16. La colère des Hypnotiseurs

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Cela faisait désormais une bonne heure que nous attendions le retour des Hypnotiseurs de Paris chez Leann&Gussid. A mes côtés se tenaient toujours Axel et Rose, qui, compte tenu des circonstances, avaient tout à fait leur place ici, mais dont la présence me serait, tôt ou tard, immanquablement reprochée. Ce n'était hélas pas le plus grave. En m'infiltrant dans le repère des Frondaciers et en essayant seule de sauver Papa, j'avais probablement transgressé un bon nombre des règles des Hypnotiseurs de Paris.

En une heure, la colère, l'inquiétude et la peur, qu'avait engendrées le combat dans la BnF, avaient eu le temps de s'estomper. A présent subsistait surtout l'appréhension liée au retour de ceux qui s'étaient mis en danger pour nous porter secours.

Oncle Yves nous avait rejoints presque aussitôt après notre arrivée et s'était immédiatement occupé de Papa. Ils étaient tous deux montés dans son cabinet, un bureau aménagé en salle de soins pour Oncle Yves, et nous ne les avions pas revus. Ainsi, Axel, Rose et moi étions livrés à nous-mêmes depuis un petit moment.

Mais plus le temps avançait, et plus la colère refaisait surface. Les Hypnotiseurs pouvaient bien me reprocher d'avoir mené à terme une entreprise risquée et mal préparée, ils n'avaient quant à eux pas levé le petit doigt lorsqu'il s'était agi de sauver la vie d'un de leurs membres retenu prisonnier. Après presque trois ans, je pouvais m'estimer chanceuse que Papa soit en vie.

Quand la porte de la librairie s'ouvrit – nous étions dans l'arrière-boutique – je me levai et approchai mon nez de la vitre. Grand-Mère entra la première, la mine défaite et l'air exténué. Elle fut suivie par Juliette, dont le visage était impassible, comme souvent, mais dont le chignon de danseuse n'avait pas survécu. Je la voyais rarement si négligée. Pour sa défense, elle sortait tout juste d'un combat acharné avec les Frondaciers. Elle soutenait Tristan, qui boitait. Le garçon avait également la lèvre et l'arcade sourcilière fendues, et je pouvais deviner que cette dernière se transformerait dans les jours suivants en un bel œil au beurre noir. Derrière eux, Prune, que je n'avais pas vue plus tôt, était avec un homme plus jeune. Je ne le connaissais pas mais je savais qu'il n'était pas un descendant marqué. Pourquoi l'avaient-ils envoyé se battre ? Lui affichait un air grave, mais n'avait que des égratignures superficielles. Quant à Prune, elle n'avait pas son entrain habituel, mais était probablement celle qui affichait la meilleure mine.

Grand-Mère m'aperçut – il fallait dire que je ne faisais pas d'effort particulier de discrétion – et vint passer une tête dans la porte entrouverte.

— Vous trois, en haut. Réunion d'urgence dans le salon jaune.

Je fronçai les sourcils, voulus lui demander où se trouvait la pièce en question, mais elle était déjà partie. J'étais un peu inquiète. Grand-Mère n'avait jamais été aussi froide.

Je pris une grande goulée d'air et ouvris la porte en grand, laissant passer mes amis en premier. Pour trouver le salon jaune, il ne nous restait plus qu'à suivre le triste convoi que formaient les Hypnotiseurs revenant de la bataille.

Quand nous entrâmes dans la pièce, les regards convergèrent vers nous et nous prîmes place dans un silence de mort. Rose fit malencontreusement racler sa chaise et bafouilla quelques excuses, ayant manifestement l'envie de rentrer sous terre. Ses joues rouges et ses yeux brillants donnaient l'impression qu'elle allait à nouveau fondre en larmes. Pour ma part, je n'osais pas prononcer un mot. J'attendais, tête baissée, que les reproches pleuvent.

Rien ne vint. Les regards étaient toujours tournés vers moi, et, dans ce silence pesant, l'atmosphère devint insoutenable. Prenant sur moi, j'entamai la discussion.

— Je suis désolée.

— C'est tout ce que tu trouves à dire ? lâcha froidement Grand-Mère.

Elle était bel et bien très en colère contre moi.

Les Hypnotiseurs de Paris - Tome 1Where stories live. Discover now