Chapitre 4 : Lettre ébranlante (1)

14 1 1
                                    

Matara,

Le 18 avril 2004.

Ma chère enfant,

Malia. Le jour où tu liras cette lettre, tant d'années auront passées. Et si tu dois la lire, c'est que tu es de retour à Matara, et qu'il est l'heure que je te révèle la vérité sur ton existence. Mais pour cela, nous allons devoir remonter loin. Dans ton passé, dans le mien, et dans celui de cette île sur laquelle tu te trouves actuellement.

Le dernier souvenir que tu as de moi est lorsque j'ai dû vous quitter à l'aéroport. Il est surement très vague pour toi, je suppose que tu dois à peine voir ma silhouette s'éloigner pour embarquer dans l'avion. Je sais que cela a dû être dur pour toi, toi qui étais très attachée à ton papa. En réalité ce souvenir n'existe pas. Nous l'avons inventé dans ta mémoire. Tout comme le fait que nous avions vécus sur une petite île de l'océan indien. En vérité, les choses se sont passées bien autrement.

Afin de tout t'expliquer, parlons d'abord de l'histoire de ce royaume, Matara. A l'origine, le mot aurait été prononcé par une petite fille il y a des siècles et des siècles. Au début de l'humanité, lorsque les hommes apparurent sur Terre, ils furent envoutés par la beauté des ressources de cette planète. Ils en jouirent, encore et encore, en tuant les animaux, en brulant des forêts, et finirent par s'entretuer eux-mêmes pour se départager ces ressources. Mais un jour, naquit une toute petite fille. Très vite, on se rendit compte d'une défaillance au niveau de son langage. L'enfant ne parlait qu'avec des « a », comme si elle ne connaissait aucune autre voyelle. Personne n'était en mesure de comprendre pourquoi, et elle devint rapidement assez exclue du village. Quelques années passèrent, et les hommes se mirent à former des clans, et se livrer des guerres avec toujours plus de violence. Un clan en particulier gagna beaucoup de puissance. Cruels, ils mettaient leur ennemis sur des bateaux qu'ils abandonnaient en plein milieu de la mer. Les hommes dans les bateaux, naviguant durant des jours, devenaient tous fous, et finissaient par se dévorer entre eux. Mais un bateau survécu. Celui où se trouvait cette petite fille, entassée avec les autres membres de son village. On ne sait comment, mais l'embarcation réussi à atteindre une île avant que les hommes à bord ne perdissent la raison. Seulement cette île n'était faite que de roc, et un immense volcan surplombait en son milieu. Voyant cela, les hommes n'eurent plus aucun espoir de survie et s'effondrèrent tous de tristesse. Ils ne cherchèrent même pas à se dévorer entre eux, sachant que la mort les prendrait tous au moment venu. Pourtant la petite fille, elle, continua de marcher sur l'île, et à chaque pas, elle enfonçait son pied sur le sol, en disant d'un air déterminé « matara ». Et elle répétait ce geste jour et nuit, sans jamais ne faire de pause, infatigable. Au bout de trois jours, accablé, un homme lui demanda d'arrêter, et à la grande surprise de tous, la petite répondit d'une voix claire et précise : « De mes pieds pousseront des arbres, de ma voix surgira une rivière, de mon énergie muriront des fruits. Mon âme dans matara attire l'énergie de la nature, et l'on vivra elle et moi comme deux sœurs que le mal ne pourra séparer. ».

Les villageois, ahuris, la dévisagèrent alors en silence. Mais la petite, les ignorant, continua son trajet. Au matin du 4e jour, un jeune garçon, d'à peu près le même âge que la petite fille, releva la tête, épuisé, affamé, et sans force. Mais ses yeux s'arrondirent alors de surprise : un arbre avait poussé, à quelques mètres d'eux, à même la pierre. Croyant rêver, il interpella les autres, leur demandant s'ils voyaient la même chose. Il ne rêvait pas. Un magnifique cocotier avait bel et bien poussé, et autour de lui, la petite fille continuait de marcher en répétant « matara ».

Tous comprirent alors. Son père se rua vers sa fille et lui dit : « Ma fille, pardonne moi d'avoir douté de ton intelligence. Explique-moi. Comment as-tu fait cela ? Que veut-dire matara ? Pouvons-nous t'aider ? » ; la petite répondit : « De mes pieds pousseront des arbres, de ma voix surgira une rivière, de mon énergie muriront des fruits. Mon âme dans matara attire l'énergie de la nature, et l'on vivra elle et moi comme deux sœurs que le mal ne pourra séparer. Faites de la nature votre plus fidèle amie, au lieu de lui infliger ce que votre cœur ne peut supporter. Ceci est pour chacun de vous Ma Terre. Dans Matara nous vivrons comme des frères et sœurs que le mal ne pourra séparer. ». Alors, tous, après avoir repris des forces en buvant l'eau des fruits que le cocotier leur avait fourni, se mirent à faire comme l'enfant. Au début, ils eurent du mal à se mettre dans le bain, mais au fur et à mesure qu'ils se concentraient, ils sentaient une énergie nouvelle grandir en eux, et ils rentrèrent alors un à un dans une sorte de transe. Leur corps physique continuait de marcher, leur esprit continuait de répéter le mot de « matara », mais leur intérieur voyageait profondément dans une autre dimension. Ils avaient éveillé la sensibilité de leur âme spirituelle, et s'accordaient de pair avec elle.

Au bout d'une semaine, l'île était déjà partiellement recouverte de cocotiers, et d'autres arbres fruitiers leur permettant de se nourrir. Au bout d'un mois, le roc dur et froid sur lequel ils avaient débarquer s'était transformé en une immense jungle. L'on commença alors à remarquer des particularités parmi les villageois. Certains avaient mieux réussi à faire émerger des ruisseaux, tandis que d'autres avaient réussi à construire des habitations de bois sans le moindre effort. D'autres encore, parvenaient à faire des feux pour se réchauffer le soir. Le plus improbable furent ceux qui rentrèrent un jour au camp accompagnés de pleins d'animaux, avec lesquels ils semblaient entretenir un lien particulier.

Un an plus tard, le village vivait dans une sérénité absolue sur l'île. Leur habitations surplombaient un flan de la montagne, donnant une vue idyllique sur l'immense jungle tropicale et la mer. Dans certaines parties de l'île, on trouvait de grandes plaines d'herbe verte, où les habitants se réunissaient parfois pour divers loisirs, des spectacles, des tournois de jeux, ou encore pour faire du sport et de la méditation. L'on battit alors le royaume de Matara, dont la petite fille en assuma le commandement malgré son jeune âge. Cependant, elle n'exerçait aucune force dominante sur les autres villageois. Bien que la maison d'elle et de sa famille était plus grande et plus haute que les autres, chacun avait le droit d'occuper une maison toute aussi jolie s'il le souhaitait. A vrai dire, elle endossait plutôt un rôle de guide pour eux. Elle portait en elle comme un don qu'elle n'avait pas eu besoin d'éveiller comme les autres. Elle leur apprenait alors comment vivre de pair avec la nature, dans une notion de partage, en lui rendant toujours ce qu'elle nous donnait. Elle instaura la notion de respect envers l'âme des animaux, qui ici ne servaient pas à être mangés. Les chèvres et les vaches pouvait leur donner du lait ou du fromage, mais seulement si elles le souhaitaient. Certains humains qui avaient acquis des capacités de communication profonde avec les animaux mettaient tout en œuvre pour leur offrir la meilleure vie qu'il soit. Il pouvait arriver que les animaux offrissent leur chair de temps en temps afin de permettre aux hommes de se nourrir de viande et de poisson, mais cela était rare, et lorsque ça se faisait, les humains organisaient de grandes fêtes pour les remercier de leur dons. Jamais ils n'en abusèrent. En faisant pousser toute sorte de végétaux, ils avaient parfaitement réussi grâce à la cuisine à trouver des aliments pouvant parfaitement remplacer ce que leur apportait la viande et le poisson en termes de protéines.

La petite fille aidait également chacun d'entre eux à entretenir le lien spécial dont il bénéficiait avec la nature. En effet, chaque homme avait réussi à éveiller un pouvoir propre à lui-même, que ce soit dans la communication avec les animaux où dans la capacité de faire pousser des arbres, d'aménager des ruisseaux, où encore de manier le vent. Mais elle, était en mesure d'intervenir dans chaque type de pouvoirs. De plus, lorsqu'elle agissait, ses mouvements étaient accompagnés d'une fine poussière dorée qui se dégageait de son corps. En plus d'être une guide pour le village, ils se sentaient en sa compagnie protégés et rassurés.

Des années plus tard, cette petite fille se maria et eu des enfants, qui eux aussi développèrent ce gène, et ainsi de suite durant des décennies. C'était donc l'unique famille royale de Matara, tous plus forts et sages les uns que les autres. Ils étaient beaucoup respectés, et respectaient eux aussi les habitants. Durant des siècles, ils vécurent de cette manière, sans jamais s'ennuyer d'un bonheur trop parfait non plus. Effectivement, des problèmes survenaient de temps en temps, au sein des familles et des amis, mais les hommes avaient fini par accepter que cela faisait partie de leur constitution. Ils savaient qu'ils étaient faits d'un système hormonal qui influençait souvent leur manière de se comporter, mais ils savaient aussi que ce système était en lien avec les changements des planètes au sein de l'univers, et acceptaient toutes les émotions qui pouvaient surgir en eux, aussi mauvaises soient-elles. Leur fort intérieur était bon, harmonieux, et tôt ou tard ils se replaçaient eux-mêmes sur le bon chemin.

Malia, le royaume de Matara que je viens de te décrire est encore celui dans lequel tu viens d'arriver actuellement. Tu seras vite si tu ne l'as pas déjà été, prise par la magie qu'occupe cette île, et tu verras qu'ici les choses seront complètement différentes du monde où tu as grandi jusque maintenant.

Tu l'auras peut-être également deviné au fond de toi en commençant à lire cette lettre, mais tu fais partie de cette famille royale dont je t'ai parlé. Tu descends directement de cette petite fille qui a eu le pouvoir de sauver son village du mal qui occupait les cœurs du reste de l'humanité. Cette petite fille s'appelait Amattia Soluna. Ton réel nom est donc Malia Soluna. Soluna signifie la jonction entre les forces du soleil et de la lune, la jonction de l'homme et de la nature.

Tu possède en toi ce pouvoir extraordinaire, et tu netarderas pas à le voir s'éveiller... 

MataraWhere stories live. Discover now