29 juillet 1914.

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Je ne peux pas tout vous dire.Juste que je suis dans un train direction la Russie et que pendant ce temps,mon père,les cousins en bourgogne,monsieur Leslie,Albert,et pratiquement tous les hommes de plus de 18 ans que j'ai connu dans ma vie,prenaient des trains bien différents.On devait partir un mois plus tard.Mais...Edmée a décidé de précipiter notre départ.

J'écris sur les genoux,sous les valises de ce qui ont décidé de s'enfuir par des chemins improbables,pour l'un des derniers voyages qui sera autorisé.

-T'as quel âge?

-16 ans.Je vous montre.

-Nan ça va on te croit.

-Merci.

La mère,a embrassé une dernière fois son fils avant qu'il ne lâche sa main tendue,laissant l'enseignante en larmes,sous ses cheveux déjà grisonants sous son chapeau fleuri et noir.Il ne partait pas à la guerre,mais en la voyant,se perdre à travers une atmosphère de bruit et de vapeur,mes yeux revêtant un filtre gris.Et,pour la première fois depuis quelques temps déjà,je me suis rappelée que cette femme et l'enseignante qui avait fermé les yeux sur mon mal être n'étaient qu'une seule et même personne.Qui aurait pu dire qu'en deux ans tout cela allait arriver,personne.Et je me sentais coupable de vivre autant de chose quand celui qui me l'avait permis ne vivait plus rien.Et il n'allait pas être le seul,ai-je pensé sur le moment en croyant entendre,d'ici,d'autres déchirantes scènes de séparation.Pendant ce temps,Alizzia di Rispatti fêtait ses 16 ans et la famille se demandait quoi faire de cet anniversaire en ce jour si spécial.

On était à Dijon,et hier encore je prenais le thé sur notre terrasse à Ste Félicité,après une nuit avec Martin qui n'osait plus me toucher.Ma mère était là,ma soeur aussi,même mon père est venu,il y a de la place dans cette résidence secondaire.

-C'est charmant,ça fait très français.

Très français.Surprenant qu'après avoir vécu plus de vingt ans à Paris,mes parents puissent encore trouver quoi que ce soit très frenchy.Sans doute parce que tout le monde était français dans ce village,portaient des noms français et buvaient beaucoup trop de vins,et leur expérience de l'alcool leur ont fait beaucoup apprécier la vodka que mon père avait été bien inspiré de ramener.

-On ne reste que pour cette semaine,on ne voudrait pas abuser plus de votre hospitalité.

-Mais on vous dérange pas du tout j'hallucine,c'est même nous qui vous avons invité,a fait Edmée en riant.

Les cousins d'Edmée étaient déjà en vacances,l'un est venu avec sa fille de trois ans et sa femme,la petite blonde très mignonne que j'avais déjà vu la fois dernière.Et ils avaient des choses à se dire,avec mes parents,des discussions enflammées animant chaque petit-déjeuner avec des croissants et du jus d'orange.On parlait de notre départ pour la Russie,et surtout,on parlait de la guerre.Elle se déclenchait un peu partout en Europe et mon père avait des visions qu'il tenait absolument à faire partager.

-Ils sont au courant?

-Non.Dis leur juste que tu as un pressentiment.Je sais que t'as rien à voir avec moi mais je suis toujours pas sûre qu'ils pourraient tenir le même raisonnement.Tu voudrais leur dire quoi,honnêtement?

-Ils doivent se préparer à faire la guerre c'est tout.Il y a une césure qui va s'opérer entre vous les filles et nous.

-C'est Mara qui a dit ça?

-Non c'est moi qui ait un peu de jugeotte même si tu me prends pour un gros con,comme d'habitude.D'ailleurs tu m'as même pas empêché de partir.

-Parce que tu étais sérieux?

-Je serais probablement mobilisé de toute façon,et si je le suis,alors les cousins de Martin le seront forcément.Ils sont français.

-J'en serais pas aussi sûre que toi.Pour être honnête on est des privilégiés,je suis bien placée pour le savoir.

-Je ne risquerais rien  m'engager si je suis volontaire,je gèlerai l'armée adverse.

-Arrête de jouer au con Ryszard,t,je pense que tu n'as pas très bien compris ce qu'était la violence,tu as eu une enfance trop protégée.

-Justement,faut que j'apprenne.

-Laisse,a fait maman,il a sans doute un problème avec sa virilité.

Je la trouvais dur avec lui.Il était encore resté fou amoureux d'elle,et il avait raison,car elle ressemblait à une peinture biblique et était l'incarnation de la bonté,et je pourrais être traitée d'hypocrite en prononçant cette voix assez fort pour que l'entendent ceux qui n'y connaissent rien.Je me demandais si j'avais quelque chose à perdre,en partant d'ici,et je me demandais si ce n'était pas justement l'occasion que la famille soit unie par un avenir commun.Une famille qui était celle de mon enseignante,et je n'en revenais toujours pas,même si c'est ridicule à dire,de m'être attachée autant à tout son background.Peut-être un désir de s'intégrer à une culture profondément attachée au territoire français.J'avais soudain une folle envie de rester ici,et pas simplement parce que j'étais stressée à l'idée de partir.

-Je pourrais partir dans la nature,avait suggéré Sasha.On est à la campagne je suis sûre qu'il y a pleins de loups.

-Et pleins de chasseurs aussi,c'est pas la peine d'insister,je t'ai dit non.

-En Russie je pourrais pratiquer le mieux mon art de la transformation,a-t-elle alors argumentée.Ce n'était pas ça que tu voulais?

Et puis un beau jour la guerre a été déclarée.Ce n'était pas comme si c'était inattendu.

-La guerre est déclarée en Russie aussi,mais vous serez assez loin des lignes de front,donc ce n'est pas problématique...en gros c'est ce qu'il a dit et ce dont j'essaie de me rappeler.Ils étaient là au moment où ça s'était déroulé.Quand on nous l'a annoncé et qu'on a alors précipité mon départ,et que je me suis retrouvée ici,avec maman et Sasha encore cette fois.



Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant