Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 1

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Your words are shivers down my spine

I'm numb and shapeless - in your web - in your web

My blood runs slow and red like wine

The past is shattered - forever

- Cure de Tristania



Dix ans plus tard...



La pluie dégoulinait le long des troncs et délavait le paysage de ses rares couleurs. L'hiver avait dépouillé les arbres, mais la neige n'avait toujours pas imposé son empire ivoirien sur les coteaux et les vallons. À vrai dire, elle ne tombait plus sur la région depuis que les Fomoires en avaient décidé autrement.

Une voiture aussi grise que la tristesse alentour s'arrêta sur la route goudronnée, non loin de l'ancien monastère fortifié au pied duquel périssaient les herbes.

Avec ces épaisses murailles hautes de plusieurs mètres, l'édifice moyenâgeux inspirait une écrasante sensation d'invulnérabilité. Pourtant, les rares moines qui s'étaient accrochés à leur foi, espérant d'une intervention divine, en avaient été chassés dix ans plus tôt... dans la souffrance et le sang. Leurs noms avaient grossi la longue liste de martyrs suppliciés par les Fomoires.

Il n'existait aucune place pour d'autres religions que celle du Dieu des dieux, Bres. Signe de la conversion de l'édifice au nouveau démiurge, une structure cristalline enclosait le toit de la chapelle et dressait ses aiguilles baroques et opalescentes loin au-dessus des sombres fortifications. Par beau temps, elles flamboyaient tel un fanal indiquant le chemin du pèlerinage aux fidèles. Mais en cette heure, elles se confondaient avec les nuées grises et jetaient un filet d'ombres arachnéennes sur ceux qui osaient se présenter à l'entrée du sanctuaire.

Le claquement des portières rompit brièvement le clapotement furieux des gouttes. Quelques secondes plus tard, deux silhouettes cheminèrent en direction de l'énorme porte du monastère. Capuches rabattues sur la tête, elles luttèrent contre le vent et la pluie qui témoignaient de l'humeur exécrable de la prêtresse vivant derrière les murs.

Arrivé devant l'entrée, le plus petit des deux visiteurs frappa avec insistance à l'aide du heurtoir gravé d'un œil reptilien entouré d'un symbole solaire. Puis, il attendit en émettant un léger reniflement. L'humidité les pénétrait jusqu'aux os.

Au bout d'un moment, le judas s'ouvrit dans un claquement. Deux yeux jaunes fendus de pupilles étirées les scrutèrent avec méfiance.

Le temple n'accueillait que les pèlerins sur le point d'atteindre la Transfiguration, ultime étape sur la difficile voie permettant aux Hommes de s'unir à leur dieu et de renaître sous une forme nouvelle. Ceux qui arrivaient jusque-là avaient enduré des mois d'épreuves et de souffrances pour prouver la puissance de leur dévotion. Ils apportaient leur désir d'une existence faite de jouissances célestes, leurs espoirs de transcender leur humanité pour s'incarner en... autre chose.

— Êtes-vous des profanes égarés ? questionna le Fomoire.

Sa voix était si chuchotante qu'elle peinait à s'élever au-dessus du bruit assourdissant de la pluie.

— Non, nous sommes des Éveillés venus de l'Eiffel pour connaître la Transfiguration, déclara celle des deux silhouettes qui avait frappé à la porte.

Ce fut peut-être grâce à sa voix douce et féminine, ou peut-être grâce à la teneur de ses propos, mais le Fomoire parut se détendre. Il ne leur ouvrit pas pour autant.

La princesse aux mille illusions (abandonné)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant