La princesse aux mille illusi...

Von KailynMei

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(suite et fin du Roi des tréfonds, abandonné) Dix ans se sont écoulés depuis l'avènement de Bres. Dix ans... Mehr

Prologue
Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 1
Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 2
Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 3
Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 5
Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 6
Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 7
Interlude 1 - Un amour insensé
Partie 2 - Rêve d'un autre monde - Chapitre 1
Partie 2 - Rêve d'un autre monde - Chapitre 2
Partie 2 - Rêve d'un autre monde - Chapitre 3 (1)
Partie 2 - Rêve d'un autre monde - Chapitre 3 (2)
Partie 2 - Rêves d'un autre monde - Chapitre 4 (1)
Partie 2 - Rêves d'un autre monde - Chapitre 4 (2)

Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 4

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Von KailynMei

Après avoir refermé les paupières du mort et avoir articulé une prière muette, Alice essuya méticuleusement la lame souillée dans les draps. Aymeric l'observa avec consternation.

— J'espère que tu n'as pas l'intention d'abréger les souffrances de tous les imbéciles qui ont décidé de venir ici de leur plein gré.

La jeune femme ne s'étonna guère de son mépris à l'égard de son geste miséricordieux. Qu'elle puisse éprouver de la pitié pour une personne qui avait elle-même scellé son destin devait le dépasser. Après tout, elle ne l'avait jamais vu agir avec empathie.

— Dis-moi, quelle est ton excuse pour te comporter en connard chaque jour que Dieu fait ?

— La lucidité qui te fait terriblement défaut, lâcha-t-il sans le moindre accent d'humour, même sarcastique.

Elle le foudroya du regard sans que cela l'émeuve. Ses prunelles de glace la suivirent alors qu'elle emboîtait le pas à Laith, dont le teint avait viré au terreux. Il contempla une dernière fois le corps qui ne lui inspira qu'un profond sentiment de dégoût. Il ne comprenait pas qu'Alice pût encore éprouver de l'attachement à certains rites de l'Ancien Monde. Pourquoi invoquait-elle un dieu imaginaire alors que les dix dernières années auraient dû lui prouver la vacuité de ses croyances ? Au fond, mieux valait adorer Bres qu'une de ces idoles fictives ou qu'une de ces divinités sans pouvoir que l'avènement du roi des Fomoires avait éradiqué de la surface de la Terre. Au moins existait-il la possibilité qu'il réalisât un miracle.

Aymeric esquissa un rictus à cette pensée. Après tout, Bres n'avait-il pas fait en sorte que sa carcasse refusât de lâcher prise lorsque la mort se présentait devant elle ? Combien de fois n'avait-il pas rêvé de sa propre fin ? Combien de fois n'avait-il pas souhaité trouver la faille à sa malédiction ?

Seule la vengeance l'animait encore d'un semblant de passion. Elle était son seul et unique espoir, celui qui, avec son orgueil, le retenait, dans les moments de mélancolie, de conjurer l'être qu'il haïssait tant de le délivrer de sa déchéance. Il préférait endurer une éternité dans ce monde victime des lubies d'un tyran plutôt que de lui céder.

Aymeric émergea dans le couloir toujours soumis à l'éclat lugubre des ampoules. La pluie martelait à nouveau les tuiles et tombait en gouttelettes sur le sol depuis quelques fissures lézardant le plafond. Une odeur âcre d'humidité et de vieille peinture empuantissait le corridor.

Tout en évitant les flaques d'eau, le jeune homme pressa le pas pour rattraper Laith et Alice, qui avaient déjà atteint l'autre extrémité du couloir. La Fomoire, inquiète, agrippa l'humaine par son bras valide avant de la relâcher, comme si elle regrettait ce contact entre elles.

— Votre ami, d'où vient-il ? souffla la créature.

— Il n'est pas mon ami, répliqua Alice avec un froncement de sourcils. Que veux-tu dire ?

Laith n'explicita pas sa pensée. Son regard avait accroché celui d'Aymeric. Le cœur battant d'angoisse, elle se détourna pour ne pas affronter son expression irritée.

— Ma vie ne te concerne pas, asséna-t-il d'une voix sifflante.

La Fomoire courba l'échine sans oser donner la réplique. Elle poussa une porte, dévoilant le haut d'un escalier. Son doigt glissa sur l'interrupteur à peine visible dans la pénombre. La lumière clignota une première fois, comme si elle hésitait à révéler les profondeurs vers lesquelles ils s'apprêtaient à descendre, puis illumina les marches dans un éclair blanc, presque blessant pour les yeux, avant de se stabiliser. La série d'ampoules, espacées de plusieurs mètres chacune, jouait les fils d'Ariane le long du chemin. Taillés avec régularité dans la pierre, les degrés ne présentaient aucune marque d'usure, aucun polissage causé par le passage au cours des siècles de milliers de pas. Le souterrain vers lequel ils conduisaient devait être un aménagement récent des nouveaux propriétaires du monastère.

Ils s'enfoncèrent dans les entrailles de la terre, Alice entre Laith et Aymeric, comme si elle craignait que le second n'en profitât pour précipiter la première au bas des marches. Elle aurait voulu briser leur silence nerveux, hostile, mais ignorait ce qu'elle aurait pu dire pour les apaiser. De temps en temps, une goutte d'eau glacée s'écrasait sur leur visage, mais l'odeur désagréable qui dominait les couloirs du monastère s'était estompée.

Au bout de deux minutes ou peut-être plus, la blancheur sinistre des ampoules s'effaça au profit d'un halo chaud, solaire, palpitant, qui émanait du bas de l'escalier. Ils débouchèrent dans une vaste salle souterraine dont le dôme culminait à plusieurs dizaines de mettre de hauteur.

Alice suffoqua à la vue de cette chapelle, autrement plus démente que celle dans laquelle Aina les avait accueillis. Le massif corallien qu'ils avaient admiré dans le cloître révélait l'immensité de ses fondations et les écrasait de sa splendeur surréaliste. Le réseau complexe de branches carmin se déployait en tourbillon à travers toute la nef. Les nervures dorées illuminaient à elles seules chaque recoin de l'édifice chthonien.

— Vous cultivez de bien étranges fruits.

L'écho démultiplia le sarcasme d'Aymeric, le rendant un peu plus virulent encore. Le jeune homme approcha des pampres macabres ; des corps ou, plutôt, des troncs humains dépourvus de membre, aussi énormes que celui de l'Éveillé qu'ils avaient rencontré, étaient suspendus aux rameaux les plus bas des coraux. De loin, ils passaient pour des cadavres à la pâleur morbide. De près, il devenait évident que leur poitrine se soulevait sous l'effet d'une respiration lente et, aussi incroyable que cela pût paraître, paisible. Aymeric étudia leur visage endormi, leurs yeux roulant sous leurs paupières closes, les branches qui s'enfonçaient dans leur dos sans qu'aucun saignement ne fût visible, comme si l'exosquelette corallien et la chair des humains avaient fusionné pour ne plus former qu'une seule entité énorme, titanesque.

— Pourquoi ? murmura Alice derrière lui d'une voix désabusée.

Laith croisa les bras et se mura dans le mutisme. Aymeric pinça la peau d'un des sacrifiés sans obtenir la moindre réaction. Il enfonça ses ongles plus profondément, le long d'une veine. Des perles de sang roulèrent sur l'épiderme blanc lorsqu'il en creva la surface. Alice, qui l'avait rejoint, écarquilla les yeux quand il porta l'index à ses lèvres pour le lécher. L'arôme salé et métallique s'accrocha à sa langue, mais ce qui lui donna l'envie d'en goûter plus fut l'étourdissement léger conjugué à l'agréable sensation de plaisir qu'il éprouva. Avec un sourire en coin, il leva sa main vers le visage d'Alice, qui la repoussa avec dégoût.

— Tu devrais. C'est un bon cru.

— Tu es écœurant.

— Pas plus que toi. Après tout, c'est ce qu'Aina nous a fait boire.

Le teint d'Alice se fit un peu plus cireux.

— Et moi qui pensais que tu serais rassérénée d'apprendre qu'ils ne tuent pas leurs adeptes, finalement, mais qu'ils les utilisent pour créer une nouvelle drogue. Après l'ambroisie, le nectar des dieux, enfin accessible à tous grâce à la production de masse.

Alice se détourna avec une exclamation méprisante et arrêta son regard sur Laith. La Fomoire se tordait les mains avec nervosité.

— Est-ce qu'il a raison ? interrogea Alice.

Laith acquiesça avec un soupir.

— Pourquoi ? insista la jeune femme.

— Tuer la lie de votre société était acceptable pour votre espèce lorsque nous sommes arrivés.

— D'autant plus quand les autres craignaient de finir au menu, railla Aymeric.

— Il y a de moins en moins de sources d'approvisionnement, poursuivit Laith, et Bres prône l'union entre nos deux peuples. Cette drogue, comme vous dites, est la solution de Bres. Elle remplace avantageusement la... chair... car elle produit un effet d'accoutumance, et elle ne nécessite qu'un nombre réduit d'humains pour...

Elle n'acheva pas sa phrase en sentant le poids de leurs regards sur elle. Surtout celui d'Alice, qui exprimait toute son exécration à l'égard de cette idée machiavélique.

— Ils peuvent les garder en vie aussi longtemps qu'ils le désirent, reprit Aymeric. Ils n'ont plus besoin de tuer et, lorsqu'ils seront en mesure de satisfaire la demande, bien moins d'adeptes auront le privilège de devenir des Éveillés...

— Tu as déjà vu ça ? questionna Alice avec un froncement de sourcils.

Aymeric laissa échapper un rire sec.

— J'en ai entendu parler. Lorsque je n'étais qu'un esclave. Tu l'as oublié ?

— Non... mais tu en parles comme si...

— Pour qui me prends-tu ? coupa-t-il abruptement. Un immortel ayant traversé les âges ? Je suis resté plusieurs mois au palais de Bres ; les gens discutent, voilà tout.

Alice, bien qu'étonnée de sa brusque agressivité, n'osa pas l'interroger plus loin. Elle savait qu'il n'aimait pas évoquer ce qu'il avait vécu dix ans auparavant. Si elle considérait sa propre expérience, elle compatissait, comprenait presque qu'il soit devenu aussi amer et cruel. Elle surprit toutefois l'expression sceptique de Laith, qui détaillait Aymeric avec intérêt.

— Vous étiez au palais ? s'enquit-elle.

La jeune femme crut que son camarade allait exploser de colère, mais il se contenta de darder un regard vipérin en direction de la Fomoire.

— Comme beaucoup d'autres.

— Quel poste aviez-vous ? s'entêta Laith, malgré sa crainte.

La question déstabilisa Aymeric, qui écarquilla brièvement les yeux avant de reprendre contenance.

— Quelle importance ?

— Quelle importance ? Seuls les humains essentiels au gouvernement ont le privilège d'accéder au palais.

— Je ne pense pas que les malheureux peuplant le harem de Bres soient nécessaires au gouvernement. Et, pour ton information, j'étais plutôt le jouet de ton cher Prophète. Tu sais, celui que tu défends tant, rétorqua-t-il avec une volonté évidente de la blesser.

Laith se mordit les lèvres, puis se détourna sans un mot. Elle s'éloigna en direction d'un autre corridor aux murs irréguliers, sculptés par l'érosion naturelle cette fois. Alice s'apprêta à la suivre, mais nota qu'Aymeric paraissait affecté. Le changement était subtil, à peine une étincelle de tristesse dans ses yeux et son sourire en coin, un semblant d'humanité filtrant en dehors de la carapace qu'il s'était constituée.

Elle éleva une main pour lui toucher l'épaule. Il l'en défendit d'un regard. Son visage se durcissait déjà.

— Tu ne pourras pas continuer à repousser éternellement les gens, lui reprocha-t-elle.

— Oh, si, je le peux...

Et ceci de façon aussi métaphorique que littérale, songea-t-il avant de rattraper la Fomoire. Il porta son attention sur le boyau obscur, gueule d'une tarasque qui semblait patienter pour se repaître de leur chair. Un mouvement, dans l'ombre, le poussa à stopper. Laith, qui s'était arrêtée pour les attendre, lui jeta un regard intrigué avant de se retourner.

Le souffle lui manqua lorsqu'Aina pénétra la chapelle impie.

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