Dazzling Blue

242 28 53
                                    

Il existait deux jeux de clefs qui ouvraient cette porte.

L'un de ces trousseaux était serré dans le creux de la petite main de Belzébuth. Gabriel y avait accroché un ridicule porte-clef pompom noir qui lui rappelait furieusement l'énorme mouche qui venait se percher sur sa tête lorsqu'iel était en Enfer.

Le second trousseau était dans la poche du long manteau gris de Gabriel. Quand il devait prendre quelque chose dans ses poches, les clefs lui brulait les doigts. C'était une métaphore, bien sûr: c'est lui qui brulait de les utiliser. Mais il avait promis.

Belzébuth voulait s'approprier son nouveau territoire seul.

Iel était passé par la librairie tout à l'heure. C'est un point facile et discret pour apparaître sur Terre. Aziraphale avait pris l'habitude de voir sortir le Prince des Enfers de son arrière-cuisine. Gabriel préférait le toit de l'appartement Crowley, puisqu'il était évident qu'il valait mieux éviter les éclairs intempestifs au milieux de documents hautements inflammables...

Aziraphale était déjà prêt à lui faire une tasse de thé.

"Pas le temps. Je dois aller voir mon nouvel appartement. Quand je reviendrais, peut-être."

Et voilà, cela avait duré dix secondes avant que la petite silouhette n'ai quitté la librairie. Aziraphale avait envoyé aussitôt un texto à Crowley, et les préposés à la Terre s'amusaient à jaser sur leurs anciens patrons.

La clef que lui avait donné Gabriel tourna parfaitement. C'était la bonne porte. Un immeuble rénové au cœur Soho, troisième étage (avec accès au toit. Gabriel disait qu'il ne pouvait plus voir le Serpent en peinture et qu'il voulait un accès à lui), unique porte. Ils occupaient aussi le grenier aménagé en vaste salle de loisir.

Belzébuth ne se rendit compte qu'iel avait retenu sa respiration que quand iel la relacha.

C'était... agréable. Déjà, beaucoup plus vaste que ses appartements en bas, mais pas vide comme ceux que lui avait décrit l'Archange. Il y avait des meubles, des canapés, une table et des chaises... par Satan, il y avait même une cuisine.

Et des coussins partout.

De toutes les formes et de toutes les couleurs. Ils avaient quelque chose de chaleureux et d'étrangement inappropriés à la fois.

Iel fit le tour du propriétaire: une salle de bain avec une baignoire sur pieds en plein milieux, et assez de place pour déployer ses ailes autour sans être coincé par les murs. Quelques coussins à nouveau, disposés sur une méridienne. La partie sous le toit, avec une bibliothèque, un home cinéma et une installation hifi dernier cris. Rien n'était branché, à se demander si ce n'était pas Crowley qui l'avait installé. Et toujours ces coussins dispersés sur les fauteuils.

Iel termina par la chambre en songeant aux paroles de Gabriel.

"Si nous partageons un petit pied-à-terre sur... Terre, haha! hum, tu voudras peut-être dormir. Je suppose que tu dors? à chaque fois que je croise le Serpent, il semble toujours se réveiller à peine. Très démon, ça, les siestes... enfin, je ne dis pas que c'est mal, mais c'est typique. Bref, il te faut une chambre."

Elle aussi était confortable et lumineuse. Il y avait un lit aux draps de lin blanc, comme on peu en parer les lits de noces. Cette chambre possédait aussi un assortiment improbable de coussins, presqu'autant que toutes les autres pièces réunies.

Oh, après tout, pourquoi pas? Rassemblant quelques coussins, iel se blottit sur le lit pour une petite sieste. L'odeur de Gabriel imprégnait tout l'appartement, donc iel retroussa le nez mais s'endormis sans peine.

Fait rare, ce fut un sommeil sans rêve. C'était bien, puisque ses rêves étaient souvent des cauchemars.

De retour dans la librairie, Crowley se prélassait quelque part près de la vitrine. Cela expliquait le manque de client cette après-midi: un Serpent de deux mètres cinquante, cela n'incite pas à entrer. C'est pourquoi l'ange sursauta lorsque le Seigneur des mouches fit teinter la cloche. Il était en plein inventaire.

Parlant tout bas pour ne pas réveiller le dit Serpent, Aziraphale demanda avec entrain si ça s'était bien passé. Sans qu'il en comprenne la raison, il s'était attaché au petit démon effrayant, d'autant plus depuis qu'ils avaient discutés du jardin d'Eden. Ils avaient été très nombreux à y travailler, il ne pouvait pas connaitre tout le monde, mais cela faisait plaisir de parler avec quelqu'un qui savait ce que ça voulait dire que de créer des centaines de variantes d'une même espèce.

Belzébuth lui raconta, depuis la proposition de Gabriel de partager un lieu "à eux" jusqu'à la description fidèle de l'appartement. Iel fit un bond en arrière quand l'ange se pencha pour sentir l'odeur de ses cheveux.

"Voys avez raison, l'odeur de Gabriel est très forte. Attendez... qu'avez-vous dit, avec les coussins?
-Des centaines. Jamais vu ça. Il les collectionne, peut-être? Je ne l'imaginais pas s'adonner au confort, tout de même..." Elle bourdonna, en proie à des émotions contradictoires. "Enfin, je ne vais pas m'en plaindre."

Aziraphale avait froncé les sourcils. "Cette odeur et ces coussins... Oh, très chère, comment étaient rembourrés ces coussins?
-Je ne sais pas? Comme tous les coussins?
-Les coussins modernes sont en mousses synthétiques. Tout ces trucs à mémoire de forme que Crowley adore..." Il en savait quelque chose, le démon lui avait fait changer toute la literie. Il l'avait fait de bon cœur, pensant que son cher et tendre quittait enfin son appartement pour emménager à la librairie définitivement. Ce qui n'était pas le cas, à son grand désarroi.

"C'était des coussins de plumes."
Aziraphale ne pu retenir un sourire.
"Doux Jésus. Des coussins de plume. Alors, soit il a dépensé une fortune...
-Ce ne serait pas un problème, nous avons des crédits illimités.
-Soit il a gardé ses mues pendant des centaines d'années et en a bourré des coussins entier. Si je ne me trompe..." et son sourire se fit de plus en plus éclatant, "très chère, vous être très chanceuse. Ce n'est pas tout les jours qu'un Archange vous construit un nid."

Le bruit grossier que fit le Prince démoniaque réveilla Crowley.

"Kssss kessskekoi...
-Oh rien, mon cher, Gabriel a juste nidifié et cela semble très charmant.
-Il a quoi?" et il éclata d'un rire profond et grinçant. C'était un fou rire incontrôlé.

"Crowley!
-Ces anges... quelle bande de piafs! sérieusement, qui fait ça? nidifier?"

Belzébuth regardait alternativement Crowley mourir de rire et Aziraphale se décomposer.

"Il n'y a rien de plus ridicule! Il espère quoi? Que sa Majesté va se coucher sous ses plumes? Les démons sont au dessus de tout ça!"

Maintenant parfaitement agacé, la Majesté en question bourdonna violemment. "Tais-toi. Tu parles de choses auxquelles tu n'entends rien, Serpent de malheur!"

Et iel était terriblement effrayante. Le rire de Crowley cessa peu à peu, comme le malaise s'installait... et qu'il voyait des larmes perler aux yeux de son ange. Il n'eut pas le temps de marcher vers lui que Belzébuth le révoquait en dehors de la librairie.

"Pardon pour tout ça. Je devrais y aller.
-Ce n'est rien, ce n'est pas... de ta faute, Belzébuth."

Iel fouilla ses poches et dénicha un mouchoir. Il était couleur lavande, et ne lui appartenait définitivement pas. Aziraphale le saisit avec reconnaissance.

"Oh... oh, merci très chère. Je suis content que vous compreniez à quel point c'est important. Ne soyez pas trop dure avec Gabriel.
-Je ne suis pas un idiot comme ton démon.
-Ah haha!" mais c'était un rire triste. "Oh, je ne m'en fait pas. Je sais qu'il m'aime, c'est suffisant."

Belzébuth s'apprêtait à redescendre. Juste avant, iel osa poser la question qui brulait son esprit.

"Qu'attends-il de moi, au fait?"

🕊🐝

Je crois que c'est le chapitre que j'ai le plus aimé écrire. Tellement de plume là-dedans!

So Beautiful or So WhatWhere stories live. Discover now