Chapitre 9 : Birds through the night

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On eût dit que toutes les passions avaient agité son cœur, et que toutes l'avaient abandonné ; il ne lui restait rien que le coup d'œil triste et perçant d'un homme consommé dans la connaissance des hommes, et qui voyait d'un regard où tendait chaque chose.

- Les Visions, Friedrich Schiller.


Julia déambulait lentement dans l'allée, des écouteurs dans les oreilles et la capuche de son sweat sur la tête, traînant les pieds, faisant ricocher les gravillons sur son passage. Après avoir marché quelques minutes, elle détacha les yeux de ses baskets pour les lever timidement vers sa gauche. Du granit, de la pierre et du marbre à perte de vue. Elle tourna dans une allée parallèle et s'arrêta finalement près d'un bloc épuré de granit poli, pailleté de noir et de blanc. Personne aux alentours. Elle caressa la pierre froide, hésita, et finit par s'y asseoir. Les jambes en tailleur, elle retira lentement ses écouteurs et sa capuche. Elle resta quelques instants la tête baissée, les mâchoires contractées, triturant les câbles entre ses doigts. Finalement, elle adressa un regard à la photographie en porcelaine qui lui faisait face.

- Bonjour, papa.

Elle redécouvrit le sourire figé de son père, la fossette malicieuse au creux de sa joue, ses cheveux bouclés, ses pattes et son regard chaleureux caché derrière les verres de ses lunettes.

- Ouais, je sais, ça fait un bail. Tu devais commencer à te demander si j'allais un jour venir, pas vrai ? Deux ans...

Elle ramassa un gravier rond par terre et le fit rouler entre ses doigts avant de l'envoyer ricocher sur les autres. Elle regardait dans toutes les directions hormis celle de son père.

- « De près ou de loin, notre pensée est toujours vers toi » lit-elle sur la stèle de la tombe voisine. Je ne comprends pas pourquoi maman n'a rien voulu écrire sur la tienne. Je suis sûre que t'aurais adoré avoir une épitaphe fun, du genre « le dernier qui respire a gagné » !... Ou alors, je ne sais pas, faire comme Socrate : « Criton, je dois un coq à Esculape. Souvenez-vous de payer ma dette » ! Ça, ça t'aurait plu. Ouais... Je ne voudrais pas t'attrister mais la tienne est vraiment moche. Bon, elle a le mérite de briller plus que les autres. Pour l'instant. Il n'y a pas une fleur dans le quartier qui est encore en vie. « Ci-gisent les natures mortes ! »... Comme si ça n'était déjà pas assez glauque comme ça...

Après quelques secondes de silence, elle se mordit pensivement la lèvre tout en rencontrant pour la deuxième fois le regard bienveillant de son père.

- Bon, je t'ai rapporté quelques trucs, ça devrait te faire plaisir.

Elle s'empressa d'enlever son sac de ses épaules pour en sortir une petite bouteille.

- Tiens, je l'ai ramassé ce matin à la Torche. Y avait des rouleaux de dingue ! T'aurais vu ça...

Elle dispersa du sable fin sur le granit et observa un instant le sourire figé de son père – comme si, l'espace d'un instant, elle espérait le surprendre à s'élargir – avant de plonger sa main dans son sac.

- Roulement de tambour... Des dragibus ! Ouais, je sais, je suis prévisible... Bon, je te fais une faveur et je te laisse les noirs. Tu ne l'avais pas vu venir celle là ! On filera les verts aux voisins, si tant est qu'ils aient encore des dents.

Elle sourit à sa propre remarque et ouvrit son paquet.

- J'espère qu'ils sont sympas, d'ailleurs...

Elle jeta un coup d'œil aux deux tombes voisines tout en mastiquant un bonbon.

- Raymond et Marie. Il semble que tu sois tombé entre deux petits vieux, papa. Je n'imagine pas à quel point tu dois t'ennuyer. Qu'est-ce qu'il y a à faire, ici ? Des tournois d'osselets ?

Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant