La Lumière de l'Espoir - Acte 2 - Partie 5

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Il aurait été faux de dire que Beckett s'était entraîné toute sa vie pour ce moment. Maître Rinpo, en lui enseignant les arcanes du métier de forgeron, lui avait appris des centaines de techniques qu'ils n'utiliseraient pas dans ce cas présent.

En revanche, toutes les techniques relevant du secret de l'acier tournaient autour de ça.

L'art de forger les pierres d'onirisme.

Avec ces pierres, dont la nature profonde défiait la compréhension, il était possible de créer des ouvrages d'un genre unique, lui avait révélé Maître Rinpo. L'ouvrage suprême recensé par ces techniques ancestrales avait pour nom « l'épée du Champion ». On disait qu'une seule lame de ce genre avait été forgée au cours des siècles passés, par le légendaire Maître Vodo, le fondateur de la lignée des forgerons d'U-Topos, celui-là même qui avait découvert le secret de l'acier.

Bien sûr, Maître Rinpo ne lui avait pas exposé toutes les connaissances qu'il avait appris au cours de cette nuit-là avec Alys, remarqua-t-il en allant se coucher, après son entrevue avec la princesse. En revanche, il avait bien compris que le secret de l'acier reposait sur l'utilisation de ressources qui allaient bien au-delà de la fabrication d'un ouvrage classique. Il fallait pour cela faire appel à des matériaux qui provenaient tous d'un lieu bien spécifique d'U-Topos : de l'amadou des forêts de Tneser à Ulmia, de l'huile à graisser de Kannler, des copeaux de fer de Chacanis... Et bien d'autres, que Beckett s'était à l'époque demandé, comment ce secret avait pu être transmis tant les ingrédients étaient difficiles à réunir.

Il avait dû s'y reprendre à des dizaines, non, des centaines de fois, pour apprendre à maîtriser les techniques spéciales de Maître Rinpo. Le four ne ressemblait plus à un fourneau mais bien davantage à un bûcher, dans lequel un acier normal aurait fondu sans avoir aucune chance de durcir convenablement à nouveau.

- Il manque un matériau final, Beckett, lui avait dit Maître Rinpo alors qu'il passait le cap de sa vingt-cinquième année. Mais celui-là, tu l'auras le jour où tu devras réaliser ton grand ouvrage.

Le vieux Maître, que les années avaient fatigué, se tenait assis sur le perron tandis qu'il discutait avec lui. Beckett le rejoint, ses muscles luisants de transpiration sous ses vêtements de travail.

- Mais, Maître...Sommes-nous d'accord que passé cette étape, c'est bien une épée qu'il s'agit de forger ? Quel métal peut bien supporter une telle chaleur ?

- Beckett, Beckett... Tu le découvriras bientôt, je te le promets.

Une nuance de regret sonna dans sa voix.

- J'aurais aimé que ce soit moi qui m'en occupe. Mais... Je suis beaucoup trop vieux pour ça, maintenant. Et tu maîtrises ces techniques bien mieux que moi, à présent.

Il lui donna une accolade.

- Tu es mon digne héritier, Beckett ! Il n'y a plus rien maintenant qui justifie que je reste à la tête de cette forge. Tu es un Maître à présent, et tout ceci te revient de plein droit.

- Maître Rinpo ! Vous voulez plaisanter ? s'écria Beckett. J'ai encore tellement à apprendre de vous !

- C'est faux, Beckett. Tout ce que je sais, tu sais le faire, et pour l'essentiel mieux que moi. Maintenant, il te faut pratiquer tous les jours pour continuer de t'améliorer et que tu puisses transmettre tes connaissances à un jeune apprenti qui, à son tour, héritera du secret de l'acier. C'est ainsi que fonctionne notre tradition !

Le vieux Maître Rinpo marqua un silence :

- Tu sais, je suis vraiment heureux que ce soit toi mon héritier. Budo n'avait pas la vocation, et Gino... est trop dispersé.

Il se tourna vers Beckett, ses yeux désormais presque aveugles continuant de frétiller derrière ses lunettes.

- Je ne te l'ai jamais dit, mais tu es le vrai fils que j'aurais aimé avoir, Beckett. Et, je te considère comme tel.

Le cœur de celui-ci s'accéléra, il se sentait soudain empli d'un sentiment d'intense tristesse pour le pauvre homme. Celui-ci, au soir de sa vie, avait le cœur empli de regrets.

Alors, Beckett fit un geste qu'il n'aurait jamais envisagé quelques instants plus tôt. Il prit le vieil homme dans ses bras.

- Vous avez toujours été un père pour moi, Maître Rinpo.

Leur étreinte dura longtemps, le vieux maître pleurant silencieusement contre son ancien apprenti.

Quelqu'un d'autre, dans les ténèbres de l'atelier, avait entendu cette conversation. Lui aussi pleurait.

Lorsque le soleil se leva le jour suivant, sur l'atelier du jeune Maître Beckett, Maître Rinpo était mort.

Les Chroniques de l'Intermonde I : La Lumière de l'EspoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant