Chapitre III (2/2)

10 1 0
                                    

LES CHEVALIERS DE LA GARDE, 
ou COMMENT UNE BANDE DE TRUBLIONS VINT G
ÂCHER LA FÊTE


-Alors tu vois, mon amulette, c'est de l'écorce, prélevée sur un arbre millénaire le long des côtes de la lointaine province d'Andun, là où les vents se croisent le plus fort...

Maïeul agite le bijou qui pend autour de son cou sous le nez de son compagnon. Calist a un mouvement de recul, l'air faussement dégoûté :

-Arrête avec tes techniques sauvages, sale escamoteur !

D'un coup, Maïeul laisse retomber son pendentif dans un roulement de perles de jade, prend une expression outrée, et l'interpelle :

-Et toi, tu crois que c'est pas sauvage, de collaborer avec la Garde ? Saleté d'aménageur !

-Païen !

-Vendu !

Un ricanement les fait se retourner.

-Et on en parle des arpenteurs ? crient-ils en cœur.

-Jamais là quand on a besoin d'eux ! Toujours par monts et par vaux occupés à je ne sais quoi !

-De vrais hors-la-loi !

Liuva boit une grande goulée de bière, repose sa choppe en éclatant de rire :

-On est tous les trois cartographes. Un arpenteur n'est rien sans un escamoteur et un aménageur. Le groupe, c'est notre force.

-Oh, arrête Liuva, tu vas nous faire rougir.

Mais Maïeul ne se laisse pas démonter, et, l'air un peu ivre, fait tournoyer sa chope de bière vide dans les airs. Il s'exclame, désespéré :

-Tu parles ! Il est passé, l'âge d'or des cartographes ! Combien de temps, depuis que les anciens ne se sont plus montrés ? Tous divisés, occupés à leurs petites querelles individuelles. Combien de temps, depuis, la dernière vraie réunion ? Nous sommes esseulés, entendez-moi bien : seuls dans ce monde si vaste ! Quelle tragédie !

Ses deux compères se lancent un regard, pour le coup vraiment affligés, et boivent une petite lichette de la bière tiède que leur a servie le tenancier de la taverne, qui les connaît plutôt bien. (Ce dernier, par ailleurs, debout et discret derrière son comptoir, est un ami de longue date de la guilde, et sa bière, brassée dans la campagne séréguienne, est grandement appréciée par les cartographes voyageurs)

-Mais vous avez entendu parler de cette carte, là... sur les portes de l'Assemblée... une fille du syndicat d'Obrison m'a dit que...

Calist s'interrompt devant le regard inquisiteur de Maïeul. Il rougit comme une pomme trop mûre et détourne les yeux vers la fin de son gobelet.

-Oh ça va, arrête de me regarder comme ça !

L'air songeur, Liuva survole la pièce du regard. Il n'y pas foule en cette soirée, dans cette auberge un peu reculée du le faubourg nord de la ville. Trop loin de l'Assemblée, trop proche des baraquements de la Garde, les gens ne viennent pas souvent pour y faire affaire. Une bonne planque pour les vagabonds dans leur genre.

-Peut-être que le vieux nous fera parvenir un ordre de mission bientôt...

-Ce serait bien qu'on reprenne du service, sinon Calist va finir par aller voir ailleurs ! plaisante Maïeul en ébouriffant les cheveux blonds de son ami.

Ce dernier se dégage de l'étreinte en pestant, décale un peu son tabouret, bien décidé à mettre de la distance entre son compère décidément bien rieur et lui. D'habitude, c'est plutôt l'inverse qui se produit, mais là, Maïeul en est déjà à sa troisième chope, et cela ne risque probablement pas de s'arrêter là.

Soleil noir, ou le voyage des cartographesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant