Prologue

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« Pourquoi n’est-elle pas encore ici ? Ellie descend vite où je passe tes chiens au feu ! »
La jeune femme descendait nonchalamment les marches jusqu’à la salle à manger, et jetait un regard partagé entre le dédain et l’insouciance à sa grande-sœur. 
« Hélas chère sœur, je n’aurais même pas à lever le petit doigt que Kell, Cran et Anie te sauteraient à la gorge. Certains ici les en remercieraient surement »  insinua Ellie en marquant la phrase de son rire jaune. Tous ceux à table rire ensuite de cette blague douteuse et Opyn eut envie de châtier ces irrespectueux ; néanmoins, elle avait quelque chose à annoncer lors du diner et ne souhaitait pas remettre cela à plus tard. Opyn conservait donc sa colère mais sentait bien son visage rougir et ses mains se contracter ; cette retenue face à un comportement aussi puéril n’échappa pas à Apupia, la domestique du manoir qui apportait à toutes un poulet rôti. 
« Bien, déclara Opyn, comme vous le savez toutes, cela fera bientôt dix ans que feu Père et Mère nous ont quitté et que le Domaine de Chester est plongé dans un exubérant sommeil. J’y ai réfléchi, et comme en tant que leur descendante je dois suivre leur vœux, j’ai organisé un bal ici-même et dans sept jours à partir de demain. J’aurais, bien évidement  quelques choses à arranger avant l’arrivée des invités, et je m’en occuperais… personnellement. C’est sans vous dire que votre présence est obligatoire à cette soirée, sans cela vous serez chassée de ce Domaine. 
- Mais qui amènerez-vous ici ? Qui accepterait de se rendre dans ce manoir « redouté » ? demanda surprise la grosse Uva en mâchant goulument ses ailes cuites. 
- Tous. Tous les gens du petit village de Dale que nous méprisons depuis toutes ces années. Nos parents ne nous avaient pas appris étant plus jeune à respecter son prochain ? Comment avons-nous pu finir comme cela en si peu de temps, comme une famille de vampires solitaires ? 
- Ce n’est certainement pas grâce à vous et à vos crises de colère que nous pouvons attirer tous les plus grands hommes du royaume ici ! Votre manque de charme est très remarqué chère sœur, ainsi la haute société ne nous tient pas justement en haute estime et principalement à cause de vous, répondit Laure, la plus jeune des sœurs et aussi la plus belle. Dois-je vous rappeler que j’ai hérité d’une plus grande somme que vous, c’est très certainement pour une bonne raison…
- Il suffit insolente ! Votre jeune âge est la seule raison de cet avantage mais vous nous devez respect et obéissance, vous toutes me devez cela. N’oubliez pas que je suis seule héritière et que je pourrais à jamais détruire votre future vie. »
Plus en rage que jamais, Opyn quitta la table la tête haute, sans manquer de renverser son verre de vin à côté de sa tante Désirée qui n’avait rien dit de tout le repas. 
« Hélas Mesdames, Opyn n’a pas tort, ce bal doit avoir lieu selon son désir, interpela Andréa la troisième des sœurs. Terminez toutes de manger et partons nous coucher le plus vite possible, cela empêchera d’autres éclats de voix. » 
A la grande table de bois d’ébène, près de la cheminée qui crépitait doucement, tout le monde restait silencieux et dinait, plongés dans leurs pensées.  Apupia, la servante noire vint débarrasser la place vacante de l’ainée des sœurs qui était partie sans finir son assiette. Elle enjamba au passage Isatis, la vipère verte de la tante Désirée ; celle-ci monta lentement sur la jambe de sa maitresse pour venir s’enrouler autour de ses épaules vieillies par ses cinquante ans. A côté d’elle, Thomas, le grand et fin mari blond d’Uva, restait silencieux comme toujours. La grosse femme avalait ses grappes de raisin violettes sous le regard presque dégouté d’Andréa, face à elle, qui ne manquait pas de trouver sa cousine grossière. Elle lui faisait par ailleurs souvent le reproche de ne pas prendre soin de son image et lui conseillait de prendre exemple sur elle. Ellie donnait des cuisses de poulet à ses trois jeunes dobermans et paraissait au fond du fauteuil. Seule Laure brisa ensuite le silence, elle appela Apupia et lui demanda sans la regarder ni la considérer de lui apporter un meilleur vin et un coussin de soie brodée pour que la chaise fut plus confortable. 
Opyn avait remonté les escaliers et traversait un corridor sombre et remplit de vases aux roses presque fanées. Elle fulminait contre ces idiotes et marmonnait son désir d’en gifler quelques-unes ; quoi qu’il en soit, ce bal allait avoir lieu et d’autant plus qu’elle allait tenter de libérer sa famille qui depuis dix ans se repliait d’elle-même. La jeune femme passa alors dans le salon et s’arrêta, elle posa la main sur le grand canapé de cuir sombre et poussiéreux et contempla le grand tableau au-dessus de la cheminée. Il était immense et large bien qu’il ne représenta que le manoir de Chester et ses jardins, dans leurs splendeurs d’antan, et le portait plein-pied de ses parents, au centre du tableau : le bras de son père enlaçait la taille de sa mère et tous deux souriaient comme s’ils vivaient des jours heureux. Peut-être ce tableau n’aurait-il jamais été réalisé s’ils avaient su leur sort, si au moins l’un d’entre eux avait su que la falaise cèderait ce jour-là. 
« Oh, mes chers parents… » 
Opyn se reprit, détacha son regard de cette joie solitaire dans le domaine et rentra dans sa chambre. Elle se planta devant sa grande fenêtre, la plus haute de tout le manoir ; elle surplombait ainsi la colline, pouvait apercevoir un morceau du village de Dale et admirer ses jardins, qui bien que toujours parfaitement taillés semblaient dépérir et se décolorer. Le ciel était terne, le paysage était terne, sa chambre l’était, et sa vie avec, depuis dix ans qu’elle vivait dans l’ignorance. Depuis dix ans que chacune de ces sept  femmes révélaient leur travers et continuaient à vivre avec ces défauts, ces péchés. 

Les sept Péchés CapitauxWhere stories live. Discover now