18. Pierre

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Je viens de relire ton courrier et je me rends compte que jusqu'ici, j'ai été un peu hors sujet.

Pour ce qui est des activités, c'était assez varié tout en restant répétitif. J'aimais assez ça, même si à la fin, c'était lassant. On était en forêt mais on ne faisait pas que du bucheronnage, comme je l'imaginais au départ. On travaillait le bois et ça comblait ma fibre charpentière. Ce n'était pas des travaux très compliqués, mais avoir appris à construire une petite cabane à partir de planches, c'est assez valorisant. Et comme j'avais une habilitation pour la tronçonneuse, j'étais dispensé des petites tâches pénibles connexes. Ce que j'appréciais aussi, c'est l'autonomie dont on disposait. J'ai l'impression que la plupart du temps, nous étions sans surveillance des rangers. Et étonnement, le boulot était fait. En fait, ça ne t'étonnera pas, car au Canada, il y a une vraie confiance envers les employés, mais pour un Français, c'est inimaginable. Vous avez encore des trucs à nous apprendre.

A part ça, l'ambiance était tranquille et on avait assez de moments de repos. Soit on était hyper efficace, soit le programme prévu était léger. Ceci dit, la paie n'était pas non plus mirobolante. Ceci explique peut-être cela. Mais comme mon objectif, c'était de valider un stage, je n'ai pas fait la fine bouche sur la paie.

Que t'écrire de plus ?

On passait toutes nos soirées à discuter ou jouer et le groupe était assez sympa, même si les collègues n'étaient pas très passionnés de nature. On avait aussi la musique en forêt ! C'était agréable de travailler en musique. On captait aussi la radio. Radio Canada évidemment. D'ailleurs, c'est à la radio que j'ai suivi le quart de finale de la coupe du monde contre l'Italie. Un suspens de malade ces tirs aux buts. Olivia, elle, ne voulait pas écouter. J'étais trop content quand j'ai su que la France pouvait aller en finale. Je ne pensais qu'à ça : la finale. Il fallait que je trouve un moyen pour la voir à la télé. Manu aussi, il était à fond. Fred s'en foutait un peu, mais bon, elle m'avait dit que si on allait en ville, elle viendrait avec moi. Au final, tout le monde voulait venir, sauf Olivia, normal. Maintenant, on était trop nombreux. Alors j'ai trouvé un moyen pour qu'on s'y rende tous : la sécurité. C'est Benji qui me l'avait fait remarqué un peu plus tôt et comme au Canada, on ne rigole pas avec les normes et les règles, j'avais prévu d'appeler les rangers pour leur parler de notre véhicule qui était trop petit pour évacuer tout le monde en cas d'incendie de forêt et que ce serait vraiment plus sérieux si on avait un véhicule adapté rapidement. En fait, je n'ai pas eu besoin de raconter des salades, Bob, comme c'était un mec hyper tranquille, il m'a trouvé le véhicule à ma place.

La finale, c'était bizarre, c'était en plein après-midi. Ca sentait la friture dans le snack, mais ce n'était pas du tout l'ambiance habituelle des matchs de foot ou de rugby avec les merguez et les hot-dogs. Mais bon, avec Manu, Fred et Jo, on était à fond. Fallait voir Fred qui chantait comme une folle, on criait, on gueulait même. Les quelques types affalés au comptoir nous prenaient pour des demeurés. Le patron, lui, il était bien sympa. Normal, on enquillait les pintes comme du petit lait. Il faisait chaud en plus.

Quand on a gagné, c'était la liesse digne des Champs Elysées. On s'embrassait tous dans ce bistrot, même ceux qui étaient juste là pour manger leur burger ! Il y avait pas mal de gens qui étaient venus au fur et à mesure, je pense qu'on faisait l'attraction. Le barman il leur criait : ils sont français, ils sont français. On avait certes de la peinture bleue sur les joues, mais on était plus sûrement gris ! On chantait la Marseillaise, on chantait n'importe quoi. On portait des toasts à tout, même à l'Italie avec Olivia, c'est pour dire ! J'ai fait une putain d'accolade à Bob pour le remercier de ce moment. Je me souviens j'ai eu une grosse pensée pour Tiago, mon coloc brésilien. Il m'avait gavé tout le mois de juin avec sa selecão, qu'ils allaient montrer à l'Europe et à la France comment on jouait au ballon. Il a dû avoir mal à digérer le 3-0. Surtout le 0 je crois. Moi c'est les bières que j'ai eues du mal à digérer. Après je ne me souviens plus de tout. Parait qu'on chantait dans la rivière. Possible, je n'avais plus de voix le lendemain !

Puisqu'il faut que je te parle du groupe, je pense que c'est vraiment là qu'il s'est formé. Avant on se connaissait, on avait eu l'occasion de tchatcher, mais là, ça a été une bonne journée. C'est là que j'ai découvert que Fred et Jo n'avaient pas de limites, un peu comme mes copains du rugby à Toulouse. Et ça m'a plu.

Après, il y a eu d'autres soirées mémorables, tu étais présente aux principales, mais je ne vais pas tout te lister. Je décerne juste une mention particulière pour la fiesta de l'anniversaire de Benji parce que c'est à ce moment là que j'ai osé t'embrasser. Tu te souviens, on était sur le gros rocher à côté du ponton. Tu étais si belle sous Orion.


Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant