Ariona Maltais - les 73e Hung...

By Turt_2

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A l'aube des 73e Hunger Games, Ariona Maltais, jeune Capitolienne, accompagne Effie Trinket pour assister à l... More

Présentation
Chapitre 1 : Voyage en train
Chapitre 2 : Une journée au district
Chapitre 3 : la Moisson
Chapitre 4 : Confusion
Chapitre 5 : Première soirée
Chapitre 6 : Retour
Chapitre 7 : la Parade
Chapitre 8 : Tensions
Chapitre 9 : Le Centre d'Entraînement
Chapitre 11 : L'évaluation
Chapitre 12 : L'interview
Chapitre 13 : le Lancement
Chapitre 14 : On ne peut pas stopper le destin
Chapitre 15 : Jour 1
Chapitre 16 : Course poursuite à travers la ville

Chapitre 10 : Réconciliation

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By Turt_2

Un silence de mort s'installe dans la salle, chacun ayant arrêté son activité pour dévisager le nouveau venu. Dust paraît dans un premier temps en colère d'avoir été amené ici, mais finalement la gêne prend le dessus et son malaise habituel face aux inconnus refait surface. La tête basse, il rejoint l'atelier des nœuds en prenant bien soin de ne pas me regarder, ses pas traînants résonnant dans la pièce silencieuse. Puis Pyrite se retourne brusquement et plante sa hache dans le torse d'un mannequin, détournant l'attention de Dust et relançant les activités.

Je reste un instant à observer le jeune mineur nouer quelques cordes sans vraiment faire attention, le cou rentré dans les épaules. Malgré son manque de concentration évidant, il s'en sort assez bien, ses longs doigts s'agitant rapidement pour plier, tordre et serrer, à tel point que l'instructeur vient rapidement lui conseiller d'autres formes et techniques de nouage.

Après avoir encore réalisé quelques classements de plantes, je laisse l'atelier pour me diriger vers celui du bivouac, où j'apprends à dresser une tente, même si je ne pense pas que j'aurai la chance d'en avoir une dans l'arène. Je découvre également comment allumer un feu avec des allumettes, ou avec des silex - ce qui se révèle bien plus compliqué que prévu - et comment l'utiliser pour cuire des aliments. Je termine ensuite la matinée par un apprentissage sur le dépeçage les animaux, avec des essais réels qui auraient presque pu me convertir au végétarisme.

*

A 13h, tous les tributs sont conduits dans une salle adjacente au gymnase, où l'on peut se remplir des plateaux avant de s'assoir sur une des nombreuses tables disponibles, prévues pour bien plus de vingt-quatre personnes.

De nouveau, les Carrières restent en groupe, formant comme une meute bruyante et sauvage dont il vaudrait mieux éviter de s'approcher. A part les deux du Sept, tous les autres tributs s'éloignent les uns des autres, restant seuls en bout de table en face de leur assiette souvent bien garnie.

Après avoir rempli la mienne de pommes de terre et de haricots - impossible de prendre de la viande pour le moment -, je remarque Dust attablé dans le fond. J'hésite un instant, puis décide finalement de le rejoindre et de m'assoir en face de lui.

_ Alors cette première matinée, qu'est-ce que tu en as pensé ? je demande en attaquant mon déjeuner, comme si nous étions de vieux amis et pas des adversaires dans un jeu mortel.

La tête toujours baissée, mon partenaire de district ne répond pas tout de suite. Il se contente de piocher nerveusement quelques boulettes de porc dans son assiette, manifestant un manque d'appétit aussi inhabituel qu'inquiétant. Après presque une minute d'un silence assez lourd, il finit par grommeler :

_ Arrête, Ariona. Arrête de faire comme si rien ne s'était passé, comme si la situation était totalement banale. C'est suffisamment compliqué comme ça sans que tu viennes remuer le couteau dans la plaie.

_ Je n'ai jamais prétendu que les événements étaient normaux ou quoi que ce soit, je remarque. Je t'ai juste demandé comment s'était passée ta matinée. D'ailleurs, pourquoi es-tu arrivé en retard ? Tu n'étais toujours pas sorti de ta chambre quand je suis descendue.

_ J'ai pas vu l'heure tourner et j'ai dormi trop longtemps, c'est tout. Avec tout ce qui s'est passé hier tu vois... C'est pour ça que les Pacificateurs sont venus me chercher.

Le mensonge est tellement évidant que je ne peux pas m'empêcher de le relever.

_ Pourtant, j'ai vu un Muet t'apporter ton petit-déjeuner vers 9h 30 donc tu étais déjà réveillé à ce moment-là.

_ Eh bien je me suis rendormi, voilà, s'emporte-t-il en redressant enfin la tête. Qu'est-ce que tu cherches à prouver à la fin ? Pourquoi tu peux pas juste me laisser tranquille ?

_ Parce qu'au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, nous sommes ce qui se rapproche le plus d'alliés dans cette salle, et je n'ai pas envie de faire de toi un ennemi supplémentaire.

_ Attends, tu me propose une alliance là ? s'exclame l'adolescent éberlué, témoignant enfin une profonde attention à mes paroles.

_ Non, je m'esclaffe devant son expression hilarante. Je compte rester seule dans l'arène. Mais ça ne m'empêche pas de souhaiter être en bonne relation avec toi.

Dust soupire un instant, une lueur de déception dans le regard. Au moins maintenant il ne paraît plus en colère, et le fait qu'il continue de me parler est bon signe.

_ Je me disais aussi, reprend-il. N'empêche, t'es une fille difficile à suivre. J'arrive jamais à comprendre ce que tu veux ou ce que tu penses. Un coup tu m'insultes et tu te comportes comme la pire des ordures, puis un autre coup tu t'excuses et essayes sincèrement de m'aider. Ou du moins, tu parais sincère, ça non plus c'est pas très clair. Comment veux-tu que je m'y retrouve ? Sans parler du fait que tu viens du Capitole mais que pour une raison obscure tu as fait en sorte d'être tirée au sort à la Moisson. Enfin... je crois que tu as fait exprès. Honnêtement, j'ai toujours pas réussi à me faire un avis définitif sur toi.

Ses bafouillages et ses confusions ont rendu son discours presque incompréhensible, mais l'idée principale est quand même ressortie. Je lui réponds d'un air faussement surpris :

_ Holà, je suis pas sûre d'avoir tout compris, mais si tu veux vraiment savoir, je ne suis pas aussi manipulatrice que tu sembles le penser. Et autant le dire tout de suite, je ne compte pas non plus te mettre de bâtons dans les roues lorsque nous serons dans l'arène. Même si c'est probablement ce que je devrais faire.

_ Que ce soit toi qui le dises n'aide pas beaucoup, tu sais ?

_ Non, c'est sûr, mais ça peut pas faire de mal.

Ma remarque fait sourire Dust, qui commence à se décrisper au fil de la conversation. Nous enchaînons sur les différents ateliers que nous avons visités ce matin, et je le félicite pour son excellente maîtrise des nœuds, ce qui le rend visiblement très fier. Nous commençons à peine à échanger nos premières impressions sur les autres tributs que deux Pacificateurs font irruption dans la cantine, nous informant de la reprise imminente. Nous allons ranger nos plateaux et suivons les autres adolescents hors de la salle.

De retour au Centre d'Entraînement, je me dirige vers les exercices de camouflage, suivie par mon partenaire de district. Celui-ci se révèle sans réelle surprise extrêmement doué pour rester silencieux et immobile, qualités parfaites pour se fondre dans la nature. De mon côté, je me débrouille plutôt bien avec la peinture et ferais un arbuste tout à fait acceptable.

Le reste de l'après-midi se poursuit ainsi, dans une ambiance décontractée, loin de ce à quoi je m'attendais pour ma première journée d'entraînement. Dust et moi alternons les discussions presque amicales avec les longs moments de silence, concentrés sur nos tâches. Nous parlons majoritairement du Centre, ou de la parade du jour précédent. Aucun de nous ne mentionne notre ancienne querelle ou les sponsors, sujets encore sensibles pour nous deux.

*

A un moment, nous tentons de nous approcher des stands d'armes, mais l'attitude violente et conservatrice que les Carrières ont conservée toute la journée refroidit nos ardeurs. Mis à part eux et ceux du Neuf, personne ne s'entraîne plus à combattre pour l'instant, la majorité des tributs étant trop effrayée faire le premier pas.

A 18h exactes, alors que Dust et moi sommes occupés à apprendre comment filtrer de l'eau, les Juges quittent soudainement leur place sans raison apparente dans un brouhaha désagréable, dédaignant totalement les tributs. Quelques instants plus tard les portes s'ouvrent, laissant passer deux gardes qui se postent aux entrées. Leur rôle est de vérifier que tous les adolescents rejoignent bien leurs quartiers sans rien emporter avec eux, notamment les armes.

Abandonnant nos ateliers tels quels, nous nous dirigeons vers la sortie dans un silence collectif, avant de monter dans les ascenseurs situés en face des battants. Dust et moi nous retrouvons en compagnie des tributs du Trois et du Cinq, qui descendent rapidement à leurs étages respectifs sans avoir même ouvert la bouche. Une telle isolation m'étonne. A l'aube des Jeux, chacun semble se refermer sur lui-même et ignorer les autres, au lieu d'essayer d'en apprendre le plus possible sur ses adversaires. J'avais déjà remarqué ce comportement étrange chez mon partenaire de district, que j'avais alors mis sur le compte de nos différences de milieu, mais j'ai la surprise de le retrouver chez la quasi-totalité des adolescents.

Pourtant, je ne comprends pas spécialement l'utilité de créer cette bulle protectrice autour de soi. De mon point de vue, l'information est notre meilleur atout, du moins pour les tributs qui ne savent pas déjà se battre, ce qui concerne au final au moins les deux tiers des concurrents. Cette stratégie de se séparer des autres au lieu de s'en rapprocher me paraît donc assez irréfléchie et sans réel bénéfice. La logique recommande plutôt d'être proche de son ami, et encore plus de ses ennemis.

Tout à mes réflexions, je ne remarque qu'avec un temps de retard que l'ascenseur s'est arrêté à notre palier, les portes ouvertes depuis maintenant plusieurs secondes. Reprenant mes esprits, je pénètre dans la pièce principale où Dust s'affale déjà sur un canapé de cuir dans un coin de la pièce, immédiatement servi par un Muet qui vient lui apporter un soda capitolien.

A ce moment-là, Effie se précipite dans la salle, se ruant dans ma direction à une vitesse perturbante vu la hauteur de ses talons. Avant même que l'un de nous ait ouvert la bouche, elle me sert brusquement dans ses bras, trépignant littéralement d'excitation ou de joie. Je suis tellement surprise par la rapidité de l'action que je ne réagis même pas, négligeant de lui rendre son étreinte. Pas qu'elle s'en soit rendu compte de toute façon. Après m'avoir enfin relâchée, mon chaperon, rose de bonheur, s'exclame d'un ton guilleret :

_ J'ai passé une journée absolument for-mi-dable ! En traînant du côté des tables de négociations, j'ai réussi à attirer l'attention d'un très grand nombre de sponsors, et ils veulent tous te soutenir Ariona ! Je n'ai même pas eu besoin de leur forcer la main, comme je l'avais prévu. Ils se disputaient littéralement pour te parrainer. J'ai accepté un nombre affolant d'offres, et je suis même invitée à un gala chez le ministre de la Santé, qui s'est montré particulièrement généreux envers toi quand nous avons pu discuter. C'était absolument incroyable !

Effie s'arrête un instant pour reprendre son souffle et nous permettre de digérer ce débit infernale. Malgré les nouvelles très enthousiastes dont elle vient de nous faire part, un point m'étonne cependant.

_ Félicitations, Effie, tu as accompli un travail fantastique ! Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans toi. Mais si je comprends bien, tu as réussi à convaincre Haymitch de t'accompagner pour rencontrer les sponsors ?

Le sourire de l'hôtesse se fane légèrement, précédant sa réponse.

_ Non, j'ai essayé de l'amener, mais ce rustre n'en fait qu'à sa tête. Il n'a pas voulu quitter le bar, malgré tous mes efforts. Comme je ne voulais pas arriver en dernière et me faire voler tous les sponsors, je l'ai laissé et je suis partie aux tables de négociations.

_ Mais seul le mentor peut prendre des offres pour ses tributs, n'est-ce pas ? j'insiste, bien que je connaisse malheureusement déjà la réponse à ma propre question.

_ Eh bien, oui, en théorie je n'ai pas le droit de signer des contrats à sa place. Néanmoins, j'ai réalisé de très nombreux accords avec un nombre gargantuesque de sponsors qui n'attendent plus que la signature d'Haymitch. Tu aurais dû voir les autres mentors, ils étaient tout seuls dans leur coin, les pauvres, ça faisait peine à voir. La plupart ne sont même pas revenus l'après-midi, tellement ils avaient l'air de s'ennuyer. C'est sûr, tu as toutes les chances de gagner cette année !

_ Oui, si Haymitch est assez sobre pour écrire son nom en bas d'un document, je réplique en riant jaune.

Et si Dust ne me vole pas tous les parachutes...

A cette pensée je tourne la tête vers mon coéquipier, qui n'a visiblement pas manqué une miette de notre échange, bien qu'il n'y soit pas intervenu. Étrangement, l'annonce de la quantité des sponsors ne semble pas le réjouir, bien au contraire. Il me dévisage même de façon plutôt hostile, cachant très mal sa mâchoire contractée et ses poings serrés.

Je fronce aussitôt les sourcils, agacée par une telle marque d'hypocrisie de sa part. A ma connaissance, c'est plutôt moi qui devrais réagir de cette façon, vu qu'il va probablement monopoliser tous les cadeaux qui auraient dû me revenir. Et il sait très bien que je ne pourrai rien y faire.

Suivant mon regard, Effie se tourne alors vers Dust dont elle remarque enfin la présence, et lâche froidement :

_ Ah oui, il faudra aussi régler ce problème-là.

La façon dont elle prononce cette ébauche de menace me choque un peu. Je n'aurais jamais imaginé qu'Effie puisse faire preuve d'une telle animosité envers l'un de ses propres tributs. A l'inverse, je sais déjà qu'elle compte tout faire pour que je gagne les Jeux, donc ça ne me surprend pas qu'elle considère dorénavant Dust comme un ennemi, au même titre que les vingt-deux autres adolescents.

Néanmoins, pour une raison que je n'arrive même pas clairement à m'expliquer moi-même, je prends de nouveau la défense de mon camarade. Me rapprochant de mon chaperon, je lui chuchote doucement de sorte que l'adolescent ne soit pas en mesure de nous entendre :

_ Dust n'est pas un problème. C'est juste un enfant, comme moi, qui a été pris dans le tourbillon des Jeux contre son gré. Il ne représente pas un danger, crois-moi. Et puis de tout façon, il ne passera probablement pas les premiers jours dans l'arène.

C'est au tour d'Effie de paraître étonnée par ma remarque presque cynique. Pourtant cela semble bien la rassurer, et elle retrouve rapidement son sourire et son enthousiasme habituels. Elle en profite alors pour nous interroger sur le déroulement de notre journée, réprimant durement Dust à cause de son retard à l'entraînement. Une vrai maniaque de la ponctualité, comme toujours.

*

Alors que l'après-midi touche à sa fin, je passe rapidement par ma chambre pour me changer et enfin quitter la tenue réglementaire. Je rejoins ensuite la salle à manger située dans la salle adjacente au salon, où j'attends l'arrivée des autres pour le dîner. La table en acajou ébène est dressée devant une immense baie vitrée offrant une vue imprenable sur le quartier ouest de la ville. De cette hauteur, il est possible d'apercevoir jusqu'aux frontières avec la campagne, pourtant situées à plusieurs dizaines de kilomètres d'ici. Je m'amuse un instant à repérer les bâtiments minuscules qui me sont familiers, tels l'université du Capitole, le Palais de Justice, le parc des vainqueurs, et même l'hôtel particulier de mes parents, que j'entraperçois juste en périphérie de mon champ de vision. Voir ma ville réduite à l'état d'une maquette m'amuse beaucoup, et je continue à nommer mentalement toutes les rues ou les endroits que je reconnais jusqu'à ce que Dust arrive derrière moi, et m'interpelle :

_ Hey ! Qu'est-ce que tu fais ?

Je sursaute violemment avant de me retourner, totalement paniquée. Je me décrispe légèrement en apercevant l'adolescent, mais mon rythme cardiaque reste tout de même bien trop élevé à mon goût. Je reprends rapidement un semblant de contenance avant de répondre un peu précipitamment.

_ Rien de spécial. J'observais la vue, c'est tout, mais tu m'as bien surprise.

Ce point-là m'inquiète tout particulièrement. Si Dust arrive si facilement à s'approcher sans que je le remarque, alors qu'il n'essayait même pas de se montrer discret, qu'est-ce que ce sera dans l'arène ? Suis-je donc si facile à surprendre ?

Cette idée me perturbe profondément et me laisse un arrière-goût amère dans la bouche. J'ai beau savoir que Dust est d'un naturel discret, je n'avais pas vraiment réalisé ce que cette particularité impliquait. Si nous nous étions trouvés dans les Jeux, je serais morte pour avoir eu un instant de distraction.

Visiblement inconscient de mon trouble, mon partenaire de district bafouille quelques excuses pour m'avoir dérangée avant de s'enfoncer dans son silence, tout en lissant convulsivement sa chemise. Même avec sa tête rentrée dans ses épaules, il me dépasse d'une bonne dizaine de centimètres. Et malgré sa maigreur cadavérique - qui commence déjà à diminuer - il reste bien plus massif que moi, et pourrait sans nul doute se défendre sauvagement si sa vie était en danger.

Soudainement, je ne vois plus Dust comme le garçon terrifié et misérable qui s'est avancé vers l'estrade le jour de la Moisson, mais comme un adolescent de dix-sept ans qui essayera bientôt de me tuer par n'importe quel moyen.

Une sueur froide descend lentement ma colonne vertébrale, tandis que les battements de mon cœur accélèrent de nouveau et que ma respiration se fait légèrement sifflante. Remarquant enfin mon visage crispé, Dust fronce les sourcils.

_ Ça va ?

Je réponds au tac-au-tac, mes automatismes médiatiques reprenant déjà le dessus.

_ Bien sûr, je vais très bien. Par contre, je commence à avoir un peu faim. Mon déjeuner avait beau être très nutritif, il commence à remonter un peu. Vu l'heure, Effie devrait bientôt arriver, mais honnêtement j'ai quelques doutes pour Haymitch.

_ T'es dure avec lui. Il a sûrement vécu des choses horribles durant ses Jeux, c'est normal qu'il soit un peu différent.

_ Sauf que ses Jeux ont eu lieu il y a vingt-trois ans, et qu'il n'a absolument rien fait depuis pour aider les tributs dont il avait la charge. Son seul acte charitable doit être de faire marcher le commerce d'alcool du district Douze.

_ Merde, t'as vraiment un truc contre notre mentor. C'est pas toi qui essayais tout le temps de lui demander des conseils après la Moisson ?

_ Si, tu as raison, je concède en soupirant. Mais la ruse qu'il a utilisée pour devenir un vainqueur était tellement ingénieuse que je m'attendais vraiment à un bon mentor. Et puis je suis tombée sur... lui.

_ Moi je n'ai jamais vu ses Jeux, répond Dust d'un ton légèrement rêveur. J'étais même pas né, et honnêtement, regarder des rediffusions des Hunger Games ce serait très mal vu dans le district. Je suppose qu'il devait être une tout autre personne pour avoir survécu à vingt-trois tributs.

_ Quarante-sept, je rectifie. C'était l'année de la deuxième Expiation. Il a survécu à quarante-sept tributs.

_ Ah bon ? Je ne savais pas qu'il avait gagné cette année-là. Maintenant que j'y pense, on ne parle vraiment jamais des Jeux à la maison... Bref, même si tu es un peu déçue, tu devrais pas le traiter comme ça, je crois. Tu oublies que c'est lui qui va signer les contrats des sponsors. Il peut te sauver la vie dans l'arène.

_ Ne me parle pas de ça, s'il te plaît, je ne suis pas vraiment d'humeur.

_ Mais si, continue-t-il. Haymitch est le seul à pouvoir t'envoyer les parachutes, mais si tu continues à le mépriser aussi ouvertement, il va t'en vouloir dans l'arène et rien te donner.

Pendant un instant, je me demande si Dust n'a pas sérieusement cédé au stress des Jeux qui se manifesterait chez lui par des pertes de mémoire.

Puis je réalise que mon coéquipier n'a jamais pu terminer son entretien avec notre mentor, puisque ce dernier avait fait un malaise dû à son excessive consommation d'alcool. Or, c'est à ce moment-là qu'Haymitch m'a annoncé sa décision de n'aider que Dust dans l'arène. Et avec notre frittage, puis l'entraînement, l'adolescent n'a eu aucun moyen d'apprendre la nouvelle de la part de notre mentor, sans oublier que je refusais d'aborder ce sujet délicat.

Tout à coup, l'attitude insistante de Dust prend tout son sens. Voilà pourquoi il était jaloux lorsqu'Effie a déclaré nous avoir trouvé de nombreux sponsors ! Il pensait encore que lui ne recevrait rien dans l'arène. Je m'étonne même qu'il ait réussi à me pardonner aussi vite, alors que je dois encore être à ses yeux la Capitolienne favorisée qui compte rafler tous les sponsors. Ce garçon n'est décidément pas rancunier.

Toujours abasourdie par cette révélation, je m'exclame alors :

_ Bon sang, c'est vrai que tu n'es pas au courant ! Hier, lorsque j'ai parlé avec Haymitch pour la stratégie dans l'arène, il m'a annoncé qu'il ne comptait pas m'envoyer de parachutes, mais qu'il les réserverait pour toi uniquement.

_ Quoi ?? s'écrie Dust visiblement pas sous le choc.

_ Je suppose qu'il comptait te le dire juste après... Mais avec sa chute et tout ce qu'il s'est passé ensuite, il n'a pas eu l'occasion, et je t'avoue que j'avais complètement oublié que personne ne t'avais prévenu.

_ Waouh, je comprends pourquoi tu t'es énervée alors. Enfin, je crois... Je veux dire, c'est juste... waouh...

Le jeune homme s'arrête un instant en secouant la tête, les mains crispées sur les poches de son pantalon gris. Ses yeux de même couleur sont totalement écarquillés malgré ses paupières tombantes, et ses cheveux bruns voltigent autour de son visage encore plus blafard que d'habitude. Toute son attitude révèle une incroyable stupéfaction, bientôt remplacée par un léger sourire satisfait qui flotte sur ses lèvres. Celui disparaît avec plus ou moins de succès alors qu'il se tourne vers moi.

_ C'est complètement dingue. Je n'aurais jamais pensé que... Mais est-ce qu'il a au moins le droit de faire ? finit-il avec une pointe d'anxiété dans la voix.

_ Bien sûr, c'est notre mentor. Il gère les sponsors comme il l'entend. C'est le seul à décider des parachutes qu'il envoie, et à quel tribut.

_ Mais enfin, quand tu... euh... quand les sponsors verront que tu reçois aucun des dons qu'ils t'envoient, ils vont arrêter de payer, non ?

_ Oui, sûrement. Si c'est ça qui t'inquiète, je pense que d'ici là Haymitch t'auras amassé un beau paquet d'argent.

Sentant un brin d'ironie acide derrière ma réponse, Dust bat en retraite, les mains relevées en signe d'apaisement.

_ Non, non, je m'inquiète pas. Enfin, si, mais pas spécialement pour ce sujet... hum... tu vois ce que je veux dire. Enfin, c'était juste pour savoir.

Les bras croisés, je lève un sourcil moqueur devant son cafouillage, amusée de le voir s'enfoncer de plus en plus profondément dans sa propre bêtise. Après un léger temps d'arrêt, il reprend avec un peu plus d'assurance.

_ Par contre, ce que j'comprends toujours pas, c'est pourquoi t'es revenue me parler au Centre. Tu devrais plutôt me voir comme une menace maintenant, non ?

_ Pas spécialement, je réponds en haussant les épaules après une rapide réflexion. Evidemment tu restes un ennemi potentiel, comme tous les autres, mais sans vouloir te vexer tu n'es pas celui que je crains le plus. Et puis je te l'ai déjà dit, dans cette situation nous sommes ce qui se rapproche le plus d'alliés, ou tout du moins de camarades.

_ N'empêche à ta place, j'aurais pas réagi aussi bien. Et je me serais sûrement plus jamais adressé la parole. Euh... c'était pas très bien dit, mais tu as compris l'idée je crois.

_ Oui, mais de toute façon je ne peux pas y faire grand-chose, alors s'énerver ne risque pas d'améliorer mes chances de survie. Je te ferai également remarquer que je n'ai pas spécialement bien réagi après qu'Haymitch m'ait annoncé la nouvelle.

_ Pas faux, mais n'empêche que t'es la première à t'être calmée. Je sais vraiment pas comment t'arrives à gérer la situation. Moi, dès que je pense aux Jeux, j'ai les mains qui tremblent et qu'une envie : quitter cette ville et courir me réfugier dans le district Douze.

_ Parce que tu y serais plus en sécurité peut-être ? je plaisante.

_ Bon peut-être pas, admet Dust. Quoique dans le district, on a une sorte de diction sur la vie quotidienne : « le district Douze, on y meurt de faim en toute sécurité. »

À cette remarque, je grimace une seconde. Mon camarade a visiblement oublié qu'il est continuellement filmé ici, et que cette anecdote n'est pas des choses à dire dans un lieu comme celui où nous nous trouvons.

En une seule phrase, Dust a réussi à insulter le Capitole qui gère ce type de slogan, mais également mon père chargé de l'approvisionnement des districts - un détail qu'il vaudrait mieux que j'oublie de lui rappeler - ainsi que les Pacificateurs issus pour la majorité du district Deux, et qui s'occupent de la sécurité et du maintien de l'ordre - une tâche dont ils ne s'occupent visiblement qu'à moitié.

La naïveté de l'adolescent m'inquiète un peu, mais heureusement pour lui ses intentions ne sont clairement pas dérangeantes pour le Capitol. Quoiqu'après son coup d'éclat ce matin, il risque d'être dans le collimateur des autorités.

Inconscient de mes préoccupations, Dust continue sa litanie sans se rendre compte de l'erreur qu'il vient de commettre.

_ Et puis au moins, je serais dans un environnement connu. Tu te sens sûrement à l'aise ici, mais pour moi qui viens d'un quartier pauvre, le luxe de l'immeuble est presque flippant. C'est trop grand, trop brillant, trop démesuré. Il me rappelle continuellement que je vais partir dans l'arène d'ici seulement quelques jours. Et je suis incapable de gérer ce stress.

Je me rappelle alors l'angoisse qui m'avait saisie lorsque je me trouvais dans le train en direction du district Douze, la veille de la Moisson. Les doutes et l'appréhension qui me torturaient le cerveau, et que j'essayais vainement de repousser. Alors j'adopte volontairement un ton doux et posé afin de le rassurer de mon mieux.

_ Hey, il faut relativiser. Déjà ne t'inquiète pas pour l'appartement, tu t'y feras vite crois moi. Alors profite un peu au lieu de rester trop focalisé sur l'après. Les Jeux ne sont que dans une semaine tu sais, on a du temps. D'ici là, plein de choses peuvent encore arriver.

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