Prologue

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LA LOUVE, LE COEUR D'ACIER ET L'HIRONDELLE


C'est une clairière étroite, au fin fond d'un bois sombre et impénétrable. Les branches s'écartent à peine pour laisser filtrer la lumière de la lune et s'échapper les étincelles d'un maigre feu qui s'étiole au creux d'un âtre de feuilles mortes. Bénéficiant au plus près de sa lueur incertaine, une silhouette s'applique, recroquevillée sur un parchemin tendu sur une fine planche de bois.

Un carnet de notes, à la couverture de cuir, aux pages gondolées d'encre et de mine de plomb, est ouvert à ses côtés dans l'herbe asséchée par l'hiver. Y sont recensées des données variées : croquis et schémas d'observation côtoient les chemins, les nouvelles routes et celles qui n'existent plus, les calculs de distances, les frontières et les délimitations, les évolutions du terrain, les ruines et les éboulis... La plume ripe sur le parchemin ; une belle rature, indélébile, sur cette partie du continent, venant anéantir des heures de travail.

-Pardieu !

Un geste rageur, la plume finit dans l'herbe, et le parchemin au feu. Les flammes ne tardent d'ailleurs pas à le dévorer tout entier.

Délaissant son ouvrage, les mains tachées d'encre noire, les poignets suintants sous des bandages puants, elle s'allonge en équilibre sur ses coudes et lève la tête pour contempler les cieux. Elle s'abandonne à la lente complainte du bois sec et des brindilles sous l'assaut des braises. Au loin, la rumeur de chants et de rires alcoolisés perce le silence de la nuit – la célébration de la fête des Paysans bat son plein même dans les bourgs les plus reculés de l'Alliance. Elle sourit et ferme un instant les yeux.

Une branche craque, dans les fourrés. Par réflexe, elle se redresse, alerte, ses mains viennent d'instinct se poser sur ses hanches, là où son rangés ses poignards. Puis, une flèche fuse, vient se ficher sur une souche toute proche.

-Qui va là ?

Sans attendre de réponse, elle glisse hors de la lueur du feu, hors de vue pour son agresseur.

-Plus un geste ! Ce secteur est interdit aux cartographes ! rugit-on dans le sous-bois.

Le plus lentement possible, elle dégaine la plus fine de ses lames, prend appui sur ses jambes et s'apprête à s'élancer, lorsque la froideur glaciale d'une épée se pose sur sa gorge. Dans sa nuque, un souffle chaud. Elle est poussée vers la lumière.

-C'est La Louve ! crie le type qui la retient toujours, et, raffermissant sa prise sur la garde s'adresse sèchement à elle : Tiens-toi tranquille, sinon...

Une légère pression de l'acier contre sa peau, le picotement laisse présager une dangereuse estafilade le long du cou. Le fin couteau toujours au creux de sa paume, elle feint la passivité : les épaules relâchées en signe de résignation, les bras le long du corps. Puis, d'un mouvement rapide et précis, elle enfonce la lame dans la cuisse de son agresseur, et la retire aussi promptement. L'autre la lâche dans un cri de douleur, elle en profite pour lui glisser entre les doigts, reprendre ses affaires au vol, et s'échapper dans l'obscurité de la forêt.

-Reviens ici, saleté de cartographe ! Moi vivant, tu n'apporteras pas tes maudits plans à Sérègue !

Mais la Louve est déjà bien loin, à arpenter les sentiers escarpés de la Zone Interdite. Encore quelques observations à réaliser, quelques heures de marche à découvrir cette partie du continent jalousement gardée par quelques corporations véreuses, et elle pourra retourner à la guilde, qui attend probablement son rapport.

***

-Plaaace ! Plaaace ! Voici L'Anommé, qui nous a rendu grand service ici à Auberon pour mettre fin à la terreur du Serpentin ! Plaaace !

Soleil noir, ou le voyage des cartographesWhere stories live. Discover now