Partie 2 - Rêve d'un autre monde - Chapitre 3 (1)

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Liwane essuya ses lèvres sur le revers de sa manche, bien que le goût ferreux du sang eût depuis longtemps envahi sa bouche.

Dans la salle, il ne restait plus âme qui vive, si ce n'était la sienne et celle du Fomoire auquel elle avait uni son destin.

Kilian ne s'était pas levé de son siège après le départ du Prophète, ce qui n'avait pas empêché l'hémoglobine de l'éclabousser lorsque la Transfigurée s'était chargée de la partie la plus physique de leur nouvelle mission. Loin d'être inactif, il avait instillé l'effroi dans les esprits limités de leurs adversaires, ce qui avait permis à sa compagne de s'abattre sur eux avec une sauvagerie inhumaine.

Les autres, horrifiés, avaient fui. Sans doute se seraient-ils un peu plus attardés, pour certains, si Kilian ne les y avait pas aidés par l'ascendant qu'il avait sur eux. Il aurait détesté devoir leur arracher le souvenir de ce qu'ils n'étaient pas censés voir. Cet aspect de son don tendait à transformer les individus, Humains comme Fomoires, en grabataires tout juste capable d'aligner quelques borborygmes en bavant.

— Deux de moins, commenta Kilian avec nonchalance.

Il ferma brièvement les yeux, luttant pour ne pas s'abandonner à l'agréable frisson qui venait d'électriser son corps ; le pouvoir que Liwane avait dérobé à leurs proies se transmettait désormais à lui et se répandait dans chaque cellule de son organisme. Toutefois, cela ne lui suffisait pas.

Il se leva pour approcher du cadavre de Delaig, lui arracha ce qui lui restait d'entrailles et les engloutit avec voracité sous le regard indifférent de la Transfigurée. Lorsqu'il eut savouré la dernière bouchée, il ferma les yeux, le corps légèrement tremblant, les poings crispés. Puis, quand son être eut totalement aspiré l'énergie magique du défunt ministre, il extirpa un mouchoir de sa poche pour s'essuyer les mains et la bouche avec soin.

Son peuple avait toujours eu le cannibalisme en horreur ; nonobstant ce que Bres avait fait à leurs anciens dieux et ce qu'il pouvait encore réserver à ceux qui le défiaient ou le décevaient. Un tel interdit l'avait toujours étonné compte tenu de la famine qu'ils avaient endurée dans leur prison. Il avait compris les véritables motifs de leur roi le jour où il avait succombé à la tentation, non par nécessité, mais par curiosité.

Bres ne leur avait pas défendu de manger leurs semblables pour des raisons morales – il aurait encore fallu qu'il en eût une –, mais parce qu'il craignait de ne plus être seul à briguer le titre de « dieu » si d'autres Fomoires se mettaient à absorber les pouvoirs de leurs pairs.

Kilian déposa le mouchoir souillé sur la table et remarqua que Liwane ne le quittait pas des yeux.

— Oui, tu as raison. Il est temps d'essayer notre nouveau don.

La jeune femme fronça les sourcils et fit mine de porter un doigt sur les lèvres de Kilian, comme pour lui intimer le silence. Le Fomoire sourit tout en lui prenant la main. Après en avoir embrassé le dos, il vint effleurer son visage. Le sang frais brillait sur ses joues sombres.

— Ne t'inquiète pas. Nul ne se trouve à proximité de la salle.

Liwane esquissa une moue dubitative. Il la sentit s'insinuer plus profondément dans son esprit et utiliser son pouvoir afin de vérifier par elle-même que personne ne risquait de les surprendre. Attendri par son excès de prudence, il déposa un baiser sur son front, cette fois, juste là où était tatoué l'œil symbole de son éveil. Liwane le repoussa et se détourna en croisant les bras sur sa poitrine.

— Je déteste quand tu te montres trop téméraire. Imagine que le Prophète ne t'ait pas suivi ? l'admonesta-t-elle.

L'expression de Kilian, jusqu'alors plus chaleureuse qu'elle ne l'avait été durant le conseil, retrouva la froideur hautaine qui lui était coutumière.

La princesse aux mille illusions (abandonné)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant