Chapitre 22

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Depuis l'altercation, je sais à quoi m'en tenir avec l'oncle Loran, je dois redoubler de vigilance avec cette espèce de sale balance. Même si j'ai eu ma victoire sur lui, je ne peux rien entreprendre dans l'immédiat. En attendant une solution pour revendre la voiture, je continue mon business loin de lui prêt à me venger comme il se doit. Je désire du plus profond de moi qu'il ne soit plus que l'ombre de lui-même, qu'il assiste impuissant à sa déchéance, qu'il reconnaisse que j'ai réussi, qu'il me supplie à genoux de l'aider, qu'il ne soit plus rien au point de se foutre en l'air... Je le hais !

L'ambiance au terrain n'est plus la même depuis cette dispute. Le camp se divise en deux parties : d'un côté, ceux qui sont attirés par le gain de l'argent et qui me soutiennent ; d'un autre côté, ceux qui ne veulent prendre aucun risque, qui demeurent méfiants et donc fidèles à Loran. Ces derniers gardent en mémoire que les affaires soi-disant florissantes de mon père l'ont mené à sa perte. Ils sont encore marqués par cette tragédie. Le chef tenace se retrouve ainsi isolé avec ses enfants et la vieille génération. Les plus jeunes cousins ont pris parti pour moi et aimeraient bien que je les implique dans mes petits larcins que j'exerce en duo avec Tito. Pour le moment, je reste réservé, je n'ai confiance qu'en mes frères et Yankee.

— T'es sûr qu'on peut pas la garder ? demande Tito avec insistance.

Je lui ai filé les clefs de la BMW. Il est tellement fier de tenir le volant qu'avec sa casquette et son jogging, il ressemble aux rappeurs de la télévision qui font les cakes dans les clips du Top 50. L'adolescent gringalet qu'il était a disparu pour laisser place à un homme immense aux larges épaules. Tous les travaux manuels qu'il pratique ont forgé son corps, comme celui de Paco. En le détaillant, je réalise que je n'ai pas vu défiler les dernières années, que je suis passé de l'enfance à l'âge adulte en un rien de temps.

À ma grande surprise, Tito, qui d'habitude pilote sa voiture de manière animée et rapide, reste très prudent. Sa façon de conduire me rend même nerveux, j'aimerais bien aller plus vite pour arriver à destination.

— Tu peux accélérer un peu ! dis-je en jetant un coup d'œil vers Diabla qui dort sur la banquette arrière, protégée par une couverture.

— J'voudrais pas la casser ! commente Tito en caressant le tableau de bord. Ça représente un sacré paquet de sous...

Je soupire et m'allume une cigarette pour prendre mon mal en patience. Nous avons rendez-vous à minuit avec Karlo et Stazek. Ces derniers n'ont pas mis longtemps à revenir vers moi avec une solution. Pas besoin de s'occuper de démonter la BMW, ils connaissent un garagiste prêt à nous acheter la voiture en l'état. Je suis un peu méfiant, mais mes deux amis se portent garants de l'homme d'affaires. Je ne peux que leur faire confiance, ils ne m'ont jamais déçu.

En abandonnant la rocade bordelaise, Tito redouble de prudence. La visière de sa casquette masque son regard noir et ses longs doigts tiennent le volant avec fermeté tandis qu'il se penche en avant pour vérifier que la voie est libre. De mon côté, je ne quitte pas des yeux le rétroviseur, stressé d'être suivi. Chaque phare que nous croisons m'angoisse, l'obscurité de cette nuit m'oppresse, j'ai hâte d'en finir.

— Heureusement que c'est pas en plein centre-ville... lâche Tito en cherchant sa route.

— Non, regarde l'enseigne, c'est juste là !

Je lui indique de tourner à droite, puis nous nous engageons dans une zone d'activités où clignote devant nous la marque du garage en question. Un important écriteau, éclairé par des projeteurs, affiche le nom d'Hubert, sur la tôle blanche et jaune de l'édifice, protégé par une haute clôture. Il n'y pas un chat dans la rue lorsque nous passons l'énorme portail ouvert. Au milieu des nombreuses voitures sur le parking qui borde le bâtiment, nous reconnaissons aussitôt Stazek et Karlo. Ces derniers nous attendent avec un homme en costume, plutôt grand et bien portant. Je déduis qu'il s'agit du propriétaire des lieux quand il pousse une importante porte de garage. Diabla lève la tête et m'interroge tandis que je lui fais signe de se recoucher. Nous nous engouffrons dedans avant de descendre de la voiture.

SCAR - Pour le plus grand malWhere stories live. Discover now