Matara

Chapitre 6 : Cœur déboussolé

Lentement, Malia replia le papier qu'elle venait de lire. A côté d'elle, Zachary attendait anxieusement. Après tout, il ne la connaissait pas. Ou plutôt il ne la connaissait plus. Il ne pouvait savoir comment elle allait réagir.

Afin d'être au calme, ils s'étaient installés sur un balcon par lequel on accédait en passant dans une sorte de petit salon qui avoisinait la chambre de Malia. Le soleil s'était couché, et Zachary avait passé un châle en laine blanc sur les épaules de la jeune fille, car l'air pouvait beaucoup se rafraichir le soir. Les deux amis s'étaient assis sur une grande couverture chaude posée à même le bois, où pleins de coussins avaient été disposés, afin de rendre l'endroit douillet et confortable. Le vent faisait remuer le feuillage des arbres autour de la maison, et l'on entendait le chant des grenouilles dans la nuit tombante. De chaque côtés du balcon, deux gros flambeaux venaient apporter lumière et chaleur, même si l'on pourrait y voir assez clair rien qu'avec la lumière de la lune.

Contre toute attente, Malia releva la tête, et se mit à contempler silencieusement le ciel dégagé au-dessus d'elle. Quelques étoiles commençaient à apparaître, et Zachary put voir qu'elle souriait légèrement, et que de fines larmes coulaient le long de ses joues. Elle ne semblait pas tellement bouleversée, mais plus apaisée par ce qu'elle venait de lire.

« J'ai toujours senti au fond de mon cœur qu'elle n'était pas morte, murmura-t-elle. Zachary, emmène-moi voir ma grand-mère. Je veux la voir.

- Elle est malheureusement partie pour quelques jours comme à son habitude, mais a dû comprendre d'une manière ou d'une autre que tu es là, et ne tardera surement pas à revenir... »

Réconfortée, mais épuisée par toutes les révélations de son père, la jeune fille se laissa tomber en arrière, et s'endormit presqu'immédiatement, sans même prendre le temps de regagner son lit. Voyant cela, le garçon la recouvrit donc avec une autre couverture, puis resta un moment à la regarder. Dans son sommeil, elle semblait beaucoup plus douce, et abordait une expression calme et détendue. C'était comme si, enfin, elle pouvait se reposer de la pression qui était sur son dos. Comme si enfin, elle s'accordait à poser les armes, et se retrouvait avec elle-même dans son monde intérieur.

Zachary s'adressa alors à elle, presqu'en la priant : « J'espère que tu resteras forte à travers chaque épreuve que tu devras surmonter ici. Je t'en supplie Malia, sauve-nous. Sauve ce monde, sauve-moi. J'ai toujours su que tu étais d'une force hors du commun, alors retrouve vite cette lumière qui dort en toi, et rajuste les cycles de l'humanité. ».

Puis il déposa un doux baiser sur son front, et se laissa lui aussi tomber à côté d'elle pour sombrer dans un sommeil profond.

                                                                                           ***

Une douce chaleur vint se frotter à sa peau, mais devint rapidement dérangeante. Pourtant, elle était bien, comme dans un cocon. Les couvertures dans lesquelles elle s'était enveloppée étaient agréables, et une fine odeur de viande grillée venait se frotter à ses narines. Un bon repas devait être en préparation. Et puis... une main lui caressais les cheveux, une main qui était chaude, apaisante, une main qui était pleine d'amour. Elle connaissait parfaitement cette main, entendait ses bracelets s'entrechoquer pendant qu'elle lui grattait légèrement le crâne. Cette main qui sentait bon, cette main qui était ridée mais n'en avait pas moins perdue sa finesse, ni sa beauté. C'était la main d'une grande dame, aimée et respectée de tous et qui aimait et respectait tout le monde. Celle d'une femme que l'on aurait cru affaiblie par sa générosité, mais qui était en réalité d'une force indétrônable.

Malia ouvrit donc les yeux, lentement. Elle se trouvait toujours sur le balcon où elle s'était endormie après avoir lu la lettre de son père la veille. Seulement sa tête reposait à présent sur la cuisse de sa grand-mère, qui, assisse à ses côtés, continuait de jouer tendrement dans ses cheveux. Elle voulut alors se redresser pour la voir et l'embrasser, mais se rendit compte que son corps chauffait, et que l'air devenait presque irrespirable. Le ciel était d'un rouge flamboyant, mêlée à de hautes colonnes de fumée. La jeune fille se releva donc entièrement, intriguée, et découvrit alors le désastre. Le village ainsi qu'une grande partie de l'île étaient en flammes, flammes violentes qui brûlaient et détruisaient tout sur leur passage. Pire encore : du haut du balcon, elle pouvait voir tous ses corps en contre bas, elle entendait les cris de terreur des habitants pendant que leur corps se faisaient ronger par le feu. Ce n'était pas l'odeur d'un bon repas qu'elle avait senti, mais bel et bien celle de cadavres ravagés par les flammes. Elle ne pouvait en croire ses yeux : du fond de son cœur elle entendait des centaines d'âmes lui crier à l'aide, et elle était là, impuissante, face à cette hécatombe. Elle fit volteface pour questionner sa grand-mère, mais lorsqu'elle se retourna, elle vit que celle-ci était également en train de se faire dévorer par le feu, lentement. Malia se rua alors sur elle pour essayer de la sauver, mais la vieille femme l'en empêcha, et la prit doucement dans ses bras. Son visage n'avait pas peur de la mort, elle affichait même un sourire assuré et confiant. Le corps de Malia commença lui aussi à se faire attaquer par les flammes petit à petit, mais à présent elle aussi n'avait plus peur de rien, et pouvait attendre la mort paisiblement dans ces bras qu'elle aimait tant. Elle ne bougea plus, blottie contre la vieille femme, ne ressentant même pas la douleur des brulures que lui causait le feu. C'est lorsqu'elle allait se retrouver dans le couloir de la mort qu'elle entendit une voix, lointaine, la questionnant : « Est-ce vraiment ce dont tu as envie ? ».