Chapitre 4

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Deux semaines.
Deux semaines qu'Ink n'avait pas pu venir à ses rendez-vous, que ses parents avaient peur que son psy ne le guérisse (« Mais il ne peut rien faire, tu es le Créateur, tu ne peux pas être guéri ! » ou encore « On ne panique pas, c'est seulement qu'on gâche de l'argent pour rien ! » quand bien même sa thérapie était remboursée par sa sécu' comme pour tous les Créateurs et Destructeurs). Ink lui-même se posait des questions ; Error était familier avec lui. Très familier. Bien plus qu'un psychologue ne devrait l'être, quoi que les circonstances soient spéciales étant donné qu'il n'y avait pas de danger qu'une relation quelle qu'elle soit ne trouble l'efficacité de la thérapie puisqu'il n'y avait ni risque d'une relation de n'importe quel ordre ni réelle thérapie. Donc, peut-être que ce gars était un désespéré amical ou affectif ?
... Hypothèse à bannir. Monsieur Glitch était bien placé pour savoir que rien de tout cela n'était envisageable. Alors quoi ? Son psy avait-il envie de parler à quelqu'un ? Mais dans ce cas, il n'avait qu'à aller voir sa contrôleuse*.
Ink décida de relire son journal aux jeudis précédents et tomba sur un passage qui lui rappela la tête exacte qu'avait fait son psy au moment de prononcer la phrase qui suivait. Il murmura :

– « [...] c'est plutôt moi qui suis étrange pour lui. Il s'est rarement senti aussi détendu avec un patient. »

Il n'y avait pas qu'Ink qui trouvait son psy étrange. C'était probablement parfaitement réciproque.

– ... Ouais...

Ink attrapa sa sacoche où était glissée la lettre que le Destructeur lui avait écrite, son téléphone et ses clef. Il eut un regard pour la fenêtre, à environ sa taille du sol, et se décida à sortir par-là.
Comme ça. Pour le fun. Et aussi parce qu'il n'avait aucun intérêt à croiser sa mère, qui préparait le dîner dans la cuisine. Mais surtout, parce qu'il avait toujours eu le fantasme secret de passer par là.
Tout le monde s'imagine que c'est génial de ne pas ressentir, mais rien que sur le plan sécuritaire, Ink n'avait généralement aucun moyen de savoir si une hauteur était trop élevée ou non ; aussi, il n'avait jamais osé enjamber sa fenêtre.
Aujourd'hui, il se disait qu'il n'y avait probablement aucun risque qu'il ne se fasse du mal à un mètre cinquante de hauteur.
Il avait toujours été excessivement prudent, physiquement. Mentalement, c'était autre chose. Il était un bouclier psychologique vivant et le savait ; plus que cela, même, il en jouait.
Après avoir monté la pente abrupte qui menait au cabinet de son psychologue, il alluma l'écran de son téléphone et se rendit compte qu'il avait dix minutes de retard... Et un appel en absence d'un numéro inconnu.

– Ink ! Je t'ai appelé, tu ne m'as pas répondu.

– J'étais sur la route... C'est en montée, ici.

– Viens, entre.

Ink délaissa la salle d'attente pour le cabinet d'Error et s'assit sur le canapé.

– Alors, demanda celui-ci, qu'est-ce qu'il s'est passé durant ces deux semaines ?

– Mes parents ont peur que vous me guérissiez. Moi aussi.

– Pardon ?

Ink soupira, tenta de remettre ses idées en ordre. S'il avait dû faire une rédaction, elle aurait pris cinq pages.

– Première idée : mes parents paniquent car ils m'ont, toute ma vie durant, élevé comme le futur Créateur et qu'ils se rendent compte que je ne le suis peut-être pas. En effet, ils m'ont interdit de venir par deux fois, invoquant du gaspillage d'argent – alors que la moitié des frais est, dans mon cas, remboursée. Par exemple...

– Est-ce que tu es réellement en train de me faire un paragraphe argumenté ?

– Par exemple, continua Ink, imperturbable, je les ai entendu dire – et je cite – : " Ink est le Créateur, pourquoi sourit-il ?" sur le ton de la peur. Le lendemain, ils m'ont interdit de venir. On peut donc en conclure qu'ils sont effrayés à l'idée d'avoir peut-être gaspillé mon enfance.

ErrInk - TherapistWhere stories live. Discover now