Avarice

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Apupia avait été recueillis par Hope et son mari Arthur pour travailler dans le manoir de Chester, alors qu’elle avait seulement sept ans.  Au début intimidée, elle s’était très vite imposée comme étant une domestique dévouée et travailleuse au service de la famille ; elle avait créée avec le premier bébé, Opyn, alors âgée de deux ans à sa venue, un véritable lien de tendresse. Elle la balançait dans ses bras quand sa maitresse était bien trop fatiguée ou occupée, jouait avec elle avant que ses sœurs ne naissent et, ne commença à se retenir que quand Arthur dû la réprimander face à sa trop grande liberté : elle était domestique, avec certes des avantages dans ce fastueux manoir, mais elle n’était donc rien d’autres qu’une employée. Jamais plus elle n’avait été surprise à transgresser les règles du foyer.
Apupia avait assisté aux naissances des petites filles, à leur enfance, leurs joies et leurs malheurs, elle avait été là quand le drame s’était produit et elle était restée, persuadée de ne jamais trouver mieux ailleurs. D’aussi loin qu’elle se souvienne, Opyn avait toujours cru que la domestique faisait partie de la famille, c’est ce qui lui semblait le plus évident dans sa jeunesse.
En cette fin de matinée, après avoir profondément dormi et rêvé de ce vide hurlant, Opyn s’était levée pour se préparer pour le déjeuner. Elle en profita pour passer en revue les salles pour le bal, qui se rapprochait à grand pas ; la salle de banquet était déjà prête. Sept immenses tables blanches étaient dressées en long et en large dans la grande pièce, ornée de fleurs multicolores, de bougies éteintes, et de toute sorte de couverts. Les chaises étaient déjà en place pour accueillir tous les habitants  du village de Dale. Les deux autres salles adjacentes, reliées par des grandes portes dorées, étaient pour le moment vide mais bientôt des centaines de personnes fouleraient les dalles de marbres et effleureront les rideaux de satin rouge dans des danses effrénées. La plupart des affaires étaient donc déjà en place mais l’organisatrice nota un défaut ; elle partit donc en parler avec Apupia.
« Dites-moi, commença-t-elle en s’approchant de la cuisine et de la domestique, pourquoi avoir mis ces simples couverts alors que je vous avais ordonné de sortir la grande argenterie de la famille ? »
La femme noire sursauta et se retourna, une petite lueur d’inquiétude sur son visage fin.
« J’ai cru bien faire en plaçant ces couverts, bien plus neuf, en bien meilleur état  et plus… Somptueux ? Bégaya-t-elle.
- Vous plaisantez ? Cette argenterie a été faites à la main par les plus grands sculpteurs il y a de cela un siècle, à l’apogée de la famille Chester.
- Mais cela ferait trop ancien, Madame cela fait dix ans qu’ils n’ont pas été utilisé, je ne pense pas …
- Mais enfin, arrêtez-vous ! Qu’avez-vous donc à résister aujourd’hui ? Qu’importe qu’ils fassent anciens, ils ont toujours leur splendeur d’antan. Il est important de tout le monde comprennent qui nous sommes, les Chester, et cela ne changera pas ; nous ne faisons pas une coupure avec notre passé. Je trouve même qu’il serait bien que les villageois comprennent que nous étions là bien avant que la plupart s’installe ici, nous avons notre place. Allons, allez de suite chercher ces couverts et installez les rapidement, je serais intransigeante : tout doit être parfait. »
La mort dans l’âme, la domestique posa son gant et défît son tablier de cuisine pour jeter un dernier regard à sa maitresse, toujours plantée fermement devant elle.  La dernière fois que j’ai vu autant de gêne sur ce visage, je n’étais encore qu’une enfant et Père la réprimandait pour avoir été plus qu’une domestique pour moi, se dit Opyn ; il doit y avoir quelque chose d’anormal là-dessous.
Et soudain elle entendit des pas résonner dans l’escalier et arriver dans la grande salle à manger juste à côté.
« Le déjeuner n’est pas encore servi ? » demandèrent ensemble Ellie, Laure et Désirée tandis que les autres restaient calme. Obligée de subvenir aux besoins de sa famille, Opyn fit signe à Apupia de finalement rester et servir le plus vite possible les plats. Puis elle s’en alla rejoindre les autres déjà assis à table en se demandant si elle avait vu du soulagement dans les yeux de la femme.
Le repas se déroulait tout naturellement bien que l’ambiance pesante qui s’était installé depuis dix ans avait presque totalement disparue. Ses sœurs souriaient et se lançaient d’intemporelles bêtises en riant, sa tante et sa cousine parlaient du temps ensoleillé qui éclairait joyeusement la pièce. Seul Thomas, le mari de Uva, et les trois chiens Anie, Kell et Cran restaient stoïque comme à leurs habitudes.
Les plats défilaient et disparaissaient rapidement pendant que l’héritière se demandait comment elle faisait chaque jour pour sauver ses finances face à l’incroyable appétit de chacun ici et aux revenues de plus en plus maigres des entreprises qu’elle possédait.
Et quand le repas fut terminé, que chacun quittait la table pour se rendre au salon et vaquer à leurs occupations, Opyn attendit mais elle ne vit toujours pas Apupia s’occuper des couverts à changer. Elle ne comprenait pas en quoi cela gênait la femme de cinq ans son ainée ; elle avait pourtant toujours apprécié ces couverts d’argents pur dont les fines sculptures celtiques portaient le blason de la famille de Chester : un immense dragon entouré de sept petites flammes que reliait un ruban.
« Apupia, les couverts. Ne me faites pas répéter, je passerais vérifier dans peu de temps ! » lança-t-elle à haute voix tandis que la domestique se trouvaient dans la pièces d’à côté. Elle commença à se lever et à partir quand elle aperçut du coin de l’œil la femme noire s’exécuter à contre cœur, mais bizarrement elle ne se dirigeait pas vers la place habituelle de l’argenterie. Intriguée, l’héritière la suivit de loin, parcourant les couloirs derrière elle, descendant cette fois les escaliers jusqu’au quartier des domestiques. Elle vit, étonnée, Apupia ouvrir la porte de sa chambre en regardant avec méfiance tout autour d’elle mais elle ne vit pas Opyn, cachée dans le coin de l’escalier. La domestique entra, durant de longues minutes sans ressortir, on pouvait juste entendre des cliquetis sourd d’objets déplacés. Alors l’ainée décida de se montrer, elle sortit de sa cachette et à pas de loup alla se caler, l’épaule contre l’encadrement de porte, la bouche béante par le spectacle qui se passait sous ses yeux. Des centaines d’objets hétéroclites étaient entassés dans la chambre mais pourtant soigneusement dépoussiérés. La plupart appartenant à la famille même dont Apupia était la domestique depuis une vingtaine d’années, des choses disparues depuis un moment, mystérieusement, qui réunissait ici une vraie fortune.
« Mais que se passe-t-il ? »
La voleuse sursauta alors en poussant un petit grognement, et elle se retourna brutalement, inquiète et apeurée de s’être fait repérer. Elle tenait dans ses mains le coffre qui contenait l’argenterie.
« Pourquoi tous ces objets se retrouvent ici ? dit Opyn en s’avançant. Vous nous volez ?
- Madame, non madame ! Ces objets ne quittent pas la demeure, je ne me permettrais pas mais il serait bien plus utile ici, qu’en haut où tout le monde les oublient, je pense, tenta-t-elle de se justifiée, tremblante.
- Mais quelle utilité pourriez-vous avoir à garder ici, en secret qui plus est, un … vieux violon, des lampes et des couverts bien trop nombreux ?
- Mais je les contemple Madame. J’en prends soin tous les jours à les caresser, les dépoussiérer, leur tenir compagnie, c’est trop dur de s’en séparer c’est comme s’ils me garantissaient une protection.
- Je vois, dit-elle en restant interdite, … L’Avarice est un péché, saviez-vous ?
- Cela n’a rien à voir Madame, je peux …
- Voler la famille qui vous a recueillis ? Cela oui, ma question est pourquoi ? demanda-t-elle durement.
- Je ne sais pas, cela remonte à loin ; quand je suis arrivée ici je crois. Je n’avais jamais vu autant de richesses, de biens, de pouvoir. J’ai passé les sept premières années de ma vie dans une extrême pauvreté, mes parents étaient obligés de voler pour survivre. Mon père alcoolique a un jour été pris sur le fait, attrapé par la Police et pendu, haut et court, sans pitié, alors que ma mère et moi assistions à la scène. Il a fallu qu’elle se prostitue et que moi je ferme les yeux.
- Mais quel rapport ? C’est finit maintenant ma famille vous a recueillis.
- Je sais bien, votre mère m’a sauvée la vie. Les gardiens couraient après ma mère pour avoir souillé les trottoirs, elle me tirait par la main mais dans la course j’ai trébuché et un policier m’a attrapé. Ma mère s’est retournée pour me lancer un dernier regard quand un homme l’a empalée misérablement par derrière avec un couteau. J’ai vu ma famille mourir, et personnes ne savait que faire avec une gamine de sept ans à part la battre et la laisser pour morte dans un fossé : un pauvre de moins n’allait abattre personne ! C’est feu votre Mère qui m’a aidé et prise sous son aile. Je n’ai juste pas pu résister à la vue de ses richesses ! Il y en avait de partout et personne ne s’en servaient. J’ai osé un jour emporter quelques coussins de soie avec moi et votre Mère l’a découvert. Pourtant elle ne m’a rien dit à part que cela ne faisait de mal à personne et je pourrais toujours vivre mieux qu’avant. J’ai amassé au fils des années toutes ces belles choses sans causer d’autres soucis ni penser que cela était mal. Je m’excuse vraiment, mais ne me séparer pas d’eux ce serait trop dur, ils sont tout ce que j’ai »
Et Opyn ne dit rien, se demandant si tout ce que venait de raconter la femme était vrai et si elle pouvait encore la croire mais on voyait dans ses yeux un profond désarroi.  L’héritière regarda tout autour d’elle ; c’est vrai qu’elle ne se servait jamais de tout ce qui était ici et si sa mère n’avait rien fait pour empêcher l’enfant, si elle l’avait même accepté pourquoi pas elle ? Sauf pour ces couverts, elle en avait impérativement besoin et y tenait pour la réception qui allait bientôt se produire.
« Allez installer l’argenterie sur les tables. Si quoi que ce soit ici doit reprendre sa place à l’étage, je veux qu’il en soit fait ainsi, sans discussion. Avez-vous compris ?
- Oh merci, Madame, mille fois merci ! Je me précipite les mettre et je vous le promets. »
Puis elle monta souriante, suivis de sa maitresse qui resta avec elle pour s’assurer qu’elle remplaçait bien chaque fourchette, couteaux, et cuillère. Opyn se trouvait satisfaite par l’avancement des choses : les salles étaient presque entièrement prêtes pour accueillir les invités, le banquet n’avait qu’à être préparé par l’armée de cuisinier que Opyn avait embauché à l’occasion et l’orchestre allait bientôt s’installer pour jouer tous les morceaux les plus en vogue du moment. Tout le monde serait invité dans le petit peuple comme dans les aristocrates, après tout, Dale était un petit village comparé aux grandes villes, bien trop étouffantes se disait l’ainée. Mais un point restait à éclaircir : pourquoi Hope s’était encombrée d’une petite parmi tant d’autre ?
« Pourquoi ma mère vous a récupéré ? demande-t-elle soudain.
- A vrai dire,  je ne sais pas vraiment. Peut-être avait-elle pitié de moi et du sort qu’on me réservait, ou bien … Je me souviens l’avoir un jour entendu qu’elle avait peur de ne plus jamais avoir d’enfant. Elle avait subi un accouchement violent avec vous, et elle pensait ne plus avoir la force de le refaire. Mais elle a eu vos sœurs et je n’ai plus eu le droit de me comporter avec vous comme si j’en étais moi-même une, il fallait que vous ayez en tête votre devoir d’héritage, c’est ce qu’a toujours voulu votre mère, ajouta Apupia en fixant la jeune femme. Elle sentait de mauvais jours arrivés et regrettait d’avoir à vous léguer cela mais croyait en vous. Nous pouvons toutes penser que vous n’avez pas faillit à votre devoir. »
Sans voix pour ce que venait de dire la domestique, Opyn se retourna et partit de la pièce. Elle avait le cœur gonflée à l’idée que sa mère plaçait ses espoirs en elle et elle se sentit  à nouveau désireuse de mener à bien sa mission. Bien sûr en passant devant le tableau, Apupia n’y apparaissait pas, elle ne faisait bien évidement pas partie de la famille et rien n’avait changé, presque. 

Les sept Péchés CapitauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant