Soleil noir, ou le voyage des...

By emge-s

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La guilde des cartographes est l'une des institutions les plus anciennes et les plus célèbres du continent :... More

Avant-propos
Chapitre I (1/3)
Chapitre I (2/3)
Chapitre I (3/3)
Interlude
Chapitre II (1/3)
Chapitre II (2/3)
Chapitre II (3/3)
Chapitre III (1/2)
Chapitre III (2/2)
Interlude II
Chapitre IV (1/3)

Prologue

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By emge-s

LA LOUVE, LE COEUR D'ACIER ET L'HIRONDELLE


C'est une clairière étroite, au fin fond d'un bois sombre et impénétrable. Les branches s'écartent à peine pour laisser filtrer la lumière de la lune et s'échapper les étincelles d'un maigre feu qui s'étiole au creux d'un âtre de feuilles mortes. Bénéficiant au plus près de sa lueur incertaine, une silhouette s'applique, recroquevillée sur un parchemin tendu sur une fine planche de bois.

Un carnet de notes, à la couverture de cuir, aux pages gondolées d'encre et de mine de plomb, est ouvert à ses côtés dans l'herbe asséchée par l'hiver. Y sont recensées des données variées : croquis et schémas d'observation côtoient les chemins, les nouvelles routes et celles qui n'existent plus, les calculs de distances, les frontières et les délimitations, les évolutions du terrain, les ruines et les éboulis... La plume ripe sur le parchemin ; une belle rature, indélébile, sur cette partie du continent, venant anéantir des heures de travail.

-Pardieu !

Un geste rageur, la plume finit dans l'herbe, et le parchemin au feu. Les flammes ne tardent d'ailleurs pas à le dévorer tout entier.

Délaissant son ouvrage, les mains tachées d'encre noire, les poignets suintants sous des bandages puants, elle s'allonge en équilibre sur ses coudes et lève la tête pour contempler les cieux. Elle s'abandonne à la lente complainte du bois sec et des brindilles sous l'assaut des braises. Au loin, la rumeur de chants et de rires alcoolisés perce le silence de la nuit – la célébration de la fête des Paysans bat son plein même dans les bourgs les plus reculés de l'Alliance. Elle sourit et ferme un instant les yeux.

Une branche craque, dans les fourrés. Par réflexe, elle se redresse, alerte, ses mains viennent d'instinct se poser sur ses hanches, là où son rangés ses poignards. Puis, une flèche fuse, vient se ficher sur une souche toute proche.

-Qui va là ?

Sans attendre de réponse, elle glisse hors de la lueur du feu, hors de vue pour son agresseur.

-Plus un geste ! Ce secteur est interdit aux cartographes ! rugit-on dans le sous-bois.

Le plus lentement possible, elle dégaine la plus fine de ses lames, prend appui sur ses jambes et s'apprête à s'élancer, lorsque la froideur glaciale d'une épée se pose sur sa gorge. Dans sa nuque, un souffle chaud. Elle est poussée vers la lumière.

-C'est La Louve ! crie le type qui la retient toujours, et, raffermissant sa prise sur la garde s'adresse sèchement à elle : Tiens-toi tranquille, sinon...

Une légère pression de l'acier contre sa peau, le picotement laisse présager une dangereuse estafilade le long du cou. Le fin couteau toujours au creux de sa paume, elle feint la passivité : les épaules relâchées en signe de résignation, les bras le long du corps. Puis, d'un mouvement rapide et précis, elle enfonce la lame dans la cuisse de son agresseur, et la retire aussi promptement. L'autre la lâche dans un cri de douleur, elle en profite pour lui glisser entre les doigts, reprendre ses affaires au vol, et s'échapper dans l'obscurité de la forêt.

-Reviens ici, saleté de cartographe ! Moi vivant, tu n'apporteras pas tes maudits plans à Sérègue !

Mais la Louve est déjà bien loin, à arpenter les sentiers escarpés de la Zone Interdite. Encore quelques observations à réaliser, quelques heures de marche à découvrir cette partie du continent jalousement gardée par quelques corporations véreuses, et elle pourra retourner à la guilde, qui attend probablement son rapport.

***

-Plaaace ! Plaaace ! Voici L'Anommé, qui nous a rendu grand service ici à Auberon pour mettre fin à la terreur du Serpentin ! Plaaace !

Le petit bourg d'Auberon est en effervescence. Une étrange procession progresse le long de l'unique rue qui le traverse. D'abord, le Crieur, chargé d'annoncer les nouvelles importantes, qui tente tant bien que mal de se frayer un chemin à travers la foule qui se presse, bras levés et mains tendues, pour accueillir le héros qui arrive à sa suite.

Celui-ci avance, perché sur un destrier noir, qui progresse lentement au milieu de la rue. Derrière lui, le fier cheval traîne la tête écaillée du Serpentin ; un pauvre lézard à peine sorti de l'œuf, dont les yeux dorés, bien qu'inexpressifs dans la mort, semblent trahir une certaine terreur. Des enfants courent à sa suite, lui font des grimaces, dansent joyeusement autour de la traînée noirâtre dégoulinant encore de son goître. Les mères cachent les yeux des plus petits, des jeunes femmes et jeunes hommes curieux tendent une main fébrile pour tenter d'effleurer les écailles glaciales du reptile.

Enfin, en dernière position, les paysans. Fourches et moustaches relevées, ils paradent fièrement à l'arrière de ce petit cortège, fermant la marche en tenant sur leurs épaules les lourds restes du monstre. Ce sont eux qui ont sont allés trouver l'Anommé.

A présent, le voici acclamé par la population de ce village reculé, ses épées battant contre ses flancs usés de chevalier, sa cotte encore sanguinolente, sa cape boueuse traînant par terre, et, sous son capuchon, le mystère de son visage. Les rumeurs vont bon train sur son passage : les vieilles sur le pas de leurs portes murmurent en l'observant d'un regard soupçonneux, les hommes s'efforcent de contenir les tics nerveux qui les assaillent lorsque l'Anommé passe un peu trop près, les nourrissons pleurent et les chiens aboient. Bien que tous soient heureux ce jour, mettant de côté leurs craintes, personne n'est jamais totalement tranquille, à la vue d'un chevalier déchu.

Le Crieur qui le précède et fend la foule pour lui le guide jusqu'à l'auberge, qui se trouve sur la place principale du village. Là, sans un mot, ni même un regard pour le petit monde reconnaissant qui l'accompagne depuis son entrée au village, il descend de son cheval, l'attache par la bride proche de l'abreuvoir, et entre s'attabler sans plus attendre. Une fois assis, il retire son capuchon et abaisse son col qui masque son nez et sa bouche. Une choppe est posée devant lui, il s'en saisit sans plus attendre, et boit goulûment sa bière tiède.

-Alors, il paraît que tu es l'Anommé ?

Une chaise est tirée, grinçant contre le sol lustré. Quelqu'un s'assied en face de lui. Silence. 

-Le fameux compagnon d'Alaric Denfert, le Tueur de Basilic ?

L'intéressé ne répond pas, garde la tête baissée sur le fond de sa boisson.

-Le héros qui occis la Vouivre à Six Têtes ? Evrard Cœur d'Acier ? insiste son interlocuteur.

C'en est trop pour lui ; il repose sa choppe, agacé, et toise l'autre du regard :

-Je ne fais plus partie de la Garde. Mon nom m'a été retiré.

Un temps, où l'homme en face de lui ne répond pas, dérouté par l'aplomb qui se dégage de ce regard de braise.

-La rumeur disait donc vrai... reprend-il alors. Puis, hésitant, il se tortille sur sa chaise : Eh bien, j'aurais peut-être un travail qui pourrait te– vous intéresser messire...

-Mes épées ne sont pas à vendre. Je n'offre mes services qu'aux causes désespérées. Et les monstres, c'est seulement de temps en temps.

-Eh – eh bien, peut-être que mon offre vous intéressera-t-elle tout de même. Il s'agit d'une chimère, voyez-vous ? On dit qu'elle enlève les enfants, dans les faubourgs de Sérègue...

***

Au troisième étage d'une construction branlante, dans le faubourg nord-est de Sérègue, un grand fracas retentit, suivi d'une exclamation sourde. A travers la fenêtre au verre presqu'opaque, une forme indistincte vocifère, tandis qu'une autre se tient droite, immobile.

La petite pièce, où s'entassent bocaux divers, grimoires écornés, plantes médicinales et infusions étranges embaumant l'atmosphère, une femme s'évertue rageusement à faire comprendre ce qui la taraude, à grands renforts de gestes et de mots incompréhensibles. Celle à qui elle s'adresse s'avance alors, les bras croisés. D'un ton appelant à l'apaisement, elle dit :

-Vous savez que je ne comprends pas l'andun, ma Dame, mais nous pouvons parler l'hanséatique, si l'aufestrin vous dérange tant...

La femme la regarde avec des yeux exorbités, semblant sur le point d'accepter le compromis, puis son expression change du tout au tout ; elle la pointe alors agressivement du doigt et se met à proférer des mots peu délicats, tout en se dirigeant rageusement vers la sortie. Avant de s'en aller, un mot, en hanséatique, cette fois : « Sorcière. »

Puis la porte claque, les bocaux vibrent sous l'effet de la secousse.

Un soupir. La jeune femme se laisse tomber sur une chaise, et embrasse la pièce du regard. Cette chambre sous les combles, en plus d'être son lieu de travail est aussi son lieu de vie quotidien : ses affaires personnelles sont à cheval sur son matériel de travail, ses vêtements s'emmêlent à ses bouquets de plantes et ses bols de potions, ses bibelots se confondent avec ses amulettes...

Elle se penche pour ramasser délicatement les tessons de porcelaine, et les dispose sur la large table de bois au milieu de la pièce, puis récupère le reste du contenu sur le plancher – des algues séchées de la région, rien de bien affolant – pour le transposer dans un autre récipient.

Dehors, les cloches se mettent à retentir avec force, ébranlant les fins murs de la pièce.

Vite, elle se lève, ouvre à la hâte la fenêtre. Le vent s'engouffre dans ses longs cheveux bruns. Elle se met sur la pointe des pieds, observe les toits du faubourg, et, par-delà, la grande tour dont les cloches d'or résonnent, et encore plus loin, les portes de la ville.

Pendant un temps, elle apprécie le rythme battant qui semble prendre d'assaut la ville. En contrebas, c'est l'effervescence ; les gens parlent plus fort pour se faire entendre, les passants accélèrent et les enfants courent...  Les cloches, au son si particulier, sonnent le retour d'une mission de guilde. Et les rumeurs vont bon train. Certaines lui parviennent par bribes : est-ce une délégation de mages revenus avec leurs apprentis ? S'agit-il des soignants de Port-Colombe ? Ou bien encore – et elle frémit à cette idée – des cartographes revenant d'une contrée éloignée ? Dans tous les cas, c'est un évènement, auquel elle ne manque jamais d'assister.

Elle se penche alors vers l'extérieur, au-dessus de la rue tortueuse noire de monde. L'air maritime la prend à la gorge, elle ferme les yeux, inspire... puis se laisse tomber dans le vide.

Une hirondelle s'envole alors dans les cieux en tourbillonnant.

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