3. Librairie Leann&Gussid

66 10 4
                                    

Rose sur mes talons, je poussai la porte d'une vieille librairie que je connaissais bien. Il s'agissait d'une minuscule enseigne, qui portait le nom de Leann&Gussid. Cachée entre deux magasins de vêtements bien plus imposants, elle recevait peu de visiteurs. Mais ils n'étaient pas seuls responsables du fait qu'elle soit délaissée ; la façade de pierres décatie, la vitrine mal lavée et la porte branlante de Leann&Gussid n'incitaient pas vraiment les passants à entrer. Ceux qui la remarquaient lui lançaient un regard furtif ; elle faisait partie de ces choses sales dont on détournait les yeux afin de ne pas être incommodé.

J'avais toujours pensé que, loin d'être inconscient, l'effet était recherché. La boutique n'était qu'au rez-de-chaussée d'un vieil immeuble grisâtre qui s'élevait jusque cinq étages au-dessus d'elle. Aux yeux de tous, l'ensemble abritait des logements sociaux en mauvais état : cela n'attirait pas vraiment l'attention. Mais en réalité, le bâtiment était désaffecté et cachait des bureaux dans lesquels je n'avais jamais eu le droit de mettre les pieds – excepté celui de ma grand-mère – ainsi que d'autres pièces, qui appartenaient aux Hypnotiseurs de Paris.

— Leann&Gussid n'est qu'une couverture, n'est-ce pas ? demanda Rose, perspicace.

J'acquiesçai.

— Et au-dessus ?

Ses yeux se retroussèrent et ses lèvres se plissèrent en une grimace de dégoût.

— Rassure-toi, l'intérieur n'a rien à voir avec l'extérieur, répondis-je avec un petit rire.

— Ҫa appartient aussi à Leann&Gussid ? demanda-t-elle, incrédule.

— Eh bien, oui, il s'agit de bureaux, dis-je en chuchotant et en me rapprochant d'elle. Je ne connais que celui de ma grand-mère, mais je peux t'assurer qu'il est très confortable.

Je me rapprochai du perron, grimpai les deux marches et poussai la porte. Rose me retint par le bras.

— Tu es sûre que j'ai le droit de rentrer avec toi ?

Je me tournai vers elle.

— Bien-sûr. L'espace boutique est ouvert à tous. Si on ne te laisse pas monter, tu pourras toujours regarder les livres qui sont là. Il y a de super collections !

Je savais que, tout comme moi, Rose aimait la littérature et n'était pas le moins du monde embêtée à l'idée de rester avec des livres. Ceux que l'on trouvait chez Leann&Gussid étaient particulièrement beaux. Ils appartenaient pour la plupart à des époques révolues et étaient recouverts de cuir et de lettres d'or. Les amateurs de livres qui se refusaient à franchir la porte à cause de l'aspect extérieur de la librairie ne savaient pas ce qu'ils rataient.

J'eus à peine le temps de faire quelques pas, Rose derrière moi, qu'une voix chaleureuse retentit.

— Hypolline, ma chérie ! Quel bon vent t'amène ?

Prune Lune sortit du rayon derrière lequel elle était cachée et m'adressa un grand sourire.

— Oh, tu as amené une amie ?

Prune était une vieille dame farfelue que j'appréciais énormément. Elle se promenait souvent pieds nus, ce qui lui conférait un certain style. De même, ses courts cheveux blancs bouclés et désordonnés, ses longues robes originales aux couleurs vives, ainsi que ses nombreux bijoux autour des poignets, du cou, que l'on entendait sonner d'un bureau à l'autre, lui donnaient une allure de bohémienne. Ses yeux pétillants et pleins de malice – bleus un jour, verts le lendemain – ne la rendait que plus surprenante.

— Oui, voici Rose !

— Rose, bien-sûr ! Tu m'en parles souvent ! Sois la bienvenue, ma chérie.

Inquiète à l'idée que sa présence soit importune, cette dernière s'était réfugiée dans mon dos. Les paroles bienveillantes de la vieille dame la rassurèrent.

Les Hypnotiseurs de Paris - Tome 1Where stories live. Discover now