Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 3

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— Votre inventivité démoniaque me rendra toujours admiratif, déclara Aymeric.

Son cynisme laissa la Fomoire muette d'incompréhension. Elle ne savait comment répliquer à un homme de toute évidence déficient sur le plan de la compassion et qui bousculait les valeurs morales qu'elle chérissait depuis son arrivée en ce monde.

— Je... Je... balbutia-t-elle.

— Ne te donne pas autant de peine.

Sa voix lui fit l'effet d'un couperet. Tout en baissant les yeux pour ne plus voir son profil dur, elle ravala ses paroles et regretta que la personne si sensible avec qui elle avait communiqué sur le réseau darknet Freeworld ne fût pas venue. Elle aurait compris son horreur, ses doutes, ses remords au lieu de se moquer cruellement d'elle.

— Vous pourriez les tuer, reprit Aymeric, mais vous les droguez et soignez les membres que vous amputez. Cherchez-vous à les empêcher de fuir si jamais ils reprenaient conscience ? Ai-je raison de croire que vous les engraissez aussi ? Splendide. Mais cet élevage ne me paraît pas très biologique et respectueux du bien-être humain. Je suppose que Bres ne se fournit pas ici...

Laith s'était assombrie. Elle se mordit la lèvre et serra les poings, ne sachant que faire, que répondre.

— C'est horrible ce que vous dites.

— Mais la pure vérité, non ?

Elle approcha, mais osa à peine regarder l'homme étendu sur le lit. Quelques borborygmes incompréhensibles franchissaient parfois ses lèvres, mais, en dehors de cela, il n'avait pas plus de réactions qu'un individu plongé dans un coma profond. La drogue avait causé des lésions irréversibles dans son cerveau. Elle l'avait, pour ainsi dire, réduit en compote. Même si l'on avait retiré l'aiguille de son bras, le privant ainsi du Paradis artificiel dans lequel il était plongé, il n'aurait jamais recouvré ses facultés. Toutefois, la substance ne lui avait pas permis un seul instant de prendre conscience de sa déliquescence mentale ni de percevoir la douleur lorsque ses membres avaient été coupés à hauteur des épaules et au-dessus des fémurs.

Comme pour les autres, Laith avait désinfecté ses plaies avant de les recoudre et de les bander. Ces actes de soin lui paraissaient toutefois aussi dérisoires qu'inutiles dans cet environnement qui défiait toutes les règles en matière d'hygiène. Elle n'aurait jamais dû se retrouver seule pour s'occuper d'eux, mais ni Aina ni le Fomoire aux yeux de reptiles ne se préoccupaient du sort de leurs hôtes. Ils ne s'inquiétaient que lorsque les quotas fixés par le gouvernement n'étaient pas remplis – c'est-à-dire si l'un de leurs pensionnaires mourait prématurément d'une infection –, auquel cas ils la blâmaient pour son incompétence.

— J'étais guérisseuse dans notre prison. Apprendre la médecine des humains était une suite logique. Mais quand on m'a proposé ce poste, je n'aurais jamais cru...

Les lèvres d'Aymeric s'incurvèrent en un rictus narquois.

— Quoi ? Que les temples servaient à autre chose qu'à offrir une nouvelle vie aux Éveillés ? Même si, techniquement, les promesses sont respectées...

— Je ne pouvais pas savoir.

Les prunelles claires et pénétrantes du jeune homme se fixèrent sur elle. L'unique ampoule de la chambre donnait un éclat glauque à sa peau laiteuse. Entre les cicatrices de sa gorge et sa pâleur presque maladive, il n'était guère étonnant qu'il eût trompé la vigilance du gardien.

— Ah ! Les Fomoires ont au moins un point commun avec les Hommes : vous prétendez toujours être innocents parce que vous ne saviez pas ce qui se passait... juste sous vos yeux. Et quand vous ne pouvez plus vous réfugier derrière ce mensonge, vous affirmez faire de votre mieux pour aider, pour améliorer la situation, pour éviter le pire.

La princesse aux mille illusions (abandonné)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant