Lorsqu'elle détache ses lèvres des miennes, je lui en demande encore :

— Pour me donner le courage d'aller voir ton père...

— T'as pas besoin de courage pour ça, le job te revient de droit !

À regret, je finis par lâcher Agnès qui fonce retrouver son étalon tandis que je traîne des pieds à la recherche de Pierrot. Il n'est pas dans les écuries, bien calmes et silencieuses, peut-être travaille-t-il dans les enclos ?

Je choisis de m'y rendre en moto, heureux de lui montrer le résultat de plusieurs jours de persévérance. J'enfile mon casque plus pour faire plaisir à Loupapé qu'autre chose, sans l'attacher, je ne trouve pas cela vraiment indispensable.

Je ne mets pas longtemps à apercevoir l'homme qui m'a élevé, au milieu d'un champ, tenant au bout de sa longe une jument. Une casquette, vissée sur son crâne qui se dégarnit, le protège du soleil encore haut dans le ciel. Je gare la moto assez loin pour que le moteur ne le dérange pas, puis en retirant le casque, je vérifie le maquillage d'Agnès, selon moi, tout à fait superflu.

Sur le terrain sableux, le cheval piétine d'un pas lent et régulier l'ombre du dresseur. J'admire quelques instants la quiétude du spectacle qui s'offre à moi pendant que le vent du soir se lève en douceur et fait danser les cimes des grands pins autour de l'enclos. Le crissement des branches est toujours agréable, quelques aiguilles se détachent et volent délicatement en faisant des tourbillons avant d'atterrir sur le sol.

Comme je sais le faire, je m'avance à pas de loup, piétinant les pâquerettes et longeant la clôture pour ne pas faire peur au cheval que Pierrot est en train de débourrer. Puis, je guette patiemment qu'il me fasse signe de me rapprocher, ce qu'il ne tarde pas à faire.

Les mains dans les poches, je m'élance en me demandant bien comment je vais formuler cela. Je n'ai pas revu Pierrot depuis qu'il m'a déposé au terrain. Je ne sais pas comment réagir face à lui, et pas seulement à cause de mon coquard. Je suis embarrassé par rapport à mon attitude suite à ses révélations sur mes parents et à mon refus de réintégrer le haras.

J'imagine que l'ancien militaire, toujours raide dans ses bottes attend de moi que je me comporte comme un homme. Il est difficile de connaître ses pensées, il affiche sans cesse un visage impénétrable, dû son éducation ou à sa formation professionnelle. Il doit m'en vouloir de me laisser aller avec mes pleurs et mes jérémiades. Je regrette de ne pas avoir su retenir ce chagrin devant lui, mais je n'ai pas pu encaisser la révélation. Je suis beaucoup trop sensible lorsqu'il s'agit de mes parents. J'ai tant souffert de leur disparition quand j'étais enfant, cela dessine en moi un vide immense. Je dois travailler cette faiblesse, du moins face aux autres.

Le regard de Pierrot se pose directement sur mon coquard. Il a vu ! J'incline aussitôt la tête et me racle la gorge. J'hésite et tourne en rond. Je ne sais quelle attitude adopter, alors je me baisse pour attraper un brin d'herbe et le porte à la bouche.

— C'est Loupapé qui t'envoie ?

— Oui...

— Pour le job, tu serais partant ?

Je valide d'un coup de menton. Pierrot, la tête haute, sourit et me met une tape derrière la nuque, a priori satisfait de lui. Je comprends qu'il m'a bien eu. Je suis victime d'un coup monté entre lui et Loupapé, mais au lieu de leur en vouloir, je suis rassuré et soulagé qu'il ne me tienne pas rigueur de mon refus d'être rentré avec lui au haras.

— Tous les soirs, de dix-sept heures à dix-neuf heures et tu retournes au lycée !

Je n'avais pas prévu cela dans le contrat. Même si ma décision est prise, je suis surpris par l'ordre de Pierrot qui attend ma réponse en me fixant avec sévérité. Je me tiens droit en mimant de regarder un vol d'oiseaux qui passent au-dessus de nos têtes. Je sais qu'il ne me fera pas de cadeau sur ma scolarité.

— D'accord !

— Tu ne demandes pas combien tu seras payé ?

Je hausse les épaules pour lui signifier que cela m'est égal, même si un peu d'argent me serait bénéfique, je suis prêt à venir gratuitement, juste pour le plaisir de traîner au haras.

— Par contre, il faudra changer d'esthéticienne à l'avenir...

J'éclate de rire et le salue de la main avant de repartir le cœur léger et rassuré vers ma moto.

C'est le premier soir où je rentre avant que la nuit ne tombe. Je file droit devant en rêvant d'un avenir serein. Je souris en pensant à celle que j'aime et que je côtoierai quotidiennement, aux moyens que je me donnerai pour réussir au lycée, à l'argent de poche que je vais mettre de côté, au bon temps au haras et à mes parents, toujours présents dans mon esprit. Convaincu qu'un jour je découvrirai ce que cache leur mort, je garde en perspective ma vengeance. Je réhabiliterai leurs mémoires et leur honneur, j'en suis persuadé.

Avant de passer le portail vétuste du terrain, je ralentis et m'arrête sur le bord du chemin. Un gros bosquet de ronces attire mon regard, il fera l'affaire à merveille. Je retire mon casque et choisis de le camoufler ici. J'adore Loupapé et il a tout à fait raison de préconiser la sécurité, mais ce casque flambant neuf va entraîner des jalousies dans le camp. J'ai décidé de me comporter comme l'un des leurs pendant quelque temps, histoire d'en apprendre plus sur le passé, ce n'est pas le moment de me faire remarquer.

SCAR - Pour le plus grand malWhere stories live. Discover now