Derrière l'importante membrane de verre qui le protégeait du vide intersidéral, Matthews observait avec attention les moindres recoins de l'espace. Il y vit tout d'abord un certain nombre d'étoiles, dont les lumières se reflétaient sur le visage du médecin de l'équipe, puis il posa les yeux sur des météores à la dérive, leur corps rocheux passant à quelques mètres seulement de la coque du vaisseau. L'univers l'intriguait. Il se posait bon nombre de questions, sur sa formation, si la race humaine était la seule à y vivre. Il savait pertinemment qu'il n'aurait probablement pas de réponse à ces questions, continuant d'élaborer toutes sortes de théories. Soudain, devant sa face ébahit, apparu une planète inconnue à ses yeux. Elle était énorme, gigantesque. C'était une lune de couleur bleue. A sa surface, il pouvait y voir d'importants cyclones, tourbillonnant sur eux-mêmes. Elle semblait, à première vue, inhabitée. Il fronça les sourcils, indécis. C'était la première fois qu'il l'a voyait. Jamais il n'était passé dans ce système. Il resta accoudé contre la rambarde, contemplant sa splendeur.
_ Elle est magnifique, n'est-ce pas, fit remarquer Taylor en se postant aux côtés du médecin.
_ Très, répondit Matthews dans la foulée.
Le capitaine esquissa un sourire, posant les yeux sur la gigantesque lune. Cette planète, bien qu'imposante, était relativement petite par rapport à d'autres astres connu. Jupiter, par exemple, était cent fois plus grande. Taylor observa sa beauté, réfléchissant à ce qu'il allait bien pouvoir dire à son frère d'armes.
_ Son nom est LV-426, finit-t-il par déclarer. La date de sa découverte est encore récente. Cela fait seulement soixante-dix ans que l'homme y a posé le pied pour la première fois. Il y a quelques années, tout un groupe de colons y a été envoyé. Ils y ont construit tout un complexe et ont rendu la majeure partie de cette lune habitable. Pour eux, ça devait être le pied, comparé à ce qu'on a fait de la Terre.
_ D'où vous savez tout ça, s'interrogea le médecin, détournant son regard de la planète.
Le grand homme baissa les yeux, cherchant ses mots. Il se mordit les lèvres, hésitant. Il n'aurait peut-être pas du lui parler de ça. Mais ce qui est fait est fait. Il se retourna vers son soldat, un coude sur la rambarde.
_ En tant que capitaine, j'ai quelques privilèges, lui répondit-t-il en souriant. Il y a quelques mois, il se serait produit un accident.
_ De quel genre, le questionna Matthews, curieux de connaître les moindres détails de cette histoire.
_ On n'a jamais vraiment su ce qui c'était passé. On sait seulement qu'un message de détresse a été envoyé et qu'une équipe de marines s'y est posé après l'avoir reçu. Des suites de ces événements, une grande partie du complexe aurait été détruit. Peut importe la raison qui les ont poussé à le faire, ce qui est sûr, c'est qu'ils y sont parvenus.
_ Et les survivants ?
_ Les survivants ?
_ Oui, les survivants, insista le médecin. Une équipe a bien été envoyée pour ceux qui restaient, non ?
La question du marine gêna le capitaine. En tant que médecin de l'équipe, Matthews ne pouvait s'empêcher de sauver tout le monde, et ce, même si les autres pensent qu'ils sont condamnés. Il se refusait d'abandonner les siens, ni aucune autre personne d'ailleurs. Même s'il n'y pouvait rien, la mort d'un seul de ses coéquipiers représentait un échec. Pendant quelques instants, il se rappela son père. Cet homme odieux avec lui, qui le rabaissait sans cesse, l'humiliait, le battait. Jamais il n'aurait pensé que son fils deviendrait pareil soldat. Le médecin attendit la réponse de son supérieur, scrutant le moindre de ses faits et gestes. Il voyait bien que quelque chose dérangeait son âme torturée. Le grand homme passa une main dans ses cheveux, lâchant un soupir.
_ S'il y a des survivants, ils sont déjà morts depuis longtemps, lui avoua Taylor, d'une faible voix. Aucune équipe n'a jamais été envoyée là-bas pour aller voir si, ne serait-ce qu'une personne, était encore en vie. Les gens, à la tête de ces colonies, ils en n'ont rien à foutre de ce qui peuvent leur arriver. Tout ce qui les intéresse, c'est leur propre petite personne. Ah ! Et le fric, bien sûr.
_ Vous croyez que quelqu'un a survécu ?
Taylor dirigea son regard en direction du jeune marine. Il n'avait aucune envie de le décevoir, mais lui répondre autre chose que ce qu'il savait, se serait lui mentir. Ça, il ne pouvait se le permettre. Il baissa les yeux, ravalant sa salive.
_ Non, souffla-t-il d'une voix rauque. Et même si c'était le cas, personne ne viendra le sauver.
Le capitaine se retourna vers Matthews. Le médecin gardait la tête baissée, horrifié par sa déclaration. Il se remémora leur dernière mission dans laquelle le frère de Taylor avait perdu la vie. Toutes ces horreurs, ces atrocités que cette guerre leur a montrées, elles étaient encore en lui, dans ses souvenirs. Il revit le sang de ses coéquipiers entre ses mains. Le liquide coulait entre ses doigts. La peur s'empara de lui. Le jeune marine renifla, passant une main sur son nez. Il avait besoin de se confier. Trop de gens bien étaient morts. Afin de soulager sa conscience, il devait parler de ce qu'il avait vécu à son capitaine.
_ Lors de notre dernière mission, commença-t-il d'une voix tremblante. J'étais surpassé. On étaient en sous-effectif et il y avait beaucoup trop de blessés. A chaque fois qu'on essayait d'en soigner, d'autres arrivaient. Ça ne s'arrêtait jamais. C'était l'enfer. Alors, j'ai dû prendre des décisions difficiles... Faire des sacrifices... J'ai laissé mourir ceux qui avaient moins de chances de s'en sortir... Et j'ai soigné les autres. Je me dis, que j'ai fait ce qu'il y avait de mieux à faire, qu'ils ne sont pas morts par ma faute, qu'ils étaient condamnés de toute manière, qu'on n'aurait pas pu les sauver... Mais c'est faux ! Si ces gens qu'on a perdus sont morts, c'est uniquement de ma faute ! Parce que je n'ai pas été capable de les soigner, parce que j'ai préféré les laisser mourir plutôt que de tenter quelque chose...
Une larme, puis une autre vint ruisseler le long des joues de Matthews, désespéré, perdu. Le jeune homme ne savait plus quoi faire pour se convaincre que ce qui était arrivé lors de leur dernier voyage n'était pas de sa faute. Il avait besoin de quelqu'un, quelqu'un en qui il pourrait avoir confiance, quelqu'un qui pourrait le soutenir, croire en lui, en ses décisions, mêmes si elles sont difficiles, même s'il doit laisser mourir un autre de ces frères d'armes parce qu'il n'a pas d'autres choix.
_ Capitaine, est-ce que vous me faîtes confiance ?
Taylor marqua un temps. Il ne savait que répondre aux révélations du soldat. Après un moment, il s'approcha de lui, tapotant légèrement de sa main droite son épaule. Il répéta ce geste à deux reprises en signe d'apaisement afin de le rassurer, lui faire comprendre qu'il n'était pas tout seul. Les deux hommes avaient déjà beaucoup trop souffert. Maintenant, ils faillaient qu'ils apprennent de nouveau à vivre leur vie d'avant.
_ Oui, lui répondit-il, bien sûr que oui.
Matthews sourit au capitaine qui fit de même. Tout à coup, un étrange vrombissement provenant de l'espace se fit entendre. Ce grondement lointain, semblable au cognement du tonnerre, fit trembler les vitres de l'appareil. Intrigués, les deux hommes tournèrent leurs têtes en direction du bruit. Ce dernier disparut promptement. Un profond silence le remplaça, planant dans les longs couloirs du vaisseau. Seule la forte respiration du médecin se faisait entendre. Le jeune homme était pris de panique, ne comprenant pas ce qui se passait. Les halètements de Taylor, à l'inverse, étaient à peine audibles. Le capitaine contenu ses émotions, attendant la réapparition de ce son. Quelques secondes passèrent. L'étrange bruit ne se manifesta pas. Les deux hommes se regardèrent. Il faisait calme, trop calme. Matthews n'aimait pas ça. En un instant, le chaos s'installa. Le temps s'était comme figé, arrêté. Un puissant cri strident fit exploser les tympans des deux marines. Cette espèce de hurlement résonna dans leurs têtes, leurs causant d'atroces souffrances. Taylor plaqua ses mains contre sa boîte crânienne en hurlant de douleur. Il avait l'impression que son crâne allait exploser. A peine avait-il le temps de se remettre de leurs peines qu'un rayon de teinte bleu, venant de la planète, vint frapper la coque de l'embarcation. L'engin chavira violemment sur le côté gauche, emportant Taylor et Matthews. Les deux hommes furent littéralement propulsés contre la paroi. Leurs dos vinrent s'écraser contre le mur de métal, derrière eux. C'était comme s'ils s'étaient pris un coup de massue en plein ventre. Les deux compères se sentirent étouffer sous la pression avant de retomber au sol comme de vulgaires poupées de chiffon. L'appareil se stabilisa tant bien que mal, laissant du temps à ses habitants de se relever après coup. Une fois redressés, les deux hommes constatèrent les dégâts, trop souffrants pour comprendre ce qu'il venait de se produire. De la fumée sortait d'un des tuyaux de ventilation. Ils se retournèrent vers la vitre. De l'autre côté du vaisseau, les parois commençaient lentement à se briser. Un étrange gaz commençait à s'infiltrer à l'intérieur de l'engin spatial. Un vrombissement lointain s'écrasa contre la structure de métal, générant de puissantes ondes de choc. Celles-ci raisonnèrent dans tout l'appareil, faisant trembler ses murs. Le capitaine plissa les yeux. Il voyait quelque chose, au loin, déchirer la coque. Il y eut un craquement. Les deux valeureux marines se retournèrent dans sa direction. Une petite ouverture se dessina contre la vitre. Matthews ravala un juron, frissonnant de terreur. Taylor observa un instant la minuscule entrée. Ce trou commençait à s'élargir. Il écarquilla de grands yeux, devinant ce qui allait se passer. Cette ouverture signait leur arrêt de mort.
_ C'est le calme avant la tempête, fit remarquer le médecin, paralysé par la peur.
_ Tait toi et cours, hurla le capitaine.
Les deux hommes partirent sur la droite, la peur au ventre. La petite ouverture s'agrandit brusquement, aspirant tout sur son passage. Du coin de l'œil, Taylor observa la petite entrée. Une dizaine de mètres les séparaient. Les deux soldats eurent beaucoup de peines à courir, forçant sur leurs jambes souffrantes. Leurs hurlements étaient couverts par le bruit du vent. Matthews faillit trébucher à plusieurs reprises. Heureusement pour lui, le capitaine était là pour l'entraîner dans sa course folle contre la mort. Ils n'étaient maintenant plus qu'à quelques mètres d'une porte blindée marquée d'un verrouillage automatique. Avec la rage qu'ils contenaient en eux, ils hurlèrent, hurlèrent encore jusqu'à s'en déchirer les poumons. Leur seule chance de salut était là, devant eux, à seulement deux ou trois mètres. Mais, ils ne pouvaient l'atteindre. Matthews s'accrocha contre un mur et rivalisa contre la puissance du vent qui tentait de l'aspirer. Il parvint à passer la porte. Le capitaine, quant à lui, était toujours bloqué à quelques mètres de l'accès aux couloirs principaux, ne parvenant pas à continuer. Le sol commençait à s'effriter sous ses pieds, s'évaporant dans un bruit métallique. Malgré sa détermination, le grand homme trébucha. S'en était fini de lui, il voyait sa vie défilée devant ses yeux. Tout ce qu'il avait été, et tout ce qu'il aurait pu être. Sa vie n'était maintenant rien de plus qu'une ligne droite. Il se voyait déjà dans le monde des morts, là où l'obscurité règne en maître. Il se laissa glisser contre le sol, se sentant nager dans les airs. Une main l'agrippa, venant le récupérer du royaume des ombres. Taylor leva le nez, regardant son sauveur de ses yeux ébahis. A sa grande surprise, Derek se tint devant lui, serrant les dents. Le caporal le retenait seulement de son avant-bras. Le jeune marine ne tiendrait pas plus longtemps. A travers sa combinaison, on pouvait voir les marques de ses muscles se crisper sous le poids de son dirigent.
_ Je vous tiens mon capitaine, brailla-t-il sèchement, refusant de l'abandonner.
Aidé de Matthews, encore haletant, le brave soldat tira son capitaine jusqu'à lui, le faisant passer avec difficulté la porte. Sans perdre de temps, il la verrouilla de suite, empêchant ainsi l'air de tous les entraîner. La pression se désagrégea et les trois soldats retombèrent violemment contre le sol dans un petit fracas familier. Tous prirent un temps pour souffler un peu, surtout le médecin. Matthews n'était pas habitué à un tel effort physique, lui qui, d'ordinaire, reste en dehors des combats. Taylor leva les yeux, regardant ses soldats, tiraillés par la fatigue. Il se redressa, se retournant vers le caporal.
_ Bien joué soldat, lui déclara-t-il sévèrement
_ Merci mon capitaine, lui répondit-il, esquissant un sourire. Que s'est-il passé ?
_ Un rayon nous a percutés, fit Matthews entre deux souffles.
_ Quoi ?!
_ Il dit vrai, continua Taylor d'une voix sèche. Il provenait d'LV-426 et est venu heurter la coque du vaisseau. Les autres accès sont verrouillés ?
_ Non, personne d'autre en ma connaissance n'est allez verrouiller les portes.
_ Alors nous sommes tous morts.
_ Pourquoi ça ?
_ Parce qu'une grande quantité de gaz s'infiltre dans le vaisseau. Il en aspire l'air et réduit en miettes ce qui se trouve sur son passage. Sa progression étant très rapide, il est probable que d'ici quelques minutes, le vaisseau explosera en plein vol, et nous avec, expliqua Matthews.
_ Bordel de merde, jura Derek.
_ Il faut prévenir tout le monde. Qu'ils aillent le plus vite possible jusqu'au hangar et qu'ils prennent la navette avant qu'ont soient fait comme des rats, s'exclama Taylor.
_ Comme vous voudrez. Je vais prévenir le pilote, qu'il prépare son matos à l'avance.
_ Et si tu vois Sam, informe-le de ce qui se prépare, rajouta Taylor dans la foulée.
Derek acquiesça d'un signe de tête, partant peu après en courant. Matthews observa l'aile ouest du vaisseau qui commençait à tomber en ruine au fur et à mesure de la progression du gaz mortel. Pièce par pièce, l'appareil volait en éclats, au grand désespoir des deux marines qui ne pouvait que contempler ce terrible spectacle. Il ne restait, derrière l'imposante structure de métal, que de fumée et de cendres éparses.
_ Que Dieu nous protège, murmura Matthews entre ses dents.
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