Tech (adjectif) : terme familier entré dans le vocabulaire courant puis scientifique, désignant un objet composé par la matière technologie nouvelle™. Ex. : J'ai un ordinateur tech.
Technologie nouvelle™ (nom féminin) : matière synthétique pouvant être utilisée sous la forme de n'importe quelle autre matière, y compris organique. Cette matière a été découverte et brevetée par la société SRAM qui en possède tous les droits d'exploitation et de recherche. Elle a révolutionné l'informatique avant de s'introduire dans la vie quotidienne en permettant un contact permanent et un transfert d'informations et de programmes entre tous les objets techs, même non informatisés.
Extrait de l'Encyclopédie Universanalys 2108
3 et 7
Dans sa chambre — zone H3/11 du laboratoire, mais pour la petite fille l'endroit est avant tout sa chambre —, 3 est poursuivie par un loup. Elle et sa petite sœur 7 courent dans une forêt maléfique et vont être dévorées par la créature.
3 sait qu'il ne s'agit que d'un cauchemar et se concentre pour chasser la bête. En vain. Elle est dans le rêve de 7 et malgré tous ses efforts ne parvient pas à le contrôler.
Le monstre la mord. Elle émerge de son sommeil en suffoquant. Assise sur son lit, le souffle court, elle reprend peu à peu ses esprits et murmure : « Oh, non... Pas encore... »
Les cauchemars de 7 sont fréquents et violents, ses frères et sœurs se relaient dans son esprit pour la protéger au mieux. Cependant, 3 a du mal à l'aider et elle a quitté le Réseau sous l'effet de la peur, laissant sa sœur affronter le monstre. Elle secoue la tête, jure le plus silencieusement possible — on ne sait jamais qui peut écouter dans le laboratoire — et plaque sa main sur le fil tech la reliant au Réseau. Il faut qu'elle répare son erreur, sans réveiller les autres.
Elle envoie son esprit dans le Réseau. Matériellement, il suit les fils de matière tech connectés les uns aux autres, jusqu'à atteindre les objets techs qui leur sont proches, y compris ses frères et sœurs. Mais ce n'est pas une progression de ce type que 3 ressent. Lorsque son esprit quitte son corps, c'est pour entrer dans l'anhylo, le lieu sans espace, l'instant sans temps, le monde des esprits et des programmes débarrassés de la matière. Comme les autres enfants Techs, 3 a tenté plusieurs fois de décrire l'anhylo aux professeurs sans jamais y arriver réellement. Il n'y a pas de mot dans l'anhylo. Pour quoi faire ? Une information est une information, qu'on peut copier et répéter à l'infini. Inutile de la coder par des sons. Plus que tout, 3 aurait aimé les emmener, qu'ils voient avec elle à quoi ressemble cet univers magique qu'ils ont créé sans le savoir. Mais les professeurs ne le verront jamais, puisqu'ils sont humains.
3 cherche le cauchemar de sa plus jeune sœur. Bien qu'elle se concentre sur l'esprit de 7, elle remarque autour d'elle, eux aussi connectés au Réseau, les esprits de ses frères et sœurs endormis. Sans entrer en contact avec eux, elle sait les reconnaître. Si elle devait les mettre en mot, les traduire pour les humains du laboratoire, elle décrirait les rêves de 6 comme les plus vifs et les plus colorés, formant dans l'anhylo un maelström de formes en mouvement permanent. Ceux de 5 sont protégés par une épaisse barricade mentale, mais une pensée plus forte que les autres émerge de temps en temps, perceptible comme une image éphémère. Les rêves de 4 sont décousus et son esprit même endormi se laisse aller dans l'anhylo, sans se concentrer sur lui-même. L'esprit de 2 est entouré d'une barrière lisse, rendant impossible de voir si elle est endormie ou non. Les rêves de 1 sont légers et teintés d'angoisse, leur frère aîné est toujours prêt à revenir à la surface du sommeil en une fraction de seconde. Si 3 ne parvient pas à calmer sa petite sœur, elle sait qu'elle peut demander de l'aide à 1. Pour l'instant, elle préfère le laisser dormir.
Elle repère sans mal le rêve de 7 : un épais brouillard noir un peu plus loin dans l'or de l'anhylo. Du moins, c'est ainsi qu'elle le décrira lorsqu'on lui demandera ce qu'elle a fait cette nuit. Le cauchemar de 7 est un peu plus loin parce qu'il lui faut faire un effort de concentration pour le rejoindre, ce qui dans le monde matériel correspond à « plus loin ». Il est un brouillard parce qu'elle n'arrive pas à distinguer de quoi il se compose, et surtout parce qu'elle n'a aucune prise sur lui, elle ne peut que le traverser sans pénétrer à l'intérieur. Il est épais parce que 7 est dedans, ce n'est pas un simple écho de ses pensées. Et enfin, il est noir parce qu'on a appris à 3 à associer cette couleur à des choses négatives, telles que la mort et la peur, les dangers terribles face auxquels on est impuissant, tout ce qui compose un vrai cauchemar.
Les Techs utilisent souvent les couleurs pour décrire ce qu'ils voient dans le Réseau, car chaque couleur est associée à une palette d'émotion, de valeurs, de pensées, qui permettent de s'approcher de ce qu'ils ont réellement ressenti. Ils emploient toujours les mots les plus flous et les plus abstraits de leur vocabulaire. Certains les accusent d'inventer au fur et à mesure. 3 tient beaucoup trop à la confiance et à l'affection des professeurs pour faire une chose pareille.
3 est incapable d'établir une véritable communication avec sa petite sœur. Lorsqu'elles se sont endormies, leurs esprits étaient en partie entremêlés et elle a ainsi pu entrer dans son rêve. À présent, l'esprit de 7 est concentré sur le cauchemar, il n'accepte aucun contact et ne s'aperçoit même pas que 3 tente de la réveiller. La petite fille s'agace de son impuissance. À ce rythme-là, 7 va aller jusqu'au bout de ce cauchemar et se réveiller d'elle-même. En pleurs. Ça, pas question.
Leur sommeil est surveillé, bien sûr. Ils sont, tous les sept, surveillés en permanence. Mais, à moins que ce ne soit le tour d'Estan, qui est plutôt prévenant avec eux, aucun surveillant n'ira réveiller et consoler 7, même si elle hurle de terreur. Ils noteront soigneusement l'heure du cauchemar, l'intensité du hurlement, et le lendemain demanderont au docteur Carneau de lui faire faire un rapport avec tous les détails. Et 7 déteste le docteur Carneau.
3 prend donc la décision logique d'aller matériellement réveiller et surtout consoler sa sœur. 7 n'a que quatre ans, elle est trop petite pour être abandonnée à ses propres peurs. Tandis qu'à douze ans 3 est une "grande", elle peut la rassurer par sa simple présence.
3 ouvre les yeux. Sa chambre est plongée dans le noir. Elle entend le ronronnement familier et apaisant des appareils enregistrant le moindre de ses mouvements. La main toujours sur le fil du Réseau, son esprit entre dans l'ordinateur du surveillant et inscrit sur l'écran « 7 fait un cauchemar, je vais la réveiller directement ». 3 n'aime pas ce vocabulaire imposé, où les surveillants veulent utiliser le terme "directement" pour un contact en chair et en os. Par le Réseau, les Techs communiquent d'esprit à esprit, difficile de trouver plus direct que ça.
Elle attend patiemment que le surveillant lui ouvre la porte. Presque tout le laboratoire est construit en technologie ancienne : mécanique, électricité, informatique binaire. Les Techs contrôlent le Réseau de matière tech, les humains veillent à ce que le Réseau ne contrôle pas le laboratoire.
3 n'aime pas parler d'humains. Elle trouve injuste de ne pas être comprise dans le lot. Après tout, elle et les autres Techs ont été créés grâce à la matière tech combinée sous la forme d'ADN humain, ils sont nés et ont grandis, ils sont des humains. Un peu différents sans doute, des homo technologicus plutôt que homo sapiens, mais la base reste identique.
Elle pourrait faire son plus beau sourire à la caméra pour que le surveillant de garde soit plus aimable avec elle, et elle a décidé de ne pas le faire parce qu'il l'agace avec sa lenteur. Action et réaction, par la pensée, l'émotion ou le geste, 3 ne fonctionne pas différemment des autres et elle aimerait que les professeurs la voient ainsi, comme une petite fille. Une gentille petite fille sage et affectueuse. Qui ne mérite pas de se lever en pleine nuit pour chasser un loup de la tête de sa sœur. Ça devrait être leur rôle à eux.
Elle n'aime pas le fait qu'ils délaissent leurs créations en dehors des expériences. Comme si les sept enfants qu'ils ont fabriqués ne représentaient plus qu'une contrainte à leurs yeux. Alors qu'ils étaient tellement importants. Bien sûr, aujourd'hui encore les sept Techs sont importants, toute la vie du laboratoire tourne autour d'eux, mais ça fait trop longtemps que les professeurs ne leur parlent plus de leur rôle central, en tant que point de départ de la toute nouvelle espèce humaine. Qu'ils ne leur racontent plus comment ils ont sélectionné leurs caractéristiques, à chacun, pour que cette espèce présente le plus de gènes différents possible. Qu'ils n'évoquent plus leur avenir, lorsqu'ils seront adultes, ni les autres enfants qu'il reste à créer.
La porte finit par s'ouvrir et 3 se glisse dans les couloirs. Elle est pieds nus et en pyjama, elle a un peu froid. Aucune importance, le H7/11 est tout proche. Elle attend encore quelques instants devant la porte qui ouvre la chambre de 7. Sur l'écran, le surveillant écrit : « Est-ce que tu as une autorisation pour entrer ici ? ». Ce n'est pas le même que celui qui lui a permis de sortir de sa chambre. Celui-ci est bien capable de la renvoyer au H3/11, sa « salle attitrée », et ça pas question. Cette nuit, c'est à son tour de veiller sur 7, et elle n'a pas l'intention d'échouer.
Elle met sa main sur le fil de Réseau qui court le long du mur et regarde si sa sœur ne s'est pas réveillée toute seule. Mais non, et le cauchemar a empiré, l'esprit de 7 est maintenant parcouru d'éclairs de panique qui effrayent 3. Ce n'est pas un simple rêve mais une de ces hallucinations qui terrorisent 7 et la laissent totalement hagarde toute la journée, un phénomène que personne ne s'explique jusqu'à présent. Inutile de négocier avec le surveillant pour le convaincre que sa sœur a besoin, tout de suite là maintenant, de revenir à la conscience et de pleurer sa frayeur dans une étreinte rassurante. 3 tente toujours d'être une petite fille sage, mais elle sait reconnaître les moments où il vaut mieux avoir un minimum de bon sens que d'obéir sans réfléchir.