- Hey lâ, nou'Zaôtres y'ont faite les présaintations, ça fait que j'm'en vâ vous expliquer la job, commença le ranger barbu (Bob, je crois) alors que nous dégustions des sardines en boîte accompagnées de haricots préparés avec amour et améliorés avec les citrons, les herbes et les oignons qui me restaient (ouf, la réputation de la France en matière culinaire n'en pâtirait pas à cause de moi). Y'a-tu quelqu'un qui peut traduire en anglais ?
- OK, dit Benjamin.
Pendant que le beau gosse traduisait pour les anglophones et s'assurait que tout le monde avait compris, Bob déplia une carte sur la table que nous avions sortie dehors. Avec le banc branlant qu'on avait trouvé adossé à la cabane, il y avait tout juste de quoi s'asseoir. C'était une carte du commerce, du type top 25 avec les forêts en vert, les lacs en bleu et les sentiers en pointillé, mais dessus, il avait tracé au feutre de couleur des points, des triangles et des lignes. Ca ressemblait presque à une toile de Kandinsky.
- Icitte, reprit-il en montrant la cabane, c'est l'camp avec le lac en forme de fève. Pis lâ c'est la piste par laquelle on s'est envenu tantôt avec le char. De c'bord lâ, c'est Rivière-Blanche. Pis lâ, en noir lâ, c'est l'chemin de Tamuning, celui qu'tâ pris Fred. Pis c'est-tu vrai que ça a pas de maudit bon sang ?
Je comprenais déjà plus rien du tout à ce qu'il disait l'ami bûcheron. J'avais l'impression qu'il parlait en anglais, mais certains mots étaient quand même en français. « Maudit Québécois », j'aurais dit plus tard, mais je n'en étais pas encore à ce niveau de langue. Alors, vu que j'avais zappé la conversation, j'essayais de me remémorer les prénoms, mais déjà je butais sur la chinoise assise en face de moi. Pour me concentrer, je me suis permise un petit coup d'œil sur Benjamin, l'Apollon blond qui traduisait (lui j'avais bien retenu son prénom).
Sauf qu'au même moment, Benjamin se mit à me regarder.
Pour ne pas faire la grosse lourde, j'ai tourné la tête, et là j'ai vu qu'en fait tout le monde me regardait.
- Y'est-tu pas si pire, insistait Bob ?
Comme personne ne prenait la parole et que le blanc s'éternisait (genre un ange passe) et que tout le monde continuait à me mater (mais commençait maintenant à me prendre pour une débile), je me suis dit que ça devait être une question pour moi. J'étais en train de m'imaginer ce qui, de oui ou de non, lui ferait le plus plaisir comme réponse au bûcheron car je n'avais pas la moindre idée de la question, quand Pierre (le français avec les cheveux en bataille) est venu à ma rescousse, pas du tout discrètement, en me lançant, exaspéré, un « eh bé, il était comment ton sentier ? Nickel ou pourri ? »
- Ah, ben oui, d'accord, euh, non, euh, enfin, pas mal pourri, c'est pas le top, va falloir le remettre en état, genre débroussailler partout, parce que j'ai les jambes abîmées avec les ronces et ....
- C'est correk, m'a coupé le bûcheron à barbe. Pis lâ, l'triaingles rouges, c'est l'camp qui va falloir que vous fassiez.
Cette fois, Pierre a pris les devant et m'a traduit en Français. De France. Vu que c'était spécialement pour moi (et sûrement aussi pour l'autre français dont je ne retrouvais pas le nom), je ne pouvais plus en profiter pour mater le beau Benjamin, qui d'ailleurs continuait impassible sa traduction pour les anglophones. Dommage.
En gros, après les traductions et la cacophonie qui prenait pas mal de temps, ça donnait, en français de France, un truc du genre :
- Votre travail consistera à créer une aire d'accostage pour les canoës, défricher un coin pour les tentes en abattant quelques arbres, réaliser un foyer sécurisé pour le barbecue, creuser la fosse pour les toilettes et y fabriquer une cabane, et ...
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Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)
Romance« A force de muscles et de sueur, nous retapions la cabane. Ou plutôt à force de sueur, de douleurs et de cris stridents suivis d'un juron lorsque l'un d'entre nous finissait avec le marteau sur le doigt plutôt que sur le clou. Le métier était en...