Le bal rédempteur

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L’aube s’était levée depuis plus de deux heures, Opyn se tenait droite devant sa fenêtre bien avant que le soleil n’éclaire la pièce puisqu’elle avait peur de ne s’avoir quand se réveiller ; son cauchemar l’avait suivis, il avait résonné dans sa tête toute la nuit sans lui laisser un seul répit. Aujourd’hui, elle était déterminée à mettre fin au voile sombre, brumeux, insensible qui étouffait ce manoir, à briser ce destin impur qui semblait s’être abattus sur tout ceux qu’elle aimait jadis comme une famille unie, et qui s’était démembrée sous la douleur et l’incompréhension. Il y a dix ans de cela Hope et Arthur, sa mère et son père, avaient quitté ce monde et avaient emporté avec eux la lumière, la simplicité, l’humanité des Chester qui perdaient par la même occasion leur dignité.
Opyn avait longtemps rêvé du jour où la falaise se reconstruirait d’elle-même et où ses parents réapparaîtraient pour éclaircir le trouble, elle avait attendu longtemps seule dans sa chambre avec ses démons ; et quand elle en était sorti tout avait changé. La vie n’était plus la même, les Chester restaient figé dans un éternel vide noir, comme ses cauchemars.
En ce jour où le soleil resplendissait déjà si haut, pourtant si jeune, l’héritière souriait tant pour se donner du courage que par la joie qui commençait à l’emporter : « Oui, ce soir tout sera fini. » dit-elle calmement.
A l'heure exacte du déjeuner, Opyn descendit rejoindre les autres à table pour la dernière fois avant l'événement. Une humeur enjouée et pressée s'était emparé de chacun et toute la famille s’échangeait leurs impressions et leurs envies; ils ne savaient pas que ce soir serait bien plus décisif qu'ils pensaient. À la fin du repas la jeune femme se leva :
" Mes amis, nous avons vécu depuis dix ans des moments bien difficiles,  bien pénible pour nos âmes. Il y a de cela une semaine je vous ai promis de toute vous libérer de ces fardeaux qui pesaient sur chacune de vos épaules; et maintenant que tout s'est plus ou moins arrangé nous fêterons ce soir la venue d'une nouvelle ère pour notre famille. Cette fraîcheur nouvelle ne pourra que nous être bénéfique et nous faire oublier ce que nous avons toute subit pendant des années.  Il y a une semaine, vous me semblez toutes réticentes à l'idée de danser par les gens de Dale mais je vois qu'aujourd'hui cette perspective vous enchante autant que moi ! Ce soir nous chanterons les louanges de nos chers anges gardiens qui nous ont quitté trop tôt, mais peut être que Dieu avait une bonne raison de les ramener à eux, si c'était bien de lui qu'il s’agissait. »
 Un silence s’installa pendant un instant.
« Je vous conseille à tous de garder l'esprit ouvert, ce soir pourrait bien être très intéressant si je puis dire. Et je vous conseille également de rentrer dans vos chambres vous préparer, vous y trouverez l'accessoire ultime du bal: vos masques venu tout droit de Venise ! J'espère qu'un bal masqué enchante tout le monde ? »
Elle eut en réponse des hourras d'approbation.
« Bien vous pouvez tous disposer. Ne soyez pas en retard ce soir. » Puis elle s'en alla.
Le silence régnait dans la demeure, chacun était affairé à sa préparation pour le grand bal.
Ellie avait déjà enfilé sa robe bleu nuage et sa toilette était déjà prête, elle s’inquiétait plutôt des petits manteaux assortis qu'elle ferait porter à Anie, Kell et Cran. Laure hésitait toujours entre deux de ses robes pourpres qui semblaient pourtant si identique mais qui à ses yeux était un vrai dilemme. Andréa, elle aussi déjà vêtu de sa robe violette, tentait tant bien que mal de se coiffer sans aucun miroir puisqu'elle portait à présent une véritable aversion pour ce monde parallèle. Désirée passait lentement de la crème sur ses plaies pour un ces affreuses cicatrices partent plus vite, elle ne comptait pas se préparer maintenant, après tout vieille dame comme elle était-elle n'avait pas besoin de se plier aux règles de la beauté juvénile. Uva la cousine se vit quant à elle obligée de ressortir une vieille robe rose car elle avait considérablement maigrie et nageait dans ses vêtements; Thomas son mari, qui l'était plus par le lien juridique qui les unissait puisqu'il n'y avait aucune intimité entre eux,  portait un costume noir sobre. Apupia avait, pour le bal, préparé une surprise spéciale; elle ne voulait pas passer inaperçu et elle ne serait pas seulement la domestique docile mais surtout une personne, une vraie.
Opyn regardait, étalée sur son lit, sa robe de bal qu’elle avait fait faire sur mesure au fils des caprices qui se formaient dans son esprit, elle n’avait jamais été certaine du résultat et pourtant : le tissus était soyeux et fin, la coupe était parfaite et la robe avait quelque chose de spécial. Elle l’enfila rapidement et alla se contempler dans le miroir. La robe intérieure était de soie rouge, son buste était entouré d’un dur corset presque noir qui se nouait devant par des fils de soie comme la robe. Derrière elle, la robe formait, au niveau des hanches, des dizaines de plis souples qui tombaient en cascade. Elle avait ajouté il y a peu des couronnes de plumes longues, fines et rouges sur le col et la taille ; cette couleur dominait la tenue car elle était à la fois le combat, la brutalité et la vie, l’amour. Opyn se sentait entre deux et quand elle se regardait dans le miroir elle se sentait complète, plus belle que jamais. Elle n’avait qu’à rassembler ses cheveux de jais en un chignon désordonné et brouillon, et même avec le peu de cosmétique qu’elle avait, elle souriait de joie en voyant l’image qui se reflétait face à elle : une jeune femme qui levait la tête déterminée et heureuse. Alors l’ainée pris son masque couleur sang, elle y accrocha une plume et noua le fils derrière sa tête.
Que la soirée commence, pensa-t-elle en riant.
En traversant les couloirs illuminés de bougies on pouvait sentir quelque chose de changeant qui se glissait dans l'ombre; quelque chose qui pourrait engloutir ou libérer toute la famille et le nom des parents défunts.
Le vent soufflait fort désormais, il battait les volets dans une mélodie solennelle comme pour l’annonce d’un renouveau qu’Opyn appréciait. Elle se dirigeait tranquillement cette fois vers l’immense porte d’entrée. Pourtant elle eut le même souffle d’angoisse quand elle posa la main sur la poignée pour ouvrir la porte. La nuit était sombre, et tout le monde se retourna soudain pour la regarder ; une troupe monumentale de personnes attendait, tous étaient habillés du mieux qu’ils pouvaient et ils semblaient intrigués et apeurée à l’idée de rentrer dans ce manoir redouté. Pendant un instant le silence régna, personne ne sut quoi dire. Alors un vieil homme vêtu de gris s’approcha face à la jeune femme et en la regardant dans les yeux il lui dit :
« Je suis Jean Delmas, un ancien ami de vos parents. Vous avez beaucoup grandit Opyn. »
La jeune femme sourit de ce qu’elle venait d’entendre
« Alors entrez. Entrez tous, vous êtes les bienvenue ! » S’exclama-t-elle et ouvrant la porte au maximum. Ils hésitèrent quelques secondes à la limite de la demeure mais finir par suivre Jean Delmas à l’intérieur. L’héritière vit passer des fonctionnaires, des nobles, des fermiers, des enfants, des femmes, de jeunes et vieux hommes s’éblouissait devant le fastueux manoir éclairé, ils se détendaient au fur et à mesure qu’Opyn les guidait jusqu’à la salle de diner.
En arrivant dans le grand hall, tous les invités furent époustouflé de la finesse de la salle, des murs aux tapisseries dorées, des colonnes de marbre, des colonnes des plantes vertes grimpantes tout autour des immenses fenêtres de cristal qui projetaient leur vue sur le jardin illuminé et l'immense fontaine aux jets puissants.
Opyn était heureuse de voir devant chaque table sa famille patienter et accueillir les villageois, portant chacun leur masque; ils avaient respecté leurs engagements et semblaient heureux d'être présent et de côtoyer ces daliens avec lesquels ils parlaient et riaient facilement en les installant tous à table.
Quand chacun fut assis Opyn prit place en bout de table et debout au milieu de tout le monde elle arboré un sourire radieux.
« Soyez tous les bienvenue à ces tables maculées qui j'espère vous plairont tout autant que le reste ! Que le repas commence mes amis, bon appétit à chacun d'entre vous. »
Puis elle s’installa sur sa chaise quand le brouhaha recommença, elle prit en main les couverts et sourit en voyant le noble blason de sa famille. Soudain un coup de carillon retentit et après quelques secondes d'attentes des dizaines de serveurs vêtus de costumes firent voler les portes et apportèrent des centaines de plats à chaque personne. Des poulets, des viandes rouges, des soupes et des pommes de terre fumant sous la chaleur provoquèrent dans l'assemblée des sourires et des rires de joie ; chacun commença à manger profitant du fumet et du goût délicieux de chacun des plats renouvelants d’originalité. La plupart de mes invités n’ont jamais eu de plats ni de logis aussi raffinés, se dit la jeune femme en contemplant tout le bonheur et le partage qu’elle voyait sous ses yeux.
Alors quelque chose lui parut anormal du coin de l’œil, elle tourna la tête et vit Apupia entrer dans la pièce avec une immense jarre de vin entre les mains, mais surtout elle était vêtu d’une longue robe fine et dorée. Je me souviens bien à qui était cette robe, comment ose-t-elle s’afficher en la portant ? Elle est bien trop précieuse pour une simple servante cleptomane ! S’indigna Opyn, mais elle ne fit rien pour autant, elle se contenta de lancer un regard de haine à la noire quand elle vint lui servir un verre, mais celle-ci ne releva pas et s’en alla comme si de rien n’était. Bien que personne ne l’exprimait, ils étaient tous éblouis par cette robe couleur or et jetaient des regards presque indiscrets à l’inconnue qui était fière d’être le centre de l’attention, la plus jolie.
Pendant tout le repas Opyn fulmina du coup que lui avait porté sa propre domestique et elle était bien décidée à la renvoyer se changer avant que cela n’aggrave son cas. Elle afficha néanmoins un délicieux sourire et commenta tout ce que disaient ses compagnons de table. Les gens de Dale étaient agréables, drôles, bien élevés, et elle se prit à regretter ces dix ans où elle les avait méprisés et où elle avait fait en sorte de les effrayer par la grandeur et la noirceur de sa famille.
Les horloges sonnèrent onze heures et elle fut tirée de sa torpeur pensive, alors elle remarqua que chacun avait fini son assiette et qu’il ne restait presque aucune miette. Alors elle se leva et tout le monde se tut pour l’écouter :
«  J’espère que ce repas vous aura à tous plu ? En tout cas je vous invite à passer dans les salles d’à côté pour le banquet des desserts et les pistes de danse, animées ce soir, pour vous, par les plus grands groupes et instruments de musique ! N’hésitez pas à vous munir des masques dans chacun des bacs pour parfaire votre soirée. » Et tous les habitants se levèrent impatient de passer dans l’espace de fête pour enfin commencer la soirée.
En fouillant des yeux, Opyn aperçut Apupia, toujours aussi parfaitement vêtu, pas loin d’une fenêtre dans la foule ; elle s’approcha d’elle aussi vite qu’elle put quand elle vit une petite fille, qui ne devait même pas avoir dix ans, lui parler. Elle fut assez proche pour entendre une partie de leur conversation :
« Quand je serais grande je veux être aussi riche que vous !
- Ma petite Grace, s’adressa la noire à la petite fille, je l’espère. Oh oui je l’espère…
- Vous êtes la Dame d’Or dont tout le monde parlait quand je suis née ?
- Si tu le veux et si l’or te le prouve alors …
- Il suffit Apupia ! interrompit l’héritière. Mon enfant, je pense que tu devrais repartir chercher tes parents où t’amuser avec les autres enfants, profites-en. Aller va ! » la poussa-t-elle des mains pour l’encourager puis elle se retourna vers la domestique furieuse et lui fait un signe impérieux, lui indiquant de la suivre. Elles sortirent de la salle et se cachèrent des regards indiscrets :
« Comment osez-vous porter la robe de ma mère et faire croie à cette petite qu’il s’agit de vous ? Comment avez-vous osé à voler justement cette robe-là alors que vous saviez qu’elle représentait beaucoup de choses ici !
- Madame, je n’ai pris cette robe qu’après la mort de votre mère, jamais elle n’en aurait eu l’utilité dans sa tombe.
- Mais vous êtes horrible, elle l’a à peine porté une semaine avant sa mort !
- Je ne suis pas horrible, je marche par utilité.
- Fort bien, si vous préférez. Un conseil, susurra-t-elle en s’approchant, pleine de colère, descendez remettre des habits qui vous conviennent mieux avant que je ne vous humilis devant tout le monde. Personne ne serait heureux de voir une inconnue, qui plus est une domestique, voler et porter la robe de la vraie Dame d’Or. Exécution. »
Pendant un instant elles restèrent figées à se regarder dans le blanc des yeux, mais finalement Apupia capitula, baissa le regard, et descendit dans le quartier des domestiques pour y enlever à regret sa robe couleur d’or puis enfiler à la place un banal habit de servante. Rouge de honte et de colère, elle remonta dans la salle pour se fondre dans la masse.
Après s’être assuré que la domestique obéirait, Opyn était retournée sur la piste de danse et elle avait ordonné aux musiciens de jouer un air doux et entrainant. Jean Delmas avait choisi ce moment pour approcher la jeune femme aux plumes de feu, donner à un serviteur sa canne sculptée et tendre la main vers celle d’Opyn :
« Vous danseriez ? 
- Comment pourrais-je seulement le refuser, annonça-t-elle avec un sourire radieux.
- En ayant peur qu’un vieux boiteux comme moi ne sache danser ? dit-il en l’amenant au milieu de la piste.
- Oh je n’oserais jamais penser cela voyons ce serait inconvenant. Puis vous avez l’air de parfaitement vous débrouiller !
- Quelques années de pratique. Vous ressemblez magnifiquement à votre mère, vous êtes aussi belle et rayonnante qu’elle l’était. C’était vraiment la Dame d’Or, une des personnes les plus précieuses que ce monde ai connu. »
Au moment même où le vieil homme prononça ces mots Opyn fut violement poussé dans le dos si bien qu’elle faillit tomber au beau milieu de la foule. Quelques personnes s’écrièrent et la musique s’arrêta. Prise au dépourvue et en colère, l’héritière se retourna pour voir son agresseur et elle vit Désirée la regarder nonchalamment, rougis aux joues par l’alcool qu’elle avait sûrement bu.
« Mais que vous prend-il ma chère ?
- Y’en a toujours eu que pour elle. Mais qu’est-ce qu’elle avait de plus de moi hein ? A part… Tout ? C’est injuste non, hein que c’est injuste ? Pourquoi ne suis-je pas d’Or moi aussi ? dit-elle les larmes aux yeux.
- Voyons, tout ce que vous dites est incompréhensible ma tante, vous devez bien être fatiguée, justifie-t-elle en voyant toute la foule les regarder. Aller vous reposez, conclu-t-elle en posant doucement sa tante dans un siège au fond de la salle. »
Puis elle souffla et sourit aux habitants de Dale qui la regardait dubitatifs. Elle leur fit signe de continuer et partie un instant sur le balcon pour prendre l’air et se reposer. Elle y réfléchit profondément et décida qu’il était temps d’interrompre la fête. Opyn fit demi-tour lentement, grimpa sur l’estrade à côté des musiciens et leur fit un signe impérieux de se stopper.
« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs votre attention s’il vous plait. J’ai aujourd’hui quelque chose à vous annoncer. Comme vous le savez cela fait aujourd’hui dix ans que mes chers Parents nous ont quittés ; et pendant tout ce temps nous nous sommes enfermés dans un cercle de méprise et de haine dont j’ai maintenant honte. La raison m’est hier apparue : cela fait dix ans que nous vivons dans le mensonge, observés par l’assassin de notre Lumière. La falaise ne s’est jamais effondrée, elle est toujours là derrière les jardins de ce manoir, intacte malgré le temps : Hope et Arthur, ceux que certains ici connaissent, ont été poussé par un meurtrier ! Celui qui chaque jour nous côtoie en riant, celui qui jalousait leur grandeur et la vie qu’ils menaient ; l’assassin est parmi nous, avoua-t-elle en regardant toute sa famille ouvrir vers elle des yeux d’incompréhension et de douleur.
- Comment peux-tu en être aussi sûre ? dit Désirée en se levant. Après tout, toi ça t’arrangeais bien qu’ils meurent !
- Jamais je n’aurais voulu quelque chose de pareil et vous le savez. Désirée, n’étais-ce pas vous qui la jalousait pour sa beauté et son intelligence innée ? Ne vous a-t-elle pas volé votre place d’héritière ?
- C’était ma sœur voyons je…
- Et elle a toujours eu ce que vous essayiez chèrement d’obtenir. Parmi tous ceux qui ont et sont à ce jour ici, vous êtes la seule qui ai une quelconque rancœur envers Hope. »
Personne ne parla, Désirée ne répondit pas, elle se contenta de regarder sa nièce comme une espèce de monstre. Soudainement elle poussa Uva et Laure qui se trouvait devant elle et se jeta sur l’estrade pour essayer pitoyablement de monter et s’en prendre à l’héritière. D’un signe de la main Opyn ordonna à deux policiers du village de s’emparer de la vieille femme et quand elle la vit se débattre sous l’emprise des hommes elle prononça fatidiquement :
« Vous serez jugée pour le meurtre de mes parents.
- Je suis innocente Opyn, tu le sais je suis innocente, je l’aimais ! »
Mais elle fit la sourde aux plaintes de la femme et détourna son dur regard quand la porte se ferma.
« Vous n’avez donc aucune pitié ? » s’écria une voix dans le fond de la salle. Tout le monde vit Apupia se dresser contre sa maitresse avec l’orgueil d’un lion.
« Vous traitez ainsi votre vieille tante malade sans la moindre preuve de sa culpabilité ?
- Et avez-vous quelque chose qui prouverait le contraire ?
- Après tout Désirée aurait peut-être raison sur vous ? Vous voulez tout gérer et pourtant vous ne savez même pas vous tenir, avec vos crises de colère vous êtes dangereuse !
- Comment peux-tu me parler comme cela ? Tu n’es rien d’autre qu’une gamine que ma mère a eu la bonté de sauver et pourtant tu lui volait ce qu’elle possédait !
- Tu réagis avec bassesse Opyn on dirait ton père. » Puis elle se tut soudainement et ne bougea plus. L’héritière n’avait pas compris son lapsus mais il avait confirmé sa crainte ; Désirée n’avait rien à voir avec ce meurtre, elle n’était qu’un pantin dans le plan de la jeune femme pour confondre le vrai tueur. Les yeux d’Opyn s’éclairèrent et elle comprit que son plan avait fonctionné ; Apupia vit la lueur dans le regard de sa maitresse et elle se figea de peur. Droite comme un pique, sa respiration s’accéléra et elle se mit à transpirer ; un murmure de désapprobation s’éleva de la foule. La noire reprit possession de ses moyens et poussa les personnes qui se trouvaient devant elle et qui la regardaient fixement, elle se dirigea vers la grosse porte de bois, la fit voler en éclat et se mit à courir.
Il y eut un moment de silence ou personne n'osa bouger ni même respirer, ils attendaient tous une explication, une réaction; Opyn l'avait très bien compris mais elle avait perdu ses moyens devant la fuite inattendue de celle qui l'avait servis pendant des années. Ellie s’approcha lentement de sa grande sœur et posa sa main sur l'épaule dénudée de celle-ci.
" Tu sais ce qu'il te reste à faire, murmura la plus jeune. Ce n'est pas le moment d'abandonner."
L'héritière pris une grande inspiration, les jambes tremblantes elle descendit de l'estrade, traversa la salle et s'arrêta à l'entrée de la pièce. "C’est l'heure de la vérité. " Puis elle sortit, et tout le monde derrière elle la suivit bruyamment.
Apupia était sortie du manoir et s’était heurté au vent qui sifflait à ses oreilles. Grelottant de peur et de froid, elle avait dévalé les escaliers et s’était lancée dans les jardins derrière la maison, le cœur haletant dans sa poitrine. Derrière elle, Opyn et tous les habitants pouvaient voir sa petite forme noire se bouger au loin ; mais l’héritière ne courrait pas, elle se contentait d’une petite marche rapide à la tête de la troupe, tout en gardant le plus de dignité possible dans ce moment d’incompréhension. Elle ne connaissait pas son père, il n’avait jamais été très présent pour elle jusqu’à sa mort, mais on avait dit de lui que du bien. Alors pourquoi la servante réagit comme cela ? se demanda-t-elle. Cela n’a aucun sens, mais il va falloir que j’éclaircisse ce point, je ne peux pas me permettre de revenir en arrière ; toutes les classes sociales de Dale sont réuni derrière moi pour mettre un terme à cet époque sombre de notre vallée. Mais rien de ce qu’elle se disait pouvait rassurer son appréhension, et elle ne vit même pas le temps passer jusqu’à arriver sur la côte derrière le manoir. Elle ralentit le pas et observa cet endroit, elle ne s’y était pas rendu depuis dix ans et les hautes falaises qui surplombaient les récifs lui semblaient toujours aussi imposantes. Elle balaya du regard le paysage de nuit et aperçu la silhouette d’Apupia, sur un bord, qui regardait arriver la troupe avec une peur et une haine non dissimulée.
« Tu as fini de t’enfuir ? s’exclama l’ainée des sœurs.
- Je ne m’enfuyais pas, je vous guidais jusqu’ici. Vous savez où vous vous trouvez. 
- C’est vous, il y a dix ans, qui m’avez expliqué que la falaise s’était écroulée. Mais vous aviez menti, elle n’a pas changé, elle n’est pas tombée.
- Comme tu es perspicace petite, pourtant tu m’as cru il y a longtemps. Quelle idiote, le choc t’as complétement fait oublier que tu nous avais vu, ou bien tu refusais de le comprendre. J’avais une quinzaine d’année et j’ai détruit ce qui comptait le plus pour toi, sous tes doux yeux d’enfants, répondit la folle en souriant sadiquement.
- Je m’en souviens, je le sais. Maintenant ne te cache plus et avoue tes crimes, devant tous ceux présent ici !
- Ceux présent ici sont plus mes amis, mes frères, ils me comprennent plus que vous ! Votre argent et votre puissance vous embrume les yeux et vous ne faites pas attention au petit peuple. Ceux qui sont ici ne peuvent pas me condamner, ils sont dans la même situation que moi. Nous sommes liés.
- Jamais nous ne serons lié à vous mademoiselle, expliqua calmement Jean Delmas en s’avançant à côté de Opyn, canne à la main. Nous ne sommes ni menteur, ni assassin et nous ne serons jamais vos frères. Ne comptez pas sur nous, le peuple aimait la Dame d’Or pour sa gentillesse. Vous êtes coincée, mademoiselle, nous sommes face à vous et les falaises sont derrière. Il est temps d’expier votre crime.
- Bande d’idiots ! Ne voyez-vous pas qu’ils tentent tous de vous contrôler ? Ils n’ont qu’une idée en tête : prouver leur supériorité ! Mais cela ne marche pas avec moi, déjà à l’époque de votre père. Cet imbécile d’Arthur m’a humilié, il riait de moi, de ma couleur, de mes gestes maladroits. Mais quand il a su que je gardais ma « collection », il s’est mis dans une rage noire ! Il m’a couru après, il voulait m’étriper. J’ai couru jusqu’ici, il m’a rattrapé et m’a soulevé dans ses grosses mains immondes avant de me jeter au sol. Ce chien n’a pas eu de peine à me frapper à terre. Votre mère est arrivée, elle a essayé de le calmer et de l’arrêter mais ils se sont mis à se disputer, il a menacé d’en finir avec moi. Quand il a attrapé un bâton et l’a levé violemment pour me fracasser la tête, Hope s’est jeté sur lui ; et moi j’ai eu tellement peur que je les ai poussés de toutes mes forces. Je ne le voulais pas mais ils ont tous les deux basculé, ton père est tombé en premier en hurlant et s’est fait engloutir par la mer. Ta mère s’était raccrochée à une pierre et elle me fixait avec peur pour que je vienne l’aider. Mais je ne savais pas quoi faire, elle m’avait vu les tuer, il fallait que je supprime les preuves. Alors je me suis avancée, et j’ai écrasé sa main qui la tenait au-dessus du gouffre. »
Elle marqua un temps de pause après toutes les choses horribles qu’elle venait de dire ; Opyn sentit de lourdes larmes froides couler sur ses joues et se faire emporter par le vent. Personne n’osait bouger, personne n’osait parler ; tout le monde s’était tut dans un silence macabre. Et soudain, la meurtrière se jeta sur une petite fille devant l’assemblée, elle l’attrapa brutalement et la souleva au-dessus du vide. On entendit derrière sa mère crier et la petite geindre d’effroi à la vision de la mer déchainée par le vent et des rochers pointus.
« Lâche Grace cela ne t’avancera à rien de lui faire du mal, tu ne seras que plus condamnée !
- Laisse-moi partir Opyn, où la gamine y passe ! »
Mais à peine eu-t-elle terminé sa menace qu’elle fut violement bousculée. Une silhouette frêle et élancée avait réussi à plaquer la noire au sol, on vit Thomas pousser la petite Grace pour qu’elle ne soit pas blessée. Celui qui était toujours passé inaperçu se battait aujourd’hui contre la femme pour qu’elle ne fasse pas mal à celle qui était secrètement sa petite sœur, Grace.
En tentant de se libérer, Apupia envoya un direct dans le nez du grand blond, elle le cassa sur le coup et se fit asperger par un flot de sang tandis que son agresseur relâchait la prise pour couiner. La femme voulut s’échapper mais elle bascula sur le mauvais côté, entrainant avec elle Thomas, elle n’eut même pas le crier avant de voir le vide s’ouvrir sous elle.
En voyant les deux personnes disparaitre derrière les rochers de la falaise, Opyn se jeta pour aller les aider. Quand elle arriva au bord elle vit Thomas accroché et lui tendit la main pour l’aider à monter ;  il se hissa avec habileté sur terre et se dirigea droit vers Uva, qui vint lui placer un mouchoir sur le nez. Mais avant qu’elle ne puisse faire quelque chose, il l’embrassa doucement en la serrant, la première marque d’affection et d’amour qu’elle reçut depuis bien longtemps fit pleurer la femme de joie. Du coin des lèvres l’héritière sourit et alors elle vit un peu plus bas une forme gesticuler. Apupia s’était elle aussi accrochée à la falaise et tentait désespérément de ne pas tomber. Oubliant ce qu’elle avait fait, Opyn tendit sa main le plus proche possible, mais elle s’aperçu que jamais elle ne pourrait l’atteindre seule.
« Attrape ma main !
- Et qu’est-ce qui me dit que tu ne me lâcheras pas ?
- Tu n’as pas le choix tu dois me faire confiance, la pierre ne tiendra pas longtemps Apupia ! »
A contre cœur, la jeune noire tendit dangereusement la main pour attraper celle qui était tendue vers elle mais elle entendit soudain un craquement sourd. La pierre qu’elle tenait céda lourdement et le temps sembla s’arrêter pendant un instant pour Opyn et Apupia. Elles se fixèrent intensément pendant quelques secondes durant laquelle on put lire dans les yeux de la noire la frayeur, elle avait conscience qu’elle était finit, qu’elle allait indubitablement tomber et s’écraser contre les récifs où se noyer dans la mer profonde. Dans un dernier élan d’espoir, Opyn se pencha dangereusement pour tenter de rattraper la traitresse mais elle faillit basculer à son tour et fut miraculeusement sauvée par Andréa et Laure qui vinrent la retenir. L’héritière ferma les yeux pendant les secondes qui défilèrent ensuite mais elle ne put s’empêcher d’entendre un hurlement, le même hurlement qu’elle entendait chaque nuit depuis dix ans, celui qui précédait la Mort, le hurlement de la chute.
Quand le silence revint, Opyn se releva tremblante, et seulement maintenant, le vent qui s’était arrêté durant toute la scène, se remit à souffler bruyamment entre les feuilles des arbres.
Dans le ciel, des dizaines de corbeaux vinrent voler en cercle, poussant leurs bruits lugubres au-dessus de la scène de meurtre. Alors l’ainée leva majestueusement la main, et signa dans le voile sombre de la nuit, face à la lune, une croix du Christ.
« Requiescat in pace, clama-t-elle soudain. Souviens-toi que tu es poussière et que tu redeviendras poussière. Ce qui fut jadis n’est plus à présent ; que les choses que j’ai vu, maintenant je ne les vois plus. Je vous pardonne vos péchés et expie vos fautes, je me libère de la colère comme j’ai libéré ma famille de tout ce qui la retenait dans un piètre monde. Que les morts reposent en paix. »
Puis elle fit demi-tour et sans même regarder la foule, qu’elle congédia d’un geste de la main, elle rentra dignement, la tête haute, dans le manoir. Elle traversa les couloirs, les salles et s’arrêta dans le salon principal. Comme la première fois elle posa la main sur le grand canapé de cuir sombre et poussiéreux et contempla le grand tableau au-dessus de la cheminé. Son père avait disparu, il ne tenait plus la main de sa mère ; à la place, elle contempla la jeune femme souriante, aux cheveux de jais en bataille et aux joues roses, pleine de vie et d’énergie, qui dominait largement la peinture. Le sombre avait fait place au clair et le tableau était baigné dans une lumière chaleureuse et joyeuse, chacune de ces femmes souriaient dignement, toutes ensembles réunies à nouveau dans un calme serein et une légèreté idyllique.
Opyn vit Désirée la rejoindre, et derrière elle, Thomas, Uva, Andréa, Laure, Ellie et ses chiens apparurent. Ils se regardèrent en silence pendant un cours instant puis fixèrent incrédule le tableau, qu’ils n’avaient jamais vu changer.
L’héritière rentra lentement dans sa chambre, épuisée par tout ce qui c’était passé cette dernière semaine. Elle avait combattu d’obscures forces qui s’étaient emparées de sa famille mais par-dessus tout elle venait de faire face à la Vérité, au secret dévoilé. Sans plus de cérémonie, elle se déshabilla et se glissa directement dans le lit pour tomber dans les doux bras de Morphée.
Et là, Opyn n’entendit pas ce même hurlement qui retentissait dans sa tête depuis dix ans de malheur, il n’y eu pas de bruit ; mais au beau milieu de la nuit, la douce et tendre voix de sa mère vint lui parler une dernière fois avant de disparaitre : « Merci ma chérie ». 

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