Prologue

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A Alberyc la barnage ;

A Emyle le cuer ;

A Ambroise le coraige ;

A Hugues la cautelle ;

A Aristyde la poesté ;

A Ferdinand la saige.

Il n'y avait personne dans la pièce. Juste une silhouette silencieuse qui se mouvait dans l'obscurité, se frayant un chemin entre des dizaines et des dizaines de romans. Lorsque sa main cessa d'effleurer les livres, elle se retrouva complètement seule dans le noir. Ses yeux n'étaient pas encore habitués à l'obscurité, mais elle savait qu'il ne lui restait qu'à avancer de quelques pas pour trouver la porte et l'interrupteur qui était à côté.

Lorsqu'une vieille latte de parquet émit un craquement sinistre sous son pied, elle sursauta et son cœur rata un battement. Elle avança les bras devant elle et brassa de l'air. Rien. Mais où était cette maudite porte ? Elle tenta de se rassurer : ce n'était pas la première fois que son collègue l'oubliait et partait en éteignant la lumière derrière lui. Seulement, elle préférait quand c'était la pleine lune et que les pâles rayons de l'astre blanc pénétraient la pièce à travers la fenêtre.

Elle avança à nouveau de quelques pas et dut se rendre à l'évidence : elle n'allait pas dans la bonne direction. La porte aurait dû être là depuis longtemps. Elle se sentit confuse. Que faire ? Demi-tour, songea-t-elle aussitôt. Elle avait laissé son sac dans une des rangées de livres et si elle parvenait à le retrouver, elle pourrait utiliser la lampe torche de son téléphone. Tandis qu'elle s'exécutait, elle sentit un courant d'air froid parcourir la pièce et frissonna. Elle ne se souvenait pas avoir laissé la fenêtre ouverte.

Elle avança encore de quelques pas.

Lorsqu'elle entendit un bruit sourd derrière elle, qui était vraisemblablement dû à la chute d'un livre, elle se retourna d'un mouvement brusque. Elle ne vit rien. Noir complet. Elle essaya de ralentir sa respiration qui s'était emballée et sentit que ses yeux s'habituaient enfin à l'obscurité. C'est là qu'elle les vit.
Deux hommes à quelques mètres d'elle.

- Vous l'avez trouvée ? demanda un troisième dont la voix était plus lointaine.

- Elle est juste devant nous... se félicita l'un des deux premiers hommes.

Ces mots glacèrent son sang. Elle tâta nerveusement la poche arrière de son jean avant de se rappeler que son téléphone était dans son sac. Elle releva les yeux vers les deux prédateurs qui s'étaient rapprochés d'elle et se figea. Un troisième les avait rejoints en silence. Un troisième... qu'elle connaissait. Venait-il la sauver ? Elle ancra ses yeux dans les siens et esquissa un pas vers lui. Les mâchoires serrées, les sourcils froncés, le corps tendu, il ne fit aucun geste vers elle. Elle posa à nouveau les yeux sur les deux autres visages féroces qui la scrutaient, et, son instinct de survie revenant, elle tourna les talons et courut dans la direction opposée.

- A toi, Al, ordonna une voix rocailleuse.

Elle n'eut pas le temps d'aller bien loin qu'elle fut plaquée contre un torse robuste et retenue par des bras puissants. Elle s'arrêta et murmura, nerveuse :

- A quoi tu joues, Al ? Que se passe-t-il ? Ce sont tes amis ?

Il ne répondit pas mais elle l'entendit déglutir péniblement. Elle se dégagea de l'emprise de ses bras et se retourna pour lui faire face. Elle posa ses mains sur son visage et le regarda dans les yeux. Son regard était dur et froid. Elle ne le reconnaissait pas.

- Je t'en supplie, ressaisis-toi, implora-t-elle.

Il planta son regard dans le sien et elle se sentit défaillir. Son corps devint mou, ses jambes la lâchèrent et elle bascula en arrière. Mais elle était encore consciente. Elle voulut l'interroger mais ses lèvres ne lui répondirent pas. Elle était emprisonnée dans son propre corps.

- Je suis désolé, souffla-t-il.

Soudain, elle comprit. Elle comprit ce qui était en train de se passer.

Des images défilèrent sous ses yeux. Des moments de joie. Des éclats de rires. Des regards fous d'amour.

Comment avait-elle pu être aussi aveugle et passer tant de temps à ses côtés avec ce qu'il préméditait ? Elle prit conscience que malgré tout ce qu'ils avaient vécu ensemble, il l'avait trahie. Son cœur vola en éclat.

Si jamais elle avait encore une chance de s'en sortir vivante, elle ne le lui pardonnerait jamais. Il l'avait attaquée par derrière, elle, à qui il disait « je t'aime ». C'était méprisable. Celui qu'elle avait tant aimé, elle le haïssait désormais. Plus jamais elle ne le laisserait la toucher ou l'approcher. Il avait trahi sa confiance, et il l'avait anéantie.

- Al, tu es en train de perdre le contrôle, avertit l'un des trois hommes. Si tu ne te ressaisis pas rapidement, elle va nous échapper.

- Je... je sais, bredouilla-t-il, soudain troublé par le regard percutant que lui adressait sa victime.

Les yeux de la jeune femme exprimaient une douleur sourde mais aussi une colère intense et un dégoût sans limite. Elle le détestait. Mais qu'était-il en train de faire ? En obéissant à des ordres qu'il avait pourtant longtemps ignorés, il ruinait sa vie personnelle et brisait à jamais l'estime qu'il avait pour lui. Il le savait, il serait terrassé par la culpabilité après ce qu'il s'apprêtait à faire. Mais il sauverait sa famille du danger que pouvait représenter des Frondaciers contrariés.

- Al, grogna le deuxième d'un ton menaçant. Elle va reprendre le dessus.

Non, elle n'allait pas lui échapper, et non, elle n'allait pas reprendre le dessus. Il le voyait dans son regard.

Elle savait qu'elle allait mourir et elle ne cherchait même plus à résister. Tout simplement parce qu'il l'avait détruite et qu'elle n'avait plus aucune raison de vivre après cette trahison.

Les Hypnotiseurs de Paris - Tome 1Where stories live. Discover now