Vomi d'enfant.

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4 mars.

Me revoilà à Paris.Me revoilà dans ma vie de chair épaisse,de longs cheveux noirs,de grosse peau blanche et d'ossature lourde.J'ai retrouvé les domestiques,rangés les uns à côté des autres à notre arrivée devant la porte de la maison,tout sourire,à l'idée de nous montrer comment,pendant notre absence,ils avaient bien pris soin de la maison.Seules ma mère et moi avions pris la peine de les remercier,les autres étant bien trop égoïstes pour le faire.

Dehors,il neigeait abondamment.Le ciel était comme une couverture grise.Le jardin était absolument magnifique,et  rien qu'en le regardant je l'imaginais perdu dans la lointaine plaine de l'est.Ou même de l'oise.N'importe quel trou paumé aurait fait l'affaire.

-S'il vous plaît,je disais alors que je faisais face à l'une des fenêtres qui longeaient le couloir,laissez moi sauter en bas.

-Tellement dramatique,se moqua Aïsha en me bousculant exprès,en me regardant.Rappelle-moi qui va à New York?

Elle avait raison.Mais cela ne me suffisait plus.

-Je vois quelque chose de noir...ajouta ma mère,qui passait à son tour près de moi.

-Mes cheveux?

-Non ton âme.

Elle avait dit ça sur le ton de la blague,mais on savait que ce n'était pas pour rire.Elle voyait que j'avais un problème sérieux.Sinon,j'aurais envoyé un doigt d'honneur dans les airs.

-On peut en parler?

-Bien sûr que nous pouvons,dit ma mère en voyant trois hommes d'affaire entrer chez nous,et comme c'est une conversation d'hommes,toutes les femmes vont en haut.De plus,la bonne a laissé les sacs sur ton lit pour que tu les défasses.

-Merci.

Je ris quasiment de la manière dont nous nous comportons comme deux amies alors que mon père ne veut pas que ça se passe de cette façon.Avec Aïsha,la relation est très formelle.Avec Sasha,c'est une relation mère-fille beaucoup trop fusionelle.Avec moi,c'est une naufragée sur sa bouée.

Notre marche vers les chambres se fait silencieuse.A la seule différence que l'éternelle petit fredonnement de ma mère,et les bruits de bottes des hommes en bas.Puis la bonne,qui avait une très longue liste de course,arriva en bas avec plusieurs sacs à main.

Nous arrivons dans ma chambre,toujours étouffée par la neige dehors,qui asphyxiait la ville totalement.Je me place derrière ma mère,instinctivement,pour parler.

-Qu'est-ce que tu as?

-Je suis un peu nerveuse pour la rentrée dans huit jours.

-Un peu?Ma pauvre,tu as l'air de vouloir vomir.

-Si l'eau n'était pas si froide,j'aurais aimé aller me baigner.

-Avec toute cette eau?Le froid te pétrifierai en moins de vingt minutes et c'est une russe qui parle!

-Peut-être en été,lui rappelai-je,et elle hoche la tête joyeusement.

-Nous pourrions installer une baignoire à remous à la maison.

-Tu en es sûre?j'ai demandé avec un air provocateur de type intéressé,commençant à essayer de lui faire un câlin.

-Je ne sais pas,fit-elle en soufflant.Elle sentait le bois précieux,le raffinement,les épices.Cela aurait sans doute été amusant.

-Ce n'est aucunement probable.

Dans la chambre,il fait chaud comme pas possible.Il y avait la beauté de ma mère,ses longs cheveux noirs déployés sur ses épaules,sa peau est brûlante.

Quelques minutes plus tard,elle descend,et je m'écroule sur mon lit.

J'entends la surface de bois grincer,puis j'abdique.

8 mars

La maison sent le vomi.Le vomi d'enfant terrorrisée.

-Tu devrais les enlever,me dit ma gouvernante,en voyant que mes culottes minces étaient trempées.

Elle rit d'un rire opréssé,avant de demander vivement au médecin d'inspecter mon intérieur.La honte allait grandissante et je voulais me jeter dans l'eau glacée dont ma mère et moi avions parlé l'autre jour.Je gémis cruellement,d'autant qu'il semble perdre le contrôle de son action.

-J'ai mal...

-Je sais,fit le médecin en se retirant.

Puis,il dit à mon père:

-Je pense,sincèrement,que votre fille s'est rendue folle,et qu'elle souffre de paranoïa.

Mais qu'est ce qui cloche avec moi?Comment osait-il me traiter de folle?Et ce n'est pas mon père qui allait prendre ma défense,bien entendu.

-Ce n'est pas n'importe quelle folle.C'est ma fille.Un peu de respect.

Soudain,j'eus l'impression d'être déjà guérie.

Je ne ressentais plus de douleur ou de nausée.Je me souviens de tout ce que j'ai ressenti à ce moment là.J'entendais littéralement mon père rouler des yeux car il voulait défendre sa fille qui était réduite à l'une des pauses les plus humiliantes.

-Ok,mais vous voulez toujours un diagnostic pour votre fille?

-Je pense sincèrement qu'elle fait une crise de stress.Elle fait faire donc n'importe quoi inconsciemment à son corps.Il existe de très bons moyens de lutter contre cela.Je vais vous prescrire des médicaments,dit-il en souriant,beaucoup plus normal et beaucoup moins terrifiant,mais je n'oublierais jamais tout ce qu'il m'a fait.

-Gerusha,dira mon père quand le médecin fut parti.Il faut qu'on congédie ce médecin.

-Ne fait pas comme si c'était ton idée.Je n'aime pas les usurpateurs.

-Mais ma noiraude...

Mon père appelle parfois ma mère ainsi.Elle est si brune.

Je n'ai pas tout entendu.J'écoutais au porte,avec ma petite soeur que je trouve de plus en plus bien imitée comme copie de moi.

-Va-t-en!se mit-elle à hurler en lançant un oreiller contre le mur.

-Non,je suis désolé,ok,je..

-Tu dégages d'ici!Maintenant!

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant