La Lumière de l'Espoir - Acte 3 - Partie 3

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Même si la forge semblait à première vue s'être rabougrie avec le temps, à l'instar de Beckett, elle avait malgré tout bien vieilli. C'est ainsi que les apprentis n'eurent aucun mal à reprendre leurs marques, et à préparer le dîner. Ils prirent soin d'installer ALYS et Beckett en bonne place, et Beloc s'installa à leurs côtés.

Beckett prenait garde à ne pas laisser ses émotions prendre le pas. La journée, qui s'annonçait comme une énième répétition de toutes celles qui les avaient précédées, l'avait finalement submergé. Tous ces souvenirs, la Championne, le retour de ses apprentis... Il n'aurait pas pensé que l'aventure viendrait le rattraper ici.

Toutefois, la Championne s'avérait être une convive agréable, pleine d'esprit et d'intelligence. Oui, en effet, elle « était » et « n'était pas » la Princesse. Lorsqu'elle évoqua l'existence de l'Intermonde à table, ses apprentis semblèrent tout d'abord parfaitement éberlués par ce qu'elle leur racontait. Lui-même ne s'attendait pas à ce qu'elle le fasse, car ces connaissances lui avaient été transmises jadis par Maître Godo, qui entretenait le plus grand secret autour d'elle.

A l'écouter, il se dit toutefois qu'il n'y avait pas de mystère si grand qu'il ne puisse leur être révélé. Et puis, les histoires qu'elle leur racontait étaient si vibrantes. Elle leur parla de ce monde où les humains et les bêtes avaient comme fusionné, vivants dans une harmonie étrange avec la nature, dans un régime de tribu s'affrontant les uns aux autres. Ou bien encore de cet autre monde comme baigné dans une nuit permanente, et où la lumière de la Lune seule permettait de distinguer les sinistres créatures qui erraient dans la nuit.

ALYS n'évoqua jamais la Conjuration en leur présence, sans doute pour ne pas les inquiéter. Elle se borna, finalement, à leur raconter des aventures hautes en couleur, que, par moment, il la soupçonnait un peu d'embellir.

Et puis, finalement, Beloc lui posa une question qui changea quelque peu la tournure de la conversation :

- Mais, dites-moi ALYS, que signifie le fait que la Princesse était votre « incarnation » ?

Le front d'ALYS sembla s'assombrir quelques instants.

- Et bien, c'est assez compliqué de vous l'expliquer en peu de mots. Disons simplement que U-Topos, le monde dans lequel vous vivez, est une partie d'un plus grand tout. Ce tout s'appelle l'Intermonde, et il est fait de nombreux autres lieux et de nombreuses autres époques. Dans certains mondes, la technologie n'existe tout simplement pas, tandis que d'autres, elle a atteint des niveaux si élevés qu'elle semble tout simplement magique. Dans chacun de ces mondes, une figure gardienne est là pour protéger, préserver ses habitants de la destruction. C'était le cas de la Princesse, qui était la gardienne d'U-Topos, et c'est mon cas également. C'était donc, tout simplement, une de mes incarnations.

Les convives, attablés, s'étaient tous tus pour écouter ALYS, les yeux écarquillés. Beckett, qui avait jadis entendu une révélation similaire, comprenait bien leur sentiment. Comment croire à l'invraisemblable ? Ils s'attendaient manifestement à tout, sauf à ça.

Pourtant, après quelques instants de silence, Beloc dit d'une voix calme.

- Je comprends mieux pourquoi vous disiez, être et ne pas être la Princesse. Pour nous avoir rejoint ici, dans un monde qui vous est parfaitement inconnu, vous devez être une femme d'un grand courage.

ALYS reçut le compliment silencieusement, dissimulant ses doutes du mieux qu'elle pouvait. Elle répondit d'une voix douce.

- Je suis honorée de votre compliment. La Princesse était une personnalité hors du commun, je l'ai bien compris au respect que vous avez pour elle. Je ne suis pas certaine de pouvoir malgré tout me comparer à elle. Mais je vais m'efforcer d'être à la hauteur.

Sur ces mots, le repas reprit, silencieusement. Quelques mots furent échangés sur l'organisation de la journée du lendemain. Au fond de lui, Beckett sentait une chaleur particulière et inexplicable. Revoir tout ce monde, chez lui, après tant d'années... Il ne l'aurait jamais imaginé.

Lorsqu'il rejoint son lit, après le dîner, cette pensée ne le quitta pas. Et si le temps du deuil était achevé ?

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Le lendemain matin, Beckett se sentit soudain empreint d'une sensation de déjà-vu. Cette lumière, dehors... C'était celle du petit matin. Il sortit sur le perron de son atelier, et contempla le disque doré du soleil qui faisait son apparition. Pour la première fois depuis toutes ces années, il prit le temps de savourer ces rayons ambrés qui venaient chauffer sa peau et ses muscles, après la fraiche nuit qui l'avait précédée. La vie semblait reprendre ses droits en lui.

ALYS... La Princesse... Elles avaient cette même énergie en elles. Cette capacité à réchauffer les cœurs. Finalement, qu'il soit un enfant, un homme accompli ou un vieillard, les choses ne changeaient pas autrement qu'en apparence.

Et il ne voulait pas la décevoir. Qui qu'elle soit réellement.

Ses pensées commençaient à tourbillonner en lui, en une myriade de souvenirs. Des souvenirs d'enfance, de ce concours de forge qui l'avait amené à découvrir le secret de l'acier, et à poursuivre son initiation avec Maître Rinpo. De tout ce qui s'en était suivi. De Budo, devenu si puissant, et qui avait sans doute fomenté l'assassinat de la Princesse. De Valor, et du regard de désespoir que celui-ci avait lorsqu'il avait pénétré dans la forge en flammes. Autant de choses qui, de fil en aiguille, semblaient avoir été déterminés par un ensemble de causes inéluctables. Qu'allait-il advenir maintenant ? Allait-il ... ?

- Vous êtes prêt, Maître ?

C'était Beloc. Il se tenait à côté de lui, mais Beckett était tellement absorbé par ses pensées qu'il ne l'avait pas entendu arriver.

- Bien sûr que je suis prêt. Je n'aurais juste... commença-t-il.

- ... Jamais imaginé que la chance de votre vie se présenterait à nouveau ?

Beckett marqua un silence, avant d'acquiescer.

Beloc lui posa la main sur l'épaule :

- Maître, ce qui s'est passé la dernière fois... ne relevait pas de votre responsabilité. Vous n'auriez jamais pu imaginer qu'une telle chose se produirait.

Le vieux Maître secoua alors la tête. :

- Tu as raison. Tout ce qui se passe en ce moment est le signe d'un renouveau.

Après quelques minutes passées à contempler l'aube silencieusement, les deux hommes rentrèrent dans l'atelier. Aucun des deux n'avait pris garde aux nuages noirs qui s'amoncelaient au loin.

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ALYS avait profité de ce moment de solitude pour appeler LEORA.

- Tout va bien, je te dis. Normalement, le rituel permettant de générer l'épée de l'Intermonde devrait avoir lieu aujourd'hui. Après ça, on n'aura plus qu'à décarrer de cette dimension et partir pour la prochaine qu'on nous indique.

La voix inquiète de LEORA se fit plus insistante.

- L'ordinateur de bord maintient pourtant qu'il perçoit un niveau d'activité onirique élevé sur cette planète. C'est comme si le Rêve s'apprêtait à s'ouvrir. Tu sais ce que cela signifie, n'est-ce pas ?

- Oui, je sais ce que tu veux dire LEORA. Un rituel du Sceau va bientôt prendre place.

Elle marqua un silence :

- Ecoute, de toute façon, on ne va rien pouvoir faire tant que nous n'avons pas de quoi les affronter. Alors essaie juste de voir ce que tu peux faire pour m'obtenir des informations sur le lieu du rituel, et dès que je suis équipée, on fonce. C'est compris ?

LEORA acquiesça.

ALYS coupa la communication. Elle se sentait perplexe. D'après ce qu'elle en savait, U-Topos était un lieu sûr, où la Conjuration tenait une place réduite, par rapport à d'autres. Elle finit par hausser les épaules, après tout, c'était ce à quoi elle s'était préparée, en démarrant ce voyage.

La suite des évènements allait toutefois être bien au-delà de toutes ses appréhensions.

Les Chroniques de l'Intermonde I : La Lumière de l'EspoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant