Chapitre 23 : Dormez heureux

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Alessandro adressa de grands yeux étonnés à la petite, qui laissa échapper un cri de frayeur et d'amusement.

- Reviens-là, birbantellà ! (Reviens-là, petite canaille) protesta-t-il, s'approchant d'elle pour la soulever du sol. Il n'était pas bon, le Panettone ? demanda-t-il en dissimulant mal son sourire face aux rires déchaînés de la petite. 

Il la relâcha, s'accroupissant à sa hauteur. Lilou se calma alors à une rapidité presque suspecte, retournant ses malicieux yeux ronds vers lui et lui posant un doigt sur le nez.

- Connaîs pas, répondit-elle avant de se mettre à rire de plus belle, s'exfiltrant de ses bras à une vitesse folle, de peur que l'homme ne l'attrape de nouveau.

Alessandro se redressa, un faux air de trahison affiché sur le visage. 

- Attention, elle tient de plus en plus de toi, fit-il remarquer à Phil, qui n'avait pas quitté l'interaction du regard et qui s'en amusait.

- C'est ce que je n'arrête pas de lui dire ! s'exclama Caroline depuis l'espace cuisine.

En apparence, l'ambiance demeura joyeuse et conviviale pour le reste de la soirée. Pourtant, Philippe ne pouvait s'empêcher de remarquer qu'il y avait quelque chose de différent, dans le regard d'Alex, ce soir-là. Quelque chose de plus accentué encore que les fois précédentes. Cette fois, il ne pouvait plus le mettre de côté, rejeter la faute sur son travail... Quelque chose tracassait de toute évidence son ami. Alessandro tenait Lilou sur ses genoux, et semblait faire plus de cas de ses dessins, de ce que Daphné pouvait lui raconter, que de la conversation qu'ils avaient entre adultes. 

- Laissez un peu tonton Alex, était intervenue Caroline. Dis-leur, si elles t'embêtent.

- Non, au contraire...

La voix d'Alessandro avait semblé rêveuse, presque absente. Un moment, son regard absorbé avait paru triste au couple, au point que Caroline fasse signe à son mari de faire quelque chose. Après le dessert, Phil prétexta de vouloir fumer et il l'invita à le suivre dans le jardin. Alessandro avait accepté avec peu d'entrain, inattentif à ce qui se passait autour de lui, et comme déçu de quitter les petites et leurs jeux enfantins. 

Il s'assirent sur le rebord d'un muret. Alors, Philippe fut surpris de constater qu'Alessandro accepta sans une once d'hésitation la cigarette qu'il lui tendait chaque fois par politesse, mais qu'il n'acceptait que très rarement. C'était le signe, pour lui, qu'il y avait bien quelque chose à creuser derrière son attitude inhabituelle.

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

La phrase avait été surprenante. Elle avait semblé tirer Alessandro de ses pensées pour la première fois. Il réalisa en cet instant qu'il s'était laissé absorber par ses réflexions, et que son visage n'avait pas su les garder secrètes. Etait-il si transparent que cela ? Après la soirée à l'Université, il avait commencé à se poser la question. Si cet homme qui ne le connaissait pas avait pu croire à ses regards qu'il couchait avec Julia, qu'en était-il de ses élèves, de ses collègues, qui les voyaient interagir bien plus souvent ? Il avait passé en revue toutes les fois où il s'était retrouvé en sa présence au lycée, il s'était demandé quels types de regards il lui avait adressés, si l'un d'entre-eux avaient pu le trahir... Il avait revu Anna Berthier s'éloigner du cabinet après qu'il lui ait demandé d'accompagner Julia à l'infirmerie, et il ne voyait à présent dans cette attitude que la preuve qu'elle avait compris. Qu'elle savait. Que, peut-être, ce n'était qu'une question de semaines ou de mois avant qu'elle n'en parle à un ami, qui en parle à un autre... Alessandro connaissait bien le fonctionnement des rumeurs au lycée, l'impact des réseaux sociaux... Il savait qu'une fraction de seconde suffirait à transformer cette fin d'année en cauchemar. Les questions se tordaient et se retournaient constamment dans son esprit, sans réponses, prenant parfois la forme d'affirmations sans preuves. À l'idée angoissante d'interagir de nouveau avec la jeune fille devant le reste de la classe s'ajoutait celle de voir un collègue venir à lui en salle des professeurs pour lui faire part d'une rumeur à son sujet. Au moindre regard de biais, au moindre rire dans les couloirs, il avait la sensation désagréable et irrationnelle d'être démasqué. Les choses semblaient peu à peu échapper à son contrôle, et il détestait cela. Se rendre au lycée n'avait décidément jamais été aussi pénible que les derniers jours. 

Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant