Nous pénétrons dans le camp sous un silence inhabituel, alors que la nuit commence à tomber. Autour de nous, aucun mouvement, aucun éclat de rire, aucune ombre qui se mouve. Plus nous avançons, plus l'angoisse enserre ma poitrine. Nous avons laissé les chevaux à l'extérieur du camp avec leurs compagnons, si bien que toute fuite précipitée est impossible. Je fini par lancer un regard inquiet à Kaylan. Il me répond avec son calme habituel :
— Rejoignons le centre du campement, ils ne doivent pas être loin.
Lorsque nous arrivons à l'endroit où les tentes sont plus rapprochées, je me glisse à côté de Kaylan, main sur ma dague, aux aguets. Sa force tranquille m'apaise, même si je ne suis toujours pas rassurée. Mon inquiétude pour tous les amis que j'ai laissés là en partant avec Kaylan commence à enfler.
Je ressers ma prise sur mon arme alors que je crois apercevoir une ombre se déplacer dans mon champ de vision. Un pas après l'autre, prenant garde à ne pas trop m'éloigner de Kaylan, j'avance vers les tables désespérément vides du réfectoire.
Soudain, une dizaine de lanternes s'allument et je sursaute violemment, heurtant Kaylan juste derrière moi. Il me retient d'une main dans mon dos alors qu'un concert de voix retentit en hurlant :
— Surprise !
Mon cœur rate un battement tandis que ceux que je côtoie depuis des mois sortent de l'ombre. Les visages les plus familiers s'avancent en premier et un immense sourire étire mes lèvres, en réponse à celui que m'adresse Sûm lorsque nos regards se croisent.
À mon oreille, Kaylan chuchote :
— On ne pouvait décemment pas partir sans aurevoirs dignes de ce nom.
Je n'ai pas le temps de lui répondre, puisque Sûm s'avance vers moi les bras grands ouverts et m'attrape pour me serrer contre lui.
— Tu vas me manquer, souffle-t-il.
La tristesse qui perce sa voix me brise le cœur. Malgré le sourire qu'il affiche, je sens que mon départ le pèse autant que moi. Sur le même ton, je lui réponds :
— Je ne suis pas encore partie.
Il s'écarte et m'adresse un sourire. Un sourire rien que pour moi, qui m'est entièrement destiné, où repassent tous les moments que nous avons passés ensemble. Je me détourne vers Nephtys avant que les larmes ne débordent de mon cœur. Elle m'adresse un rictus amusé et j'observe Sûm s'éloigner hors de mon champ de vision.
— Je ne suis pas sûre qu'il soit utile de se dire aurevoir maintenant, on va se revoir dans l'arène sous peu.
Je ne peux retenir mon air surpris. Dans l'arène ? Comment ça ?
C'est Weylin qui répond à ma question silencieuse, une bouteille à la main et l'autre bras passé autour des épaules de son âme-sœur.
— Kaylan a tellement peur que tu ne sois pas à la hauteur qu'il nous a demandé d'assurer vos arrières en entrant dans la compétition avec vous.
Toute la confiance que j'avais réussi à accumuler jusque-là s'effondre d'un seul coup. Je me retourne pour interroger Kaylan sur cette affirmation, mais il n'est plus là et mon regard de rencontre que le vide. Cependant, vu le bruit qu'ont fait les débris de mon cœur en éclatant dans ma poitrine, il devrait réapparaitre rapidement.
Une main posée sur mon épaule et la voix de Nephtys me font sortir de mes pensées.
— N'écoute pas un mot de ce crétin.
Le léger sourire qu'elle m'adresse remplit mes poumons d'air.
— Nous nous entrainons depuis longtemps, depuis bien avant que nous ne fassions ta connaissance. Il était convenu que nous participions, si Kaylan ne trouvait pas son âme-sœur. Après ton arrivée, cette idée a longuement été débattue. Nous n'étions plus vraiment nécessaires, puisque tu étais là.
Son sourire vacille un peu, mais il tient bon et moi aussi. À côté de nous, Weylin lève les yeux au ciel avant que Nephtys ne lui adresse un regard noir et lourd de sens.
— C'est Kaylan qui a tranché en nous demandant de rester, au moins pour les deux premières épreuves. Il veut que tu aies le choix, que tu puisses partir quand bon te semble avant qu'il ne soit trop tard. Nous sommes la bouée de secours. Si nous perdons, on nous remplacera. Une âme-sœur, en revanche, ça ne se remplace pas.
Alors que sa main quitte doucement mon épaule, je l'attrape à mon tour et la presse contre moi. Nephtys se crispe à mon contact, puis se détend lorsque je la serre un peu plus, allant jusqu'à me rendre mon étreinte.
Pendant un instant, j'ai l'impression de tenir à nouveau Mayleen entre mes bras. L'image disparaît bien vite, malheureusement, au profit du visage de Weylin qui se plante devant moi pour m'adresser un clin d'œil et lève ses deux pouces à mon encontre. Où est passée sa bouteille ?
Je m'écarte de Nephtys en ayant juste le temps d'apercevoir une larme dans son regard avant qu'elle ne reprenne sa constance habituelle. Je lui adresse un sourire sincère.
— Vous êtes irremplaçables, Nephtys. Surtout toi. Weylin, j'ai plus de doutes.
L'intéressé me tire la langue comme un enfant avant de s'en détourner vers le buffet qui est en train d'être dressé derrière nous. Nephtys, elle, ne me quitte pas des yeux.
— Tu as une âme pure, Aaliyah. Tu as su conserver son éclat malgré toute la noirceur qui a menacé de te ronger. Je comprends pourquoi Kaylan et toi partagez la même essence.
Avant que je n'aie pu trouver le véritable sens de ses propos, elle attrape ma main et m'entraîne à la suite de Weylin, vers les tables où tout le monde s'est regroupé.
— Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu un câlin pareil, d'ailleurs.
— Weylin ne te prends jamais dans ses bras ?
Elle a un léger sourire triste et je regrette tout de suite ma question.
— Weylin... disons qu'il a tendance à vivre dans un autre monde que le nôtre. Nous avons eu la chance de nous trouver assez jeunes, mais lui avait déjà vécu beaucoup de choses qui lui ont laissé des cicatrices indélébiles. J'ai essayé de l'aider du mieux que j'ai pu, mais je n'ai jamais réussi à vivre pour deux.
Je hoche la tête en silence. Kaylan aura beau dire que je suis douée avec les mots, parfois rien ne vaut un silence remplit d'émotions. Au vu du regard que Nephtys me lance, je sais qu'elle a compris. Mon absence de paroles n'est pour moi qu'une façon de la soutenir, parce que je sais ce qu'elle ressent, même si elle n'a probablement aucune idée d'à quel point.
— Les filles ! Vous voulez manger quoi ? Faites-vous plaisir, il faut tout écluser avant le grand départ !
Sûm nous tend deux assiettes avec un grand sourire et un clin d'œil appuyé pour moi. Je hausse un sourcil interrogateur et il attend que Nephtys s'éloigne pour me glisser à l'oreille :
— Ne le répète à personne, mais je fais également partie du buffet, si tu veux...
Il laisse sa phrase en suspens, n'ayant pas besoin d'en rajouter pour que je comprenne le sous-entendu. Je lui adresse un grand sourire et commence à m'éloigner vers le buffet, bien tentée de le laisser planté là sans réponse. Cependant, il m'emboîte le pas et je lui glisse à mon tour :
— On verra s'il me reste de la place pour le dessert.
Le regard que nous échangeons n'échappe sans doute à personne, mais peu m'importe. Je repousse la pensée de Kaylan aussi loin que possible. Je me dirige vers les tables et rempli mon assiette tandis que j'engage la conversation avec plusieurs personnes. La vague de sourires et de bonne humeur qui s'échappe de cette soirée m'empêche de sombrer dans la mélancolie.
Je me régale en compagnie de ceux que j'ai appris à aimer durant ces derniers mois, assise aux côtés de ceux qui sont devenus des amis. Sayna, Laël, Zeïn, Maïh, Nephtys, Sûm, Novan et tous les autres. Des noms et des visages que je n'oublierai pas de sitôt, je m'en fais la promesse. Leur empreinte sur mon cœur est de toute façon bien trop importante pour que je puisse m'en défaire comme d'une vulgaire poussière.
À mesure que la soirée avance, la boisson et les mets coulent à flot. La musique prend de l'ampleur sur les instruments des musiciens presque aussi éméchés que nous et le réfectoire se transforme en une immense piste de danse.
Les souvenirs de ma première soirée au camp se mélangent aux images qui s'impriment sous mes yeux. Je ris aux éclats, mes mains dans celles de Zeïn, les battements de mon cœur accordés à ceux de toutes les personnes autour de moi, comme une seule et même entité.
Nous tournons et tournons encore et je sens mes mains effleurer celles d'autres danseurs à mesure que nous changeons de partenaire. Je ne rouvre que pleinement les yeux lorsque je reconnais les doigts qui agrippent les miens, pour les avoir sentis cent fois contre moi.
— J'ose espérer que tu as encore assez faim pour un dessert.
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Hey !
Aujourd'hui, un chapitre avec une jolie fête surprise, pour mieux briser nos cœurs plus tard. Est-ce que vous vous attendiez à la présence de Nephtys et Weylin lors des épreuves ? 👀 Eh bah moi non plus à vrai (#c'estmespersonnagesquichoisissent)
En tout cas, je ne sais pas vous, mais si Sûm est sur le menu je ne dis pas non à un plat supplémentaire 🙋♀️
A la semaine prochaine !