Chapitre 13

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— Papa, s'il te plaît ! implore-t-elle en essuyant ses yeux.

Pierrot l'ignore et lève vers moi une main tremblante. Cependant, il se retient de me frapper quand Diabla aboie de plus belle à chaque geste d'intimidation. Il ne peut que continuer à m'attribuer les pires surnoms qui existent.

— Et toi, le gitous, ne remets jamais les pieds ici ! N'approche plus Agnès, je t'interdis de la revoir ! Crois-moi que si je te vois tourner autour du haras, je n'hésiterai pas sortir le fusil, tu ne me fais pas peur, ni toi, ni ta famille. J'en ai maté des pires que vous à l'armée.

— Papa !

— Agnès, tu la fermes ! Je vais m'occuper de ton cas à la maison. Pour toi, c'est direct la pension.

Pierrot est comme possédé par le mal. Je ne le reconnais plus, jamais il n'avait été aussi dur avec moi. Je pensais qu'il était sévère, mais juste, que même si je n'étais pas son fils, il m'appréciait. Je me retrouve devant lui tel un petit animal sauvage et apeuré, le même que j'étais il y a presque dix ans. Comment me comporter ? Assis sur le lit, je regarde le sol tandis qu'Agnès se recroqueville par terre. On n'a rien fait de mal. On s'aime, ce n'est pas si terrible ?

— Pas ça, papa ! T'as pas le droit de me faire ça, c'est ma vie ! Tu ne peux pas décider à ma place.

— Lève-toi et habille-toi ! ordonne-t-il en saisissant Agnès par le bras pour l'obliger à s'exécuter.

Sur-le-champ, elle enfile son polo, tandis qu'il tourne le dos devant la nudité de sa fille. Je la regarde faire en silence. Pierrot semble soudain un peu plus calme, bien que ses mains tremblent encore. Il finit par dire qu'il nous attend dehors et quitte la palombière.

Je réagis aussitôt, comme sorti de transe, mon premier réflexe est de me rhabiller rapidement. Perdu et sous le coup de l'émotion, je me rends compte qu'Agnès est complètement abattue et cela me fend le cœur. Je la prends dans mes bras, je ne veux pas l'abandonner. Je refuse de me plier, Pierrot n'a aucun droit sur nous.

— Il va se calmer, il parle sous le coup de la colère. Il ne peut pas nous empêcher de nous voir. On va être majeurs dans quelques mois...

— Tu ne sais pas de quoi il est capable ! murmure Agnès d'un air dépité.

Nous n'avons pas le temps de nous réconforter que la grosse voix nous interpelle.

— Ça suffit ! Dehors !

Nous persistons, scotchés l'un à l'autre, perdus. Nous sommes conscients que ce moment est décisif et nous ne voulons en aucun cas nous quitter... Je ne peux pas imaginer que le pire reste à venir, que tous les instants de bonheur avec elle sont terminés, que nous allons être séparés, que nos promesses vont demeurer en suspens.

Je ne peux pas renoncer à Agnès, je prie au plus profond de moi pour que le temps s'arrête tant que nous sommes encore dans la palombière. Je suis terrorisé à l'idée de sortir, je n'ose pas envisager les conséquences et la suite.

Pierrot, hors de lui à cause de l'attente que nous lui faisons subir entre à nouveau et saisit Agnès par le bras en lui ordonnant de me lâcher. Cette dernière se met à pleurer et à supplier de ne pas nous séparer. Elle plante ses ongles dans le biceps musclé de son père pour essayer de se libérer de son emprise.

— Papa, s'il te plaît...

Je tente de la retenir et de la tirer contre moi du mieux que je peux, mais Pierrot est puissant et arrive à nous traîner de force tous les deux vers l'extérieur. Autour de nous, Diabla s'agite dans tous les sens, ne sachant que faire. C'est infernal !

— Ça suffit maintenant ! ordonne-t-il, en levant le poing dans ma direction.

Face à sa menace, je prends peur et comprends que nous n'aurons pas gain de cause de la sorte. Je dois me résoudre à abandonner Agnès à la merci de son père. Les yeux dans les yeux, nos mains se délient alors que mon cœur se brise. Je suis si triste que mes jambes ne me portent plus. Je tombe à genoux tandis que Pierrot enferme Agnès dans le 4x4 garé devant. À travers le pare-brise arrière, je distingue le visage livide de mon amie, mouillé par les larmes qui défilent sur ses joues. Ses deux mains à plat sur la vitre, ses yeux me disent au revoir. Je suis effondré, ruiné, je ne sais plus où j'en suis. J'ai l'impression que ma vie se termine à cet instant où celle que j'aime m'est arrachée. Je suis impuissant et j'en veux au plus haut point à Pierrot de me faire souffrir autant.

Celui-ci attache la longe de Darkness à son véhicule, puis me lance une dernière menace :

— Tu ne t'approches plus d'elle, tu entends ?

Dépassé par les événements, je suis indifférent à ce qu'il me dit. Je ne réalise pas ce qu'il se passe. Je ne comprends plus rien, tout autour de moi est flou. Je ne sens que la douleur de mes entrailles qui se déchirent sous la vision d'Agnès qui s'évapore. Diabla couine, frottant son museau sur ma main pour me réclamer une caresse, mais je ne la vois pas. Ne pouvant me résoudre à accepter cette situation, j'attends sans véritable espoir un possible retour de la voiture. Le bruit du moteur finit par disparaître et je dois me résigner. Mortifié, je me relève et me tourne vers ma moto, puis machinalement, je monte dessus.

Avant de pouvoir démarrer, je repense à toutes ces années passées au haras. Je pleure toutes les larmes de mon corps, persuadé que l'on m'enlève le meilleur de ma vie. Je ne sais par quel moyen je pourrai la revoir. J'en veux à Pierrot de me priver de celle que j'aime le plus au monde. Au moment de partir enfin, je ne songe qu'à une chose : foncer vers mon repaire.

Diabla court derrière la moto, mais je n'en ai que faire. Je file à toute vitesse vers mon refuge, vers le sang de mes ancêtres. Personne n'a le droit de le dénigrer. C'est le sang de la liberté et l'on ne m'en privera jamais.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant