Partie 50 : la dixe

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Edwige Indiana :

Mandy n'est pas très bavarde, aussi Edwige ne peut s'empêcher de parler pour éviter qu'un silence gênant s'installe. Elle tente de rester convaincante dans son rôle d'anti-tech. Ce n'est pas le moment de cracher sur cette aide providentielle.

Elle se lave en premier et tente de remettre de l'ordre dans ses pensées. Elle n'arrive toujours pas à croire qu'elle a réussi à faire ça. Et surtout, qu'est-ce qu'ils vont faire maintenant ? Elle ne sait même pas qui est aux trousses de Mok ! Et tant qu'elle n'aura pas rejoint le Réseau, la Voix ne pourra pas l'éclairer. Leur petit tour dans les égouts devrait avoir désorienté leurs poursuivants pour le moment, mais ensuite, comment se protéger ? La Voix peut les aider, sans doute, au moins les avertir s'il y a un danger, mais Edwige doit bien admettre qu'elle ne lui fait pas vraiment confiance pour donner l'alerte correctement. La Voix progresse à une vitesse folle mais elle reste capable de confondre du chocolat et des raisins secs. Il lui reste beaucoup de choses à apprendre.

Et s'ils restent à l'écart du tech, ils seront plus difficiles à repérer pour les terroristes ou le B.A.G.N. ou la SRAM ou qui que ce soit qui les cherche, mais ce ne sera pas impossible non plus. Ils ont réussi à gagner du temps, mais il leur faut un vrai plan de repli. Là, la seule cachette à laquelle Edwige peut penser, c'est sa maison, et anticiper ce que sa famille dira de Mok lui donne déjà mal au crâne.

Enfin, une fois suffisamment débarrassée de l'odeur des égouts pour qu'on ne se retourne pas sur son passage, elle enfile le pantalon de rechange prêté par Mandy, ainsi que de nouvelles chaussettes. Le reste de ses vêtements n'a pas été en contact avec l'eau des égouts et elle aime autant les garder sur elle. Elle n'est même pas sûre de revenir ici pour les rendre...

Elle sort de la salle de bain et retrouve Mok avec Mandy, les bras chargés de vêtements secs. Il ne dit rien, n'exprime rien, et semble juste attendre que la vieille femme se lasse de parler. Ewige l'envoie vite prendre sa douche et tente de rattraper les dégâts. Mandy a vraiment dû le trouver étrange...

Effectivement, la première remarque de la vieille femme est :

"Pas banal, ce gamin.

— Ah, heu, oui, oui, on peut le dire comme ça...

— Il parle pas notre langue ?

— Heu... Si, mais... il a du mal. Du mal à tout comprendre. Donc souvent il préfère ne rien dire, pour ne pas dire de bêtise. On se moque beaucoup de lui à l'école. C'est très dur.

— Il a même pas voulu me dire comment il s'appelle !

Ce qui était sans doute sage de sa part. Edwige se dit que Mok se débrouille déjà mieux qu'elle dans une vie de fugitif. Elle n'a même pas pensé à se mettre d'accord sur un faux nom, maintenant elle est coincée, si elle le rebaptise maintenant il ne va jamais comprendre qu'elle parle de lui, mais si elle donne son vrai nom Mandy fera facilement le lien avec le gamin qui est sur tout le Réseau... Mais ils n'ont pas le Réseau ici, après tout. Et la photo circule déjà. Autant rester simple :

— Il s'appelle Mok. Michael, en vrai, mais il préfère qu'on l'appelle Mok.

Voilà, ça ça devrait sonner juste et naturel, pas vrai ? Edwige a le coeur qui bat si vite qu'elle l'entend résonner dans son crâne, une nausée tenace et une rougeur diabolique qui est en train de remonter son cou pour s'emparer de son visage, mais au moins sa voix ne tremble pas, et le mensonge semble convaincant.

Mais pas assez pour Mandy, qui garde les sourcils froncés et demande :

— Il vient d'où ? D'où vous vous connaissez tous les deux ?

— C'est le fils de mes voisins ! Ils m'ont demandé de passer le chercher. Ils ne veulent plus qu'il prenne le métro seul, pour ne plus utiliser sa carte. Mais c'était beaucoup plus compliqué qu'on croyait... Il va vraiment falloir tout changer dans cette ville pour circuler sans carte !

— Voisin, hein ? Vous habitez où ?

— Firefly Street.

— Jamais entendu parler.

— Oh, c'est juste une petite rue dans un quartier résidentiel, un peu comme ici, mais on est entre l'hôpital Ouest et le plan d'eau, vous voyez ? Juste au sud du parc Rainier.

— Tous les deux ?

— Heu, oui ? On habite à quelques maisons l'un de l'autre, dans la même rue.

— Et il ne sait même pas dire ça ? Son nom et son adresse ?

— Normalement il sait le dire, mais avec tout ce qui s'est passé... Il est très secoué. Il était déjà... ça a toujours été difficile, pour lui, mais en ce moment c'est encore pire. C'est très dur pour ses parents aussi. Ils ont peur de perdre leur travail tous les deux, ils ont peur du tech, ils ont peur que la société s'effondre... Je crois qu'ils n'ont pas pu le rassurer comme il aurait fallu. Ils ont fait de leur mieux, mais c'est sûr que Mok ne va pas bien du tout.

— Ouais. C'est sûr qu'on est tous secoués avec ce qui se passe. Mais lui, il est débile. Ça se voit.

Edwige retient une réplique de colère. Elle vient d'inventer l'histoire douloureuse de Mok, est-ce que ce serait trop demander un peu d'indulgence ? Si vraiment une de ses connaissances avait un problème mental, elle ne laisserait pas une inconnue en parler comme ça !

Enfin, si elle arrivait à passer outre sa peur de la confrontation. Pour l'instant, l'essentiel c'est que leur couverture tienne, et elle ne dit rien.

Mandy retourne à sa théière et Edwige souhaite plus que tout que Mok sorte de la salle de bain et qu'ils puissent disparaitre tous les deux. Son bras commence à la démanger, tout comme ses jambes. Elle se gratte sans y penser lorsque Mandy s'exclame :

— Qu'est-ce que t'as, là ? Fais voir ton bras !

— Hein ? Heu, c'est rien, ça me grattait juste...

— J'ai dit fait voir ton putain de bras !

— Mais...

Décontenancée, Edwige se laisse faire lorsque la femme attrape son bras et retrousse sa manche. Une plaque rouge commence à se former dessus, sans doute due à son petit tour dans l'eau des égouts. L'odeur n'était pas la pire chose qu'elle pouvait y attraper, finalement.

Ce n'est pas la conclusion à laquelle arrive Mandy, qui crache :

— La dixe ! C'est la dixe, vous êtes des putains de ghettards !

— Hein ? Quoi ? Mais non, c'est ridicule ! Ça doit être une réaction à cause de l'eau des égouts, c'est t...

— Petite salope, dégage de chez moi avec ton sale gosse ! Tu crois que j'ai pas compris d'où vous sortez tous les deux ? Des petites merdes des Ghettos, vous venez nous refiler vos maladies de toxico ! Dégage, j'ai dit !

Sur le coup, ce n'est pas l'injustice de l'accusation qui frappe Edwige, mais la peur. Si Mandy continue de hurler, c'est tout le quartier qui va se retourner contre eux, et ce ne sont pas des tendres. Il faut fuir et vite, peu importe où, mais loin d'ici. Elle appelle Mok, qui sort de la salle de bain les mains dans les poches de ses nouveaux vêtements, laissant les habits techs en tas sur le sol. Pas le temps de finasser sur ce que Mandy en pensera, des enfants du Ghetto vêtus de tech, Edwige lui attrape le bras et le tire avec elle en criant :

— Viens, on s'en va ! Tout de suite !

Ellen'aime pas du tout la manière dont il regarde Mandy, comme s'il évaluait si çavalait la peine de l'attaquer, mais au moins il obéit sans discuter et ilss'enfuient tous les deux à toutes jambes, poursuivis par les cris de la vieillefemme. Au-dehors, il reste quelques badauds qui semblent désoeuvrés et tournentla tête pour suivre ce qui se passe, mais au moins le petit groupe qui avaitaccueilli Edwige a disparu, Mandy abandonne très vite leur poursuite et secontente de les injurier de loin, et très vite ils disparaissent dans lelabyrinthe des petites rues pavillonnaires.

Les Techs - Tome 2 : la Quatrième Guerre MondialeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant