Bonus : Nous étions victimes

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Les gens jugent trop vite, sans vraiment savoir. Voici en réalité le fin mot de l'histoire...

« Apupia ! Apupia ! » Opyn trottinait dans les couloirs illuminés avec un sourire aux lèvres, elle cherchait activement Apupia. Au détour d'un couloir, la jeune servante sauta sur ses pieds et fit une affreuse grimace. Opyn cria, fit demi-tour et essaya de s'enfuir mais elle fut vite rattrapée ; les deux jeunes filles riaient fort dans les bras l'une de l'autre.
« Tu m'as fait peur !
- Je sais, c'était bien le but ! »
Et elles se remirent à rire pendant un moment. Opyn n'avait que dix ans et son amie en avait cinq de plus. Mais soudain, elles virent deux ombres se rapprocher. Elles levèrent la tête : Arthur et Hope se tenaient devant elles, Apupia se dégagea vite des bras de son amie.
« Debout, ordonna le père. Je vous ai dit de ne pas jouer comme cela. Apupia, les cuisines t'attendent, le repas sera servis en retard à cause de toi.
- Excusez-moi, seigneur, répondit timidement la jeune femme. »
Elle fit une révérence hasardeuse et se retira.
« Mais maman, pourquoi ne puis-je pas avoir d'amis ? se plains la petite Opyn.
- Ma chérie, dit tendrement sa mère en s'approchant, il n'est pas possible pour toi d'être amie avec une domestique.
- Pourquoi, demanda-t-elle candidement.
- C'est ainsi, intervint son père. Tu es l'héritière de la famille Chester et il faut que tu te comportes comme telle. Aujourd'hui commence ton apprentissage pour un jour nous succéder. Ta mère s'occupera de cela. »
Son père fit demi-tour et comme à chaque fois, il s'en alla sans plus s'occuper de sa fille.
« Maman, pourquoi moi ? Pourquoi suis-je obligée de vivre aussi durement ?
- Mais voyons, beaucoup de jeunes filles envient ta situation.
- Mais pourquoi ? Je ne peux pas vivre comme je l'entends, je dois être seule et bien élevée, toujours parfaite ! Je ne veux pas être parfaite !
- Cesse de te demander pourquoi ma chérie, c'est ... ainsi. »
Sa mère avait l'air triste, comme si elle regrettait ce qu'elle disait. La tante Désirée fit son apparition derrière elles, comme si elle avait tout entendus.
« L'héritage est un cadeau empoisonnée Opyn, je le sais mieux que personne.
- Désirée voyons, nous en avons déjà parlé, râla Hope en se relevant. Tout cela n'a rien à voir avec ma fille.
- Tant qu'elle sera de la famille, tous nos actes la concerneront. Elle est l'héritière ! dit tranquillement la cousine Uva en passant à côté. »
Opyn souffla un peu, se retourna et s'en alla en courant en laissant sa mère ici. Elle partit se réfugier dans sa chambre, la plus haute de tout le manoir, celle qui surplombait les jardins et le village de Dale. Elle regarda ses jeunes sœurs en bas, qui jouaient insoucieusement. Pourquoi la vie l'avait-elle choisit, elle ? Opyn était en colère car jamais elle ne pourrait vivre tranquille comme elle le désirait. Il n'y avait rien à envier.
Elle attendit que la nuit tombe et partit se coucher, sans ajouter un mot de plus. Elle ne le savait pas encore mais elle était à trois jours de la décadence de sa famille.
Apupia s'était encore levée extrêmement tôt, l'aube était à peine debout. Elle parcourait les salles du manoir à la recherche d'un objet fantastique qu'elle pourrait dérober. La honte l'avait depuis longtemps quitté : ils avaient tellement et elle avait si peu, quelle honte y avait-il pour une orpheline à vouloir des biens merveilleux ? Elle jeta bien vite son dévolu sur une petite lampe à huile sculptée de fée et de chevaux, la crinière au vent. Mais soudain elle entendit un bruit derrière elle, comme des pas. Affolée, elle se jeta derrière le canapé, s'y recroquevilla et arrêta tout simplement de respirer. Les pas se rapprochèrent : Apupia vit Arthur, le regard alerte et méfiant, s'emparer de son manteau et sortir tout doucement du manoir.
Après la frayeur de se faire trouver, elle fut soudain prise d'une envie irrépressible de le suivre. Menée par la curiosité, la jeune noire se faufila dans l'ombre et la rosée, loin derrière son maitre qui sortait du terrain. Il bifurqua à gauche dans la forêt juste avant le village de Dale, et s'enfonça d'un pas assuré vers un certain point. Là-bas l'attendait une femme qui devait être de dix ans son ainée.
Sous le regard horrifié d'Apupia, ils s'embrassèrent. Elle paraissait si vieille ! Comment son maitre pouvait-il tromper sa femme qui était la lumière même ? Mais ils ne s'arrêtèrent pas là et Apupia dût tourner son regard, malade, en écoutant les bruits qui doucement remontaient au ciel. Mon Dieu, quel péché d'adultère ils faisaient là. De longues minutes passèrent où Apupia se boucha les oreilles, c'était indécent, mais quand ils eurent fini, elle tenta de les écouter.
« Si tu savais ce que tu me manques, disait l'inconnue.
- Je ne peux pas quitter le manoir.
- Pourquoi ?
- C'est là-bas ma place ! On ne peut pas...
- Bien sûr, ta place est auprès de ta femme parfaite et de tes filles au teint de lait ! Et tu penses à notre enfant ?
- Je t'en prie, tu sais très bien que si j'avais le choix je te rejoindrais. Ça n'a jamais été ce que je voulais. Tu le sais...
- Je sais que je souffre.
- Et tu sais que je t'aime Irna, toi et la gamine.
- Abelle, elle s'appelle Abelle. »
L'inconnue aux traits tirés partit en courant dans l'autre direction et Apupia entendit Arthur soupirer de désespoir. Jamais elle n'y aurait pensé ! Il aimait une femme comme ça ? Mais l'amour avait-il seulement des raisons à donner ? Et ils avaient une fille ! Seigneur, pensa-t-elle, quel traitre... Et il fait subir la même chose à Opyn, à l'obligée d'être une personne qu'elle n'est pas. Puis elle prit soudain conscience qu'elle devait rentrer et elle prit ses jambes à son cou.
Mais finalement, était-il traitre ou victime ? Pouvaient-ils choisir leur destin ? Qui sommes-nous pour condamner ce que nous ne savons pas.
La journée, Apupia la passa à rêvasser, à tourner dans sa tête toutes les situations qui auraient pu conduire à cela. Mais c'était trop complexe pour que la jeunesse ne comprenne. Elle n'avait pas la sagesse suffisante. Elle ne croisa pas Opyn et n'osa pas regarder dans les yeux ses maitres. Même Hope, qui semblait parfaite, n'était en fait qu'un pantin qui obéissait à des ordres qu'on ne sait qui dictait. Dieu ? Comment pouvait-il faire en sorte que de telles choses arrivent.
Le soir même, Opyn entendit quelques coups frappés à sa porte. Elle se leva de sa coiffeuse et ouvrit : Apupia se tenait devant elle. Toutes les deux avaient les yeux gonflés de secrets, de faits qui pesaient bien trop lourds pour leurs jeunes épaules. La jeune servante hésita longuement, mais elle se retint finalement : Opyn avait assez à s'inquiéter pour le moment.
« Papa ne veut plus que je sois ton amie.
- Je sais Opyn, mais pense un peu par toi-même, vas-tu le laisser te guider ainsi ?
- Je n'ai pas le choix, mon destin est guidé par une chose plus forte que moi !
- Nous avons toujours le choix Opyn ; et toi et ton père...
- Que Dieu t'entendes Apupia... Que Dieu t'entende. »
Mais la jeune servante elle-même doutait de ses dires : le choix leur était-il vraiment confié ? Avait-elle vraiment eu le choix en étant engagée ici comme domestique ? Non, quelqu'un d'autre tirait les ficelles, pour le meilleur et pour le pire. Soudain Opyn se leva.
« Je suis navrée Apupia vraiment...
- Qu'est-ce que tu as ?
- Tu dois partir maintenant, je n'ai pas le choix. Notre amitié n'existera plus.
- Opyn ! Pourquoi ?
- Parce que tu es une domestique et que je suis... l'héritière. Mes parents comptent sur moi. Partez maintenant, annonça-t-elle brusquement. »
Apupia essaya de chercher dans ces yeux la flamme de folie, mais elle n'y vit qu'un dur rempart. Doucement, la jeune noire recula, les larmes commençaient à monter ; elle se retourna et claque brusquement la porte en s'enfuyant. Opyn ne versa qu'une seule larme. Elle n'avait pas le choix.
Le destin venait de séparer deux âmes amies.
Apupia rejoignait ses appartements quand elle vit sur la table basse du salon un vieux livre : il y était inscrit le mot « Bible ». Elle repensa au peu de chose qu'elle savait de la religion : ces sept péchés capitaux qui étaient interdit sur Terre. Elle ricana, comme c'était faux. Déjà, il y avait bien plus que sept péchés, et ils parsemaient la Terre de particules d'Enfer.
Colère, luxure, paresse, envie, vanité, gourmandise, avarice... Elle les énuméra tous avant de s'endormir.
Le soleil pointait à peine ses rayons quand Apupia se retrouvait encore à arpenter les couloirs, tout le monde dormait. Elle regardait chaque objet pour en voler un, cette fois-ci, elle jeta son dévolu sur un écrin d'or. Elle le regarda longuement et le mit dans le revers de sa veste.
Mais quand elle se retourna elle buta brusquement sur quelque chose de dur, elle tomba à terre. Arthur se tenait de tout son long devant elle, et il la regardait avec des yeux de haine. L'écrin tomba à côté d'elle.
« Je le savais ! Voleuse ! Traitresse !
- Seigneur, c'est pas ce que vous croyez !
- Sale gamine ! Faut jamais faire confiance aux gens comme toi ! »
Il se baissa et la frappa brusquement au visage. Elle gémit de douleur et commença à craindre, dans l'encadrement de la porte, elle vit Opyn qui les regardait timidement. Apupia tendit désespérément la main vers elle, en espérant que son amie vienne à son secours. Mais la jeune fille se contenta de baiser les yeux. La servante avait peur.
« Je vais faire de toi un exemple, les autres verront qu'il ne faut pas voler un Chester !
- Je sais tout, cria Apupia, je sais tout pour la vieille Irna et votre enfant ! »
Arthur s'arrêta horrifié.
« Pardon ?
- Je sais que vous l'avez baisé contre l'arbre hier ! hurla la gamine pour que le manoir entier l'entende. »
Le silence fut total, mais dans les yeux d'Arthur se dessinait une haine sans borne, une parcelle d'Enfer et de folie : il allait la tuer ! Soudain Apupia se releva et se jeta sur le côté, elle sortit en trombe du manoir. Arthur ne mit que quelques secondes pour se mettra à sa poursuite en jetant un cri de prédateur.
Opyn les regarda, et ne sachant que faire, apeurée, elle hurla : « MAMAAAN ! »
Apupia ne savait pas où aller, mais elle courait à perdre haleine, avec la morts aux trousse, et elle s'appelait Arthur. Finalement elle était arrivée devant la falaise et elle avait ralenti. Elle regarda de tous les côté où s'enfuir mais elle n'en eut pas le temps : son maitre débarqua derrière elle, l'attrapa par le cou et la jeta violemment au sol. Elle hurla de douleur. Ses yeux étaient exorbités et rouges, il avait perdu la raison.
« Pitié ! »
Il la frappa brutalement au ventre.
« Tu ne sais RIEN de moi ! TU NE SAIS RIEN ! »
La jeune servante se mit à pleurer de tout son cœur. Derrière, Hope arrivait en courant, elle était suivit de Opyn.
« Arthur ! Ne fais pas ça !
- Elle nous vole et elle ment ! C'est une créature du Diable ! Je vais la détruire ! »
Il s'empara d'un énorme bâton et le leva sur la jeune fille.
« Je t'interdit de faire ça ! Le seul corrompus ici c'est toi ! »
Hope se jeta sur son mari, elle lui prit le bras et se fit balader partout. Il essaya même de la frapper mais elle tint bon ! Jamais elle ne laissera une gamine se faire tuer ainsi, elle était la Dame d'Or, la pureté du ciel !
Soudain ils se sentirent défaillirent au bord de la falaise : Apupia venait de se jetait sur eux et elle les poussait. Arthur perdit l'équilibre, il se prit les pieds dans la robe de sa femme et bascula en arrière. Ses yeux exorbité de terreur s'arrêtèrent dans ceux d'Apupia, il tenta de s'accrocher mais ne fis qu'emporter avec lui Hope. Il tomba en hurlant et disparut dans l'écume brute des vagues.
Le monde s'embla s'arrêter de tourner. Opyn cria le nom de sa mère, mais Apupia n'aurait pas pu le jurer : elle voyait encore ses mains être accrochés au bord de la falaise. La jeune servant s'approcha et regarde la Dame d'Or.
« Pitié, murmura-t-elle, aide moi... »
Mais Apupia avait peur, elle venait de tuer son maitre, ils la châtieraient ! Elle serait punie aux yeux de Dieu ! Alors c'était soit elle, soit Hope. Et elle écrasa les mains de la Dame d'Or.
Elle ne cria pas, elles se regardèrent juste droit dans les yeux. Jusqu'à ce qu'Hope s'écrase à son tour dans la mer. Et elle ne ressurgit plus jamais.
Opyn avait hurlé, puis elle s'était évanouit sur le sol. Apupia s'était retournée vers elle, elle l'avait regardé. Devait-elle la tuer aussi ? Mais elle n'y arriva pas.
Quelques jours après, Opyn se réveilla. Apupia était à son chevet, elle la regardait les yeux vides.
« Ou est maman ? » Elle semblait avoir tout oublié. Le choc lui avait tout fait oublier.
« Elle est parti, ils sont tous parti, Madame. C'est à vous de veiller sur les Chester. Et vous allez avoir du travail, croyez moi.
- Apupia ?
- Dormez Madame, dormez. Demain commence votre règne. »
Apupia sorti de la chambre. Elle descendit et vit que tous les domestiques faisaient les bagages pour partir. Désirée lui dit qu'elle devait rester. Elle semblait tellement triste cette femme qui vieillissait. Apupia aurait pu jurer voir sur ses bras des sortes de griffures, mais elle ne dit rien. Uva tenait dans ses bras Andréa et Ellie qui pleuraient. Laure, encore trop petite, jouait indifféremment à la scène. Personne ne savait : pour eux, la falaise était tombée. On referma les portes du manoir de Chester au monde entier.
La jeune noire regarda, par-dessus le canapé, l'immense tableau qui avait été fait, il y a peu. La famille avait disparu, il ne restait que les deux êtres morts à ce jour, qui ne souriaient plus. Il était vide de vie.

Bien plus loin, dans une petite maison, Irna scandait en pleurant des paroles que personne ne comprenait. Elle était autour d'un feu. Elle saigna sa main à l'aide d'un couteau et fit tomber son sang dans les flammes ; elles poussèrent et semblèrent s'animer d'une force mystique.
« Qu'ils soient maudits, qu'ils soient maudit ces Chester ! »

Colère, luxure, paresse, envie, vanité, gourmandise, avarice...

*** 

Un chapitre bonus pour vous remercier de vos 4 000 vues sur cette histoire ! ♥ Qui sait, je pourrais peut-être faire une suite avec cette fameuse Abelle, parce qu'après tout c'est une Chester elle aussi, la malédiction marche aussi avec elle ? Non ? ;) 

En tout cas merci à toutes celles qui m'ont suivis, pour n'en citer que quelques unes : 
Liz_1004 oce-1812 HelplessNLeftForDead ColorfulSalamander Melissa806 Merci ♥


Les sept Péchés CapitauxWhere stories live. Discover now