Soleil noir, ou le voyage des...

By emge-s

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La guilde des cartographes est l'une des institutions les plus anciennes et les plus célèbres du continent :... More

Avant-propos
Prologue
Chapitre I (1/3)
Chapitre I (2/3)
Chapitre I (3/3)
Interlude
Chapitre II (1/3)
Chapitre II (2/3)
Chapitre III (1/2)
Chapitre III (2/2)
Interlude II
Chapitre IV (1/3)

Chapitre II (3/3)

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By emge-s

L'ASSEMBLÉE DES ORDRES,
ou COMMENT UN IVROGNE ÉBRANLA UNE DÉMOCRATIE


Ce que l'on découvre sur l'immense porte de l'Assemblée, au matin même de l'ouverture de la séance, c'est une carte, placardée avec d'immenses clous tordus. La foule est stupéfaite, des badauds se lancent dans de grandes tirades scandalisées, et tout le monde parle de l'ivrogne, mort empalé dans une rue du faubourg nord. Ce qu'il y a sur cette carte est un mystère : elle n'a rien à voir avec toutes les représentations du monde réalisées jusqu'à présent.

L'Alliance et le détroit y figurent en tout petit, les terres voisines d'Obrison tout autant, et Ducbourg encore plus loin... Mais il y a d'autres terres. D'autres mers. D'autres montagnes. Un monde entier, dont personne n'avait jamais eu idée.

Mais, peut-on se demander, d'où peut venir une telle idée ?

Certains sont complètement remontés ; cela n'a pas lieu d'être, le monde ne peut pas être aussi étendu. Et, quoi, d'ailleurs, comment ils ont pu réaliser quelque chose comme ça ? C'est de l'imagination, c'est tout. Oui, mais quand même, pourquoi aller inventer un truc pareil ?

Oui, pourquoi ?

Il faut dire que des questions se posent. A l'extérieur, comme à l'intérieur de l'Assemblée. Dans la grande salle ronde au dôme de verre, le désordre est à son paroxysme. Personne ne s'écoute parler, et le pauvre Médiateur a bien du mal à calmer les Ordres déchaînés.

Sevestre le Borgne, capitaine de la Garde, tonne de sa voix de leader, vocifère sur un jeune page, qui n'a sans doute rien demandé et semble vouloir prendre ses jambes à son cou. Le chef des Corporations et maître des colporteurs, le sieur Tuemouches, est quant à lui, très remonté, réalisant tout un tas de grands gestes indéchiffrables et parlant à une vitesse effroyable, prenant à partie les représentants des corporations mandatés pour l'occasion ; dans le lot, il y a un charpentier, un boulanger, et deux métallurgistes... aucun d'eux ne paraît réellement comprendre l'ampleur de la situation, visiblement perdus devant tant d'engouement pour un simple bout de parchemin. Les mages, quant à eux, rayonnent, et débattent entre eux, sur le ton du conciliabule comme ils savent si bien le faire, et rêvent déjà de leur magie retrouvée, de leur prestige restauré... enfin, la grande Irène Brülevive, de la consœurie des Faiseurs de feu et représentante élue des Guildes, se lève, et rugit :

-Cela suffit !

De son poing serré jaillissent des étincelles, ses cheveux noirs sont parcourus de flammèches, et tout ce petit monde se tait soudain, la fixant avec des moues apeurées. Une telle démonstration de magie à l'état brut est immensément rare, et peut suffire à faire frémir n'importe quel péquin. Le Médiateur, lui aussi bouche-bée, parvient à surmonter sa peur et tente de rassoir son autorité dans un gargouillis étranglé :

-V... veuillez reprendre place, nous allons reprendre la séance.

Le bruissement des capes de soie empli le dôme, et les Ordres prennent place dans la vaste salle circulaire. Sur l'aile droite, les capes vertes des Corporations. Les capes bleu foncé des Guildes occupent le côté gauche, tandis que le bordeaux de la Garde se retrouve coincé au milieu. Au centre, se dresse le Médiateur, debout derrière son pupitre, vêtu d'une longue robe noire, un masque blanc sur le visage. Le Médiateur est anonyme, choisi parmi les citoyens, il abandonne son nom le temps de son mandat d'un an. Il a pour rôle d'organiser l'Assemblée, de distribuer la parole, et de rappeler les Ordres à leurs engagements. Une tâche titanesque, qu'une seule petite personne doit porter face aux fortes têtes de l'Assemblée. Pas évident tous les jours, c'est certain.

Le Médiateur, donc, pose ses deux mains sur le pupitre, et essaye de reprendre contenance. Qu'il fait chaud, sous ce masque de porcelaine ! Il arrive toutefois à se ressaisir rapidement, et ouvre le manuscrit reposant sur le pupitre ; il tourne les lourdes pages – comptes-rendus et ordres du jour des Assemblées précédentes – pour arriver à une page vierge, où tout est encore à inscrire.

Il soupire devant la tâche à accomplir. Tend la main pour se saisir de la plume dans l'encrier ; et s'applique pendant un temps à inscrire les noms des membres présents dans le plus grand des silences. Les Ordres attendent, bien plus disciplinés qu'il y a quelques instants, et les murmures viennent des tribunes supérieures, où s'entassent des gens du peuple, citoyens et citoyennes ne faisant partie d'aucune organisation, venus simplement assister à l'Assemblée. Un héritage de la Révolte, qui prônait une politique ouverte à toutes et tous. Le Médiateur lève un œil derrière son masque, et, sa besogne terminée, repose sa plume dans un bruit mat sur le pupitre sombre.

-Bien. Honorables membres des Ordres, vous connaissez les usages, respectez le tour de parole. Je laisse à présent la tribune libre jusqu'au moment du vote.

Le Médiateur se met alors en retrait, prenant le rôle de l'ombre, de celui qui distribue la parole. Ainsi, Irène Brülevive se lève la première, des flammèches parcourant toujours sa longue chevelure noire. Sa cape est d'un rouge flamboyant, jurant fortement avec le bleu nuit normalement traditionnel des guildes.

-Nous avons été témoins ce matin d'un évènement de la plus haute importance : un autre monde existerait au-delà de nos frontières !

Mais, alors qu'elle s'apprête à poursuivre son discours, une voix jaillit des rangs des Corporations: 

-Où sont les cartographes, quand on a besoin d'eux ?!

Un silence, tous se regardent. Certains dévisagent le malheureux qui a osé soulever la question. D'autres prennent soudain grand intérêt à observer le dôme de verre ou leurs pieds. L'embarras s'abat sur la salle, tel un couperet. Finalement, Sevestre le Borgne se redresse en se raclant la gorge, et au grand bonheur de tous les peureux, prend la charge sur son dos :

-Je vous rappelle que les cartographes, si braves soient-ils, n'ont plus leur place dans cette Assemblée.

Des rumeurs font frémir l'assemblée. Soudain, on évoque à demi-mots ce qu'il est advenu. Les commérages vont bon train. Parmi les murmures, un boulanger d'Obrison et un typographe de Bélême s'entretiennent :

-M'enfin, c'est absurde ! Tu l'savais, toi ? s'insurge le boulanger en se tournant vers son camarade.

L'autre, les bras croisés, hoche la tête, la mine fermée. Il se penche vers son voisin pour lui raconter ce qu'il sait.  Après la Révolte des Paysans, la guilde des cartographes est restée fidèle à elle-même. Rejetant les jeux de pouvoir et d'influence, les cartographes ont continué leurs activités – à remettre en question le pouvoir et la propriété des terres, à tenir les Ordres responsables de leurs décisions et de leurs engagements. Bien sûr, ces derniers ont alors jugé que la guilde entravait le bon fonctionnement de l'Alliance, et l'ont exclu de l'Assemblée. 

-Personne ne sait ce qu'il est advenu ensuite. Parfois, un cartographe apparaît, rempli une mission de terrain de seconde zone, se bagarre dans une taverne, dérobe le patron d'une corporation.. personne ne sait quand et où ils vont apparaître, ils prennent toujours le monde par surprise. Mais ils continuent d'arpenter le monde, c'est certain. C'est une guilde marginale, éparpillée sur tout le territoire, avec sa seule réputation pour consolation.

-Une guilde de voleurs, voilà bien tout ce qu'ils sont ! s'écrie alors Vadir Tuemouches, sous l'approbation de quelques chefs de corporations influents.

-Qu'est-ce que cela veut dire ? riposte, outré, un philosophe depuis l'autre bout de la salle. Le Griffon a parcouru des centaines de pays, avec sa compagnie ils ont voyagé à travers des contrées que personne n'avait imaginé jusqu'alors ! Ne croyez-vous pas que leurs connaissances seront utiles ? Il s'agit de notre monde, nous avons besoin de le comprendre ! Et nous avons besoin des cartographes pour cela !

Tuemouches balaye l'invective d'un geste négligeant de la main. Sûr de sa réputation et du pouvoir qu'on lui accorde, il affirme, hautain :

-Oui, oui, ils nous ont bien aidé par le passé, mais le Griffon n'est plus. Ni sa compagnie. C'est de l'histoire ancienne.

C'est surtout la goutte de trop : au plus grand dam du Médiateur, le fragile équilibre du tour de parole vole en éclats. D'un même bond, tout le monde se lève, s'interrompt, se dispute et s'invective. Les mots jaillissent de partout, si bien qu'il est difficile de suivre la moindre discussion au milieu de cet imbroglio bruyant. N'en résultent que des bribes, des voix qui prennent l'avantage sur d'autres, qui s'imposent pendant quelques secondes au-dessus du brouhaha, attirant l'attention des opposants alentours, des affirmations jetées sans fondement, contrées par des interrogations trop vives, qui sont elles-mêmes enterrées par des exclamations atterrées...

Deux positions s'esquissent alors ; les uns qui veulent voir cette carte disparaître, effacer à jamais la possibilité qu'il existerait un ailleurs trop grand pour leur imagination, tandis que les autres souhaitent élargir leur connaissance d'un monde qu'ils pensaient jusqu'alors trop exigu.

-Il faut faire venir un cartographe ici !

-Où sont-ils ? Où peut-on les trouver ?

-Ma foi... les cartographes sont partout... marmonne quelqu'un juste assez fort pour qu'on l'entende.

La question reste donc sans réponse.

-Ils mettent en péril la sûreté de la démocratie ! La carte est un coup de leur part pour retourner la population contre nous ! s'exclame un membre de la Garde, approuvé par des hochements de tête vigoureux de ses voisins de banc.

-Que dites-vous ! Ils ont toujours œuvré dans l'intérêt commun, pourquoi voudraient-ils nous nuire ? Leur travail nous permet de mieux connaître notre monde, et d'être en accord avec celui-ci. C'était le but de la Révolte des Paysans, se réapproprier nos terres. Pourquoi ne font-ils plus partie de l'Assemblée ?

-Mais nous ne voulons pas mieux connaître notre monde ! Nous vivons déjà très bien avec ce que nous avons ! Et ça devrait rester comme ça !

-Et la liberté de circuler et le droit à la connaissance ? Ce sont les fondements de l'Alliance !

Les syndicats d'Obrison campent derrière ce dernier argument sans faiblir, ce sont les derniers à avoir rejoint l'Alliance, et leur jeune région a toujours été bercée par les idéaux des cartographes. Les mages se sentent obligés d'en rajouter, en agitant un doigt moralisateur :

-Et pensez à l'avenir de la magie !

-Au feu, vos belles idées ! Sécurisons nos frontières ; consolidons nos partenariats économiques ; croyez-moi, nous vivrons mieux dans l'ignorance. 

-C'est une bien belle erreur, si vous voulez mon avis, murmure-t-on.

-Mais alors, où sont-ils ?!

Soudain, semblant venir du fond de la salle, dans l'ombre où le Médiateur assistait jusqu'alors, consterné, à ce débat enflammé, une voix posée retentit, se répercutant sur les parois du dôme de verre, toit de l'Assemblée :

-Allons, allons, un peu de calme ! Que diriez-vous de régler la question par un vote ?

Une exclamation générale accueille la proposition du Médiateur. Le débat se clôt, et s'ensuivent de longues délibérations sur la teneur, les conditions et la dénomination du vote – il s'agira donc de réaliser un vote des plus simples : à main levée et à majorité, pour ou contre l'utilisation de la carte. Des désaccords suivent quant à l'Ordre à qui confier l'objet... après une nouvelle salve d'arguments de chaque côté, la Garde est finalement désignée. Sevestre le Borgne se lève et s'incline avec le plus grand respect. Les Ordres procèdent alors au vote, animé par le Médiateur, dont la voix surgie de l'ombre semble englober toute la pièce.

-En faveur de l'utilisation de la carte. Levez la main.

Quelques mains se lèvent sans hésitation – en grande partie des mages et quelques autres membres de guildes marginales. La garde et les corporations restent les bras résolument croisés.

-Contre son utilisation, et en faveur de sa conservation par la Garde jusqu'à nouvel ordre. Levez la main.

Là, une foule de mains se lève alors, sans l'ombre d'un doute. Le Médiateur s'avance et assène alors :

-Les Ordres ont tranché. La carte demeurera cachée. 



hola :)) 
(petite note pour des lecteurices de fantasy sans pitié): 

je reprécise que j'écris cette histoire sans me prendre la tête, sans (pratiquement) de relecture. je garde volontairement ce côté "fluide" avec beaucoup de virgules, de répétitions, et souvent en premier jet, et je ne cherche pas forcément à l'améliorer, car j'écris cette histoire avant tout pour me faire plaisir! 
de plus, je suis à la recherche d'un style plus vivant qui ne se repose pas uniquement sur des descriptions pesantes ou l'élaboration d'un vocabulaire ultra technique. c'est un aspect que je travaille quotidiennement, j'espère atteindre ce que je recherche un jour, en attendant, je vous propose ce style un peu bancal! :) 

néanmoins, je suis toujours intéressée par des remarques constructives et les théories/hypothèses que l'on peut avoir sur la direction que va prendre l'histoire!!! je lis avec plaisir vos commentaires et j'apprécierais de ouf échanger sur vos théories ou idées!

merci encore d'avoir lu!

bises!! 


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