Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 2

588 69 7
                                    

Tu mourras sans le moindre ami.

Puisqu'ils aiment me trahir, je ne vois de toute façon aucune bonne raison pour m'en faire.

Après quelques minutes à dériver dans l'enfer de ses souvenirs, le jeune homme ouvrit les paupières. Le plafond, d'abord flou, lui apparut enfin dans toute sa laideur. L'enduit d'un beige sale avait craquelé avec l'humidité.

Il se redressa sur le lit étroit et déglingué où il s'était écroulé dès son entrée dans la pièce. Il en sentait chacun des ressorts contre son corps. Le parfum lénifiant de la prêtresse imprimait encore son odorat, et le breuvage de la coupe avait laissé sa bouche pâteuse, avec un arrière goût sucré. Il dut se concentrer pour rassembler un semblant de pensées cohérentes au sein de son esprit anesthésié. Nul doute que la boisson sanglante avait été agrémentée de quelque substance au puissant effet psychotrope.

Il s'agenouilla à même le sol, se glissa deux doigts au fond de la bouche et vomit jusqu'à ce que la bile brûlât son œsophage. Il s'adossa ensuite au lit pour observer la cellule minuscule dans laquelle le Fomoire reptilien l'avait conduit. Ou, plutôt, jeté. Curieux comportement pour un être qui aurait dû se soucier du bien-être des adeptes.

Une chose n'avait pas changé depuis la disparition des moines : l'engagement religieux se conjuguait toujours avec le dépouillement et le rejet de tout matérialisme. L'odeur d'Aina ne l'obsédant plus, celle du moisi et de la poussière lui piqua les narines. Loin des promesses de Bres, les naïfs qui échouaient dans ce monastère n'avaient pas le droit au moindre confort. Heureusement, ils étaient sans doute bien trop drogués pour s'en offusquer.

Le jeune homme essuya du dos de la main quelques gouttes de sueur qui avaient coulé sur son front avant de gratter les cicatrices de sa gorge. La guérison rapide de sa blessure avait pour effet secondaire de l'irriter. La prochaine fois, il opterait pour une autre solution que de s'ouvrir la gorge. Toutefois, il n'allait pas se plaindre : les marques étaient un mal nécessaire pour tromper la vigilance de cet infâme gardien du temple.

Les Éveillés sacrifiaient tous une partie de leur corps, voire plusieurs, afin de prouver leur dévotion et leur renonciation. Il aurait pu se choquer de tels actes d'automutilation, mais il se souvenait de jours où les Hommes assassinaient leurs ennemis, et parfois leurs amis, à la gloire de leurs dieux. Tant qu'on leur promettait un avenir meilleur, leur espèce était prête à tout. N'en avait-il pas lui-même eu la preuve ?

Il se redressa en s'appuyant sur le matelas. Son environnement tangua brièvement avant de se stabiliser. La drogue continuait de l'affecter, mais il était parvenu à éviter le pire : l'oubli des véritables raisons qui l'avaient conduit dans ce lieu sinistre et décadent. Il esquissa un rictus, le genre que l'on ne voyait que chez ceux qui avaient définitivement accueilli la folie dans leur âme.

Soudain, il se rappela ne pas être venu seul. Malgré son pas encore mal assuré, il approcha de la porte. Il craignit de la trouver verrouillée, ce qui aurait compliqué sa tâche. Ses mains tremblant légèrement, il aurait éprouvé les plus grandes difficultés à la crocheter, si tant est qu'il eût déniché l'outil approprié dans cette austère cellule de moine. Fort heureusement, les Fomoires ne se méfiaient guère. Après tout, comment auraient-ils pu douter de leur engagement avec les preuves qu'ils leur avaient apportées ?

Il se glissa dans le couloir à peine éclairé par quelques ampoules à l'éclat jaunâtre. Après un effort de réflexion, il se souvint que le gardien avait emmené sa compagne dans la chambre voisine. Il colla son oreille contre le battant et, comme il n'entendait rien, tourna la poignée pour entrer.

La jeune femme était étendue sur un matelas abandonné à même le sol. Et dire qu'il avait critiqué le luxe de sa cellule.

Il s'agenouilla à côté d'elle et lui toucha l'épaule. Ses pupilles dilatées se posèrent sur lui, mais elles semblèrent le traverser pour se perdre dans les illusions engendrées par l'intoxication.

La princesse aux mille illusions (abandonné)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant