je demanderai à 1.
— On en discutera tous les trois quand il sera revenu, alors. Pour le moment je veux avoir ta réponse à toi.
— Il y a le Réseau chez toi ?
— Oui.
— Alors je veux bien. En attendant que les autres reviennent me chercher et qu'on rentre au laboratoire avec les professeurs.
6 sourit en pensant au laboratoire et à un monde où tout serait rentré dans l'ordre. Généreusement il ajoute :
— Et tu pourras venir nous voir là-bas.
— C'est gentil. »
Le reste du trajet se déroule en silence. Steven ne pose aucune question sur ce qui va lui arriver ensuite et Ève en est soulagée : ça lui évite de mentir.
7
L'heure tourne. Les sacs sont prêts. Les contacts de Charly lui ont répondu, lui donnant une heure et un lieu de rendez-vous. Ils attendent Breda.
Si elle était rentrée directement après avoir quitté le parc, elle devrait être ici depuis trois heures.
En partant ce matin, elle leur avait donné dix heures avant de s'inquiéter. Cette limite est atteinte depuis dix minutes. Pourtant Charly ne se décide pas à donner le signal du départ. Après tout, il ignore ce qui s'est passé. Les contacts avec les agents SRAM sont très dangereux, il le sait très bien, mais... C'est Breda Carson. Elle sait tout. Elle anticipe tout. Elle arrivera à s'en sortir, une fois de plus. Il suffit de l'attendre.
Finalement, c'est Cally qui dit sobrement :
« Il faut y aller. »