Nous fûmes vite devancés 4 à 0. Il fallait bien avouer (à regret) que les joueurs du lycée du Parc étaient plus qu'excellents et bien meilleurs que nous. On aurait vraiment dit qu'ils avaient joué au basket toute leur vie (ce qui était peut-être vraie, cela dit), ou, du moins, qu'ils étaient nés pour faire ce sport. La plupart d'entre eux étaient très grands et dépassaient les deux mètres (on dit que la taille ne fait pas tout au basket, mais, quand on fait un mètre douze les bras levés, ce n'est pas toujours facile d'atteindre le panier...).
Nos joueurs à nous étaient très bons, mais ils leur manquaient quelque chose pour surpasser leurs adversaires : une véritable cohésion d'équipe. Ce que je voulais dire par là, ce n'était pas qu'ils ne s'entendaient pas, au contraire, mais ils n'avaient pas cette sorte de connexion qui liait les joueurs du Parc. Ces derniers connaissaient en avance les moindres faits et gestes de leurs coéquipiers et pouvaient donc se concentrer davantage sur ceux de leurs adversaires. Nos joueurs essayaient d'abord de comprendre ce qu'il se passait dans la tête de leurs coéquipiers, avant de pouvoir se focaliser sur l'adversaire. C'était là le véritable décalage.
Cependant, malgré le score qui n'était pas en leur avantage et les huées incessantes et moqueuses des supporters du Parc, nos joueurs ne se laissèrent pas perturber. Ils continuaient dans une espèce d'acharnement commun et une volonté victorieuse. On aurait dit des soldats sur un champ de bataille.
Sans même être présent dans le gymnase, on pouvait aisément deviner chaque action du match : lorsque vous entendiez des huées haineuses, cela signifiait que les basketteurs d'Isaac Newton avait la balle, au contraire, lorsque les acclamations se faisaient heureuses et acharnées, cela montrait que les joueurs expérimentés du Parc menaient le jeu.
Moi, je ne criais pas, je me contentai juste de suivre le match (ou plutôt Lylian, je dois l'avouer) silencieusement. Même Elsa criait plus fort que moi, si bien que je ne regrettai pas une seconde de l'avoir forcée à venir ici. Elle hurlait des insultes à plein poumons dès que quelque joueur du Parc réalisait une action désavantageuse pour nous.
«-Sale poulpe à lunettes, rends lui la balle !»
«-Espèce de chamallow tout mou, dégage !»
Ouais, les insultes d'Elsa étaient légèrement ridicules, mais elles fonctionnaient bien.
Une fois, par exemple, elle avait crié si fort qu'un des joueurs du Parc s'était retourné vers nos gradins, croyant avoir mal entendu (c'était pas tous les jours qu'on se faisait insulter de poulpe), et Éric lui avait royalement piqué la balle, sous les huées de la tribune d'en face (bon, nos joueurs avaient perdu la balle quelques secondes plus tard, mais ça nous avait valu des acclamations de l'entraîneur et un fou rire entre Elsa et moi).
Quelques minutes plus tard, nous prîmes à nouveau un panier. Je trouvai que nos joueurs se comportaient pas mal devant la défaite cuisante. Ils restaient souriants et confiants. Après chaque but, Éric Chapman remotivait sa troupe, même si ils n'en avaient pas vraiment besoin. Je ne pus que les admirer car, étant très mauvaise perdante, si j'avais été à leur place, je crois que j'aurais pété un câble depuis longtemps. Mais non, eux, restaient concentrés et motivés.
Après le speech de motivation d'Éric, les joueurs se replacèrent sur le terrain. Lylian, avec son t-shirt chiffré 7, gardait lui aussi une sérénité imperturbable. Il semblait concentré et fixait un point droit devant lui, déterminé. Visiblement, son équipe et lui avaient mis en place une stratégie d'attaque.
Le ballon nous revint et Michael (un terminal S) fit aussitôt la passe à Lee qui débuta un drible contrôlé. Il fut vite accueilli hargneusement par un sumo du Parc qui faisait au moins trois fois sa taille. Cependant, Lee ne sembla pas vouloir lâcher la balle et laissa habilement son adversaire lui tourner autour. Après quelques secondes, quasiment calculées, de bataille, Lee pivota sur son talon d'appui et lança le ballon à Éric, qui venait de contourner son défenseur.
Ce qui s'ensuivit dura alors quelques secondes si bien qu'il ne fallait pas cligner des yeux pour ne pas en perdre une miette. La balle en possession d'Éric décrivit un arc de cercle dans l'air avant d'atterrir dans les mains d'un Flavien concentré, situé à quelques pas de la raquette. Encore quelques secondes et la balle, après une passe à terre réalisée joliment entre les jambes d'un grand gandin du Parc, se retrouva dans les mains de Lylian, qui, après trois pas d'appui précis sauta en l'air, en direction du panier.
Le voyant en l'air, tous les supporters de notre lycée se levèrent, prêts à exploser. Soudain, prise d'une vague d'adrénaline, je fis de même, les yeux obnubilés sur le garçon aux yeux saphir. Le corps de Lylian s'arqua et sa main droite se dressa, entraînant avec elle le ballon de basketball. Il ne restait que quelques centimètres avant d'atteindre le panier.
Les supporters d'en face avaient eux aussi les yeux rivés sur ce nouveau joueur, si prêt du but. De la fureur se lisait dans leurs yeux.
Plus que quelques millimètres.
Lylian donna un dernier coup avec sa main et le ballon tomba dans le panier.
Des cris de joie s'en suivirent et je fus la première à hurler, comme une dingue. Elsa hurlait aussi fort qu'elle put :
«-Boouuuuh, on vous a eus, bande de têtes de poulpes !!!!!»
Il faudrait un jour que je lui explique que cette insulte n'était pas du tout crédible...
Lylian retomba sur le sol et fut aussitôt acclamé par ses coéquipiers, qui lui sautèrent dessus. Éric était hors de lui et hurlait à plein poumons :
«-Lylian Johnson, le dieu du dunk !»
Toute notre tribune reprit cette exclamation en cœur et, pendant quelques minutes, nous le célébrâmes, sous les huées furieuses de l'adversaire.
Lylian rougissait légèrement, à moins que ce soit à cause de la fatigue que lui avait valu l'effort. Ses cheveux étaient plaqués sur son visage et il se les dégagea dans un geste des plus sexy. Il souriait et, modestement, remercia ses coéquipiers.
Soudain, son regard croisa le mien et il accompagna un léger sourire en coin par un hochement de la tête quasiment imperceptible. Je rougis affreusement, ce qui le fit encore plus sourire. Je me rassis, soudain vaseuse. Elsa fit de même, sans avoir remarqué mon attitude bizarre.
La fureur et la joie laissèrent place à la suite du match, et à la seconde mi-temps. Les joueurs du Parc redoublèrent d'effort après ce panier très réussi et parvinrent à mettre dans le panier un quatrième ballon.
Le match se clôtura assez rapidement et nous ne marquâmes pas à nouveau. Le score final fut de 6-2 pour le lycée du Parc.
Lorsque l'arbitre siffla enfin la fin, les joueurs du Parc, sans même prendre le temps de saluer l'effort de nos joueurs, se précipitèrent dans "leur" tribune, telles des stars devant leurs fans. Nos joueurs se regroupèrent, ne se départissant toujours pas de leur joie et de leur décontraction habituelle. Apparemment, la défaite ne les affectait pas.
Elsa, beaucoup plus déçue qu'eux, souffla, énervée :
«-Pffff, ces poulpes ont triché !»
Je lui dis ou pas ? Non, laissons-la dans son délire d'animaux marins.
«-L'arbitre était pour eux ça se voyait ! En plus,...
-Elsa, on a perdu, c'est tout, ce n'est pas la fin du monde !»
Je la coupai, souriante. Elsa soupira et finalement, lâcha, d'avis mitigé :
«-Mouais... On méritait plus de gagner que ces poulpes du Parc ! En tout cas, c'était sympa...»
Elle marqua une pause, songeuse, puis reprit :
«-Merci Zéli d'avoir insisté pour le match, c'était super !»
Elle ajouta, en chuchotant :
«-Et puis, j'ai bien vu que Lylian n'avait d'yeux que pour toi...»
Je rougis et détournai la tête, pour me reconcentrer sur le speech que faisait M. Barny, à propos du match. Cependant, je n'en écoutai pas un mot, les pensées très occupé par les propos d'Elsa. Était-ce véridique ?
Je n'eus pas vraiment le temps d'y réfléchir que le micro se retrouva dans les mains de Lylian qui s'éclaircit la gorge, avant d'entamer :
«-Bonjour à tous ! Merci d'être venu pour nous soutenir. Vous avez été super !! Merci ! J'aimerai vraiment remercié M. Barny qui a accepté de me prendre dans son équipe en cours d'année et d'avoir cru en moi au point de me laisser participer à ce match décisif. Je ne sais pas non plus comment j'aurai fait sans mes camarades de jeu, qui sont en fait bien plus que ça : ce sont des amis. Merci à eux ! Sans eux, je n'aurais pas pu marquer ce panier qui était juste l'action finale d'une longue série de gestes et de synchronisation.»
Soudain, Éric lui glissa quelque chose à l'oreille et je fus persuadée de l'avoir vu rougir, à moins que ce ne soit le fruit de mon imagination. Il se passa une main dans ses cheveux et reprit, un peu embarrassé, comme s'il allait dire une chose de primordial :
«-Je... Je dois avouer que...»
Éric et d'autres de ses camarades s'esclaffèrent, euphoriques. Je fronçai les sourcils, perplexe.
Tout à coup, les yeux de Lylian recroisèrent les miens et il reprit, visiblement plus sûr de lui :
«-Je tenais aussi à remercier une personne que j'aime tout particulièrement et qui est ici présente, parmi les supporters.»
Mon cœur s'accéléra brutalement. Allait-il oser... ?
«-Une personne qui m'a tout de suite soutenu, une personne qui sait ce que j'éprouve pour elle...»
Encore un silence horriblement long.
«-Zélina, s'il te plaît, tu peux venir là ?»
Oh. Mon. Dieu.
~~~
J'espère que le chapitre vous a plu. Le prochain arrive dimanche ! :)
LetTheMagicHappen