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les yeux brûlent et l'intérieur affiche du rouge
un rouge vif qui annonce la lumière moins bien filtrée par les longs rideaux qui traînent sur le sol
jungkook jure pour lui même et ces draps trop fins
mais n'ouvre pas les yeux
il a peur de rêver
si ce vécu n'était qu'un rêve, qu'on lui rende sa nuit et qu'on la joue pour toujours
comme les cassettes de la maman de jimin
qui de son côté embrasse doucement ses pommettes et son nez dans une alternance idéale
ses lèvres sont molles
ses lèvres sont agréables
et il s'imagine la sensation que les siennes donnaient aux pommettes de jimin
s'il trouvait ça agréable
mais il ne réagit pas et sent le sourire de jimin qui le sermonne de manger un peu

c'est l'après midi sur le radio-réveil
et jimin sait que jungkook a passé sa nuit à la regarder sur eux
et ne lui en veut pas quand il bat des cils dans un bâillement plaintif sur les coups de quatorze heures
il ressemble à un papillon perdu dans les champs de séquoias
avec ses cils qui se pressent dans l'air
jimin veut les prendre dans ses mains pour les regarder longtemps
et les battements font sens quand jungkook ouvre ses yeux fatigués
et qu'il découvre les constellations brumeuses,
ses yeux sont un ciel en plan rapproché où des papillons naviguent
entre le sourire de jimin et le champ de blé de ses cheveux
qui se reculent et laissent l'autre accéder au plateau trônant sur le sol

"-tu baves beaucoup quand tu dors mec
- c'est parce que t'es beau dans mes yeux fermés
-et ouverts?
-fade jimin, fade
-je savais que j'étais trop gentil, étouffe toi avec ta tartine gros con"

l'énergie qui plane est agréable
jimin nage dans son pull qui glisse sans sensation sur son épaule, dévoilant un peu de sa peau
qui ne fait pas exprès de prendre l'air
jungkook remplit, de son coté, le vide nauséeux de son ventre, assis sur le tapis
le bois craque, le son autour ne dérange personne
et quand on ne regarde plus jungkook se nourrir aisément, on le regarde se mouvoir à travers la pièce
une musique couvrant les murs dans un bruit de piano
dans une coïncidence frappant entre les doigts de jungkook 
"- elle est jolie cette photo, vous êtes minuscules dessus
- c'est vrai mais ce que tu vois pas, c'est qu'on s'aimait déjà plus haut que notre mètre douze, taehyung et moi

jungkook soupire face à la naïveté de son ton
jimin est si pur

-si, je te promet que si on regarde plus loin que le moment fixe, ça se voit"

jungkook aime les anciennes photos
jungkook aime voir les gens enfants, emprunts d'une innocence parfaite
quand tout semblait les laisser de marbre et existants
il aime voir les contrastes de cette enfance qui évolue dans les yeux des autres
qui construit une grande histoire dans chaque tête humaine
et explique leurs versions récentes

jungkook reste à divaguer dans cette chambre qui lui donne une nostalgie qu'il n'a pas vécue
alors que jimin lui explique chaque histoire de chacun des objets qu'il touche dans un intérêt,
un intérêt qu'il rend aux mots qui défilent dans l'air
et alors que jungkook termine et se repose à nouveau après un grand moment de contemplation
son intérieur se prend d'une intrigue folle pour ce qui est accroché au plafond
une grande étendue de textile qui pend lâchement au dessus d'une table minuscule
comme celles qu'on place dans les écoles maternelles
elle doit avoir une histoire aussi longue que sa taille, cette étendue
jungkook pose sa tête sur celle de jimin, qu'il sent se poser lui aussi sur son épaule
il a remarqué
mais ne dit rien cette fois
pas d'explications
pas d'histoire
pas de rires
juste, un soupir
et une tête qui se tasse sur la continuité de son cou

jungkook continue quand même de fixer la longue écharpe accrochée dans un pliage simple
tout en guirlande sur le plafond
elle est épaisse, les motifs sont irréguliers
les couleurs sont diverses et cohérentes
peu importe d'où elle vient, son histoire est vive et criarde
elle lui ressemble bien
jimin lui ressemble un peu, dans une version modérée
puis il l'entends

-c'était une écharpe de ma maman, on me l'a laissée avant de vendre un peu du reste pour donner à mon père
-t'es pas obligé de m-

mais jimin ignore ce ton si emprunt de culpabilité
et prend le courage au creux de son ventre pour le poser en paroles

-ma mère me la laissait souvent quand elle partait voir des pièces et que je devais m'endormir sans elle tout près, elle enroulait l'écharpe un peu partout autour de moi et me disait que c'était comme ses bras, elle est toujours un peu avec l'écharpe alors je l'ai accrochée au dessus de ma vieille table à dessin, elle reste au passé mais je peux toujours la voir au présent

et de toutes les anecdotes des objets qui fanaient dans cet endroit
cette écharpe renvoyait ce qu'elle contenait de plus précieux
des fragments de passé agréables qui laissaient en eux un jungkook stupéfait d'un unique maternel immaculé et aimant
qui rendait jungkook impuissamment fébrile
quand il proposait en hésitant doucement

-tu veux qu'on s'emmaillote dedans tous les deux?
- oh oui bien sûr que j'aimerais, j'avais peur de le faire seul
-je suis là
-hm, tu es là

alors jimin déplie son corps et s'élève sur le matelas pour enlever les accroches de l'écharpe
et la déplier en entier
et son cœur tremble comme les mains de jungkook qui s'affaire à les serrer tous les deux à l'intérieur, face contre les visuelles enfantines du propriétaire
jungkook trouve que l'écharpe sent encore bon
peut-être aussi bon que jimin
et se dit que sa mère doit avoir laissé beaucoup de choses
a l'intérieur de lui, dans l'enfance de sa tête qui avait dû évoluer son reste dans l'errance
et quand il enroule la dernière couche
il effleure en baiser un morceau du cou de jimin
pour remplir le temps seul
et bloque avec négligence le reste du tissu

jimin est face à lui, la tête à nouveau sur son épaule
dans une autre position agréable et statique
il sourit un peu en sentant un souffle contre lui alors qu'il s'affaire à examiner le ciel
la respiration est comme un vent qui souffle
et qui ressemble à sa mère
alors il adresse un message au travers de la vitre
pour faire savoir que

-je suis bien là, et maman m'aime peut être aussi fort que je t'aime
-et tu crois qu'elle aimerait ça, que tu m'aimes?
-si je suis heureux bien sûr, j'ai même l'impression que maman nous enlace pour y répondre"

l'illusion du tissu était si vraie quand il repensait à la ruse d'une femme
parce que, dans la coque qui les entouraient comme s'ils n'étaient dedans que jumeaux fœtus,
il pouvait sentir des bras l'enlacer
d'autres qui n'étaient pas ceux du blond serré à sa peau fragile
ces bras là n'avaient pas la même sensation
ils répétaient en sérénade "merci de l'aimer, merci de vivre encore, merci merci merci"
alors les morceaux du cœur de jungkook se comprimaient si forts qu'il était convaincu qu'il se casserait au prochain mot
puis, sans appeler au secours cette fois,
il fait couler un morceau de larme qui s'emmêle dans celle de jimin
pour les unir encore un peu

et là-haut, il résonne
regarde maman, je fusionne en ton être

balesimos ⭒ji.kWhere stories live. Discover now