1*Cassiopée

16 4 0
                                    


« Je pars ». C'est ce que j'avais déclaré à Flo(rian), sans préambule. Il a d'abord cru à une blague, sérieusement, qui partirais de notre quartier de Paris pour aller dans un trou paumé en Ecosse ? Moi, vraisemblablement. Enfin, plutôt ma mère mais je dois la suivre, c'était ça ou.... Rien, en fait. Je n'ai pas eu le choix. C'est ce que j'ai essayé de lui dire, en vain. Il est assez colérique et je ne sais même pas pourquoi je m'en rends compte seulement maintenant. Il me rappelle en criant ce que je me suis dit quelques heures plus tôt, seule dans ma chambre.

Et nos projets ? Même lycée, même fac, on avait même prévu de prendre un appartement ensemble. Enfin, lui avait prévu. Moi, je le suivais en hochant la tête d'un air profondément ennuyé, avant de l'embrasser pour le faire taire. Et pour faire taire aussi la petite voix dans ma tête qui me soufflait : Et pourquoi tu ne lui dis pas, hein ? Tu le fais souffrir encore plus en lui faisant espérer ce qui ne pourrait jamais arriver. Oui, j'avais peur. Peur de le blesser. Je l'aime, mais pas de la façon dont il aimerait, et quoi qu'en dise cette voix dans ma tête, j'ai une grande affection pour lui.

En tout cas, aujourd'hui, je ressens un certain soulagement teinté d'une tristesse tandis qu'il s'époumone devant moi sans me laisser le temps de m'expliquer. Ce devrait plutôt être ma mère qui devrait faire le sale boulot. Ici, elle n'a aucune attache. Depuis dix ans de vie parisienne, elle ne s'est fait aucun ami et ne s'est jamais remise du divorce de mon père. Elle veut retrouver son premier amour, amour de jeunesse, et retourner chez ses parents pour trouver le temps de « se poser et de réfléchir ». Pour moi, c'était déjà tout réfléchis. Jamais je n'irais élever des moutons dans la ferme de mes aïeuls. J'aurais aimé dire que ma mère m'a laissé le choix, que j'ai longuement pesé le pour et le contre, avant de délivrer ma décision à celle-ci, qui attendait patiemment mon feu vert. Mais ce serait faux. Elle m'a dit qu'on retournait à nos origines, que je n'avais pas le choix et qu'elle me traînerait de force s'il le faut.

Soit, qu'il en soit ainsi. Je suis condamnée à expliquer aux deux personnes les plus importantes de ma vie à ce jour que je dois les quitter, pour aucune raison valable si ce n'est l'asociabilité de ma génitrice.

D'un mouvement qui me fait sursauter, Flo envois valdinguer sa canette de bière qu'il tenait dans la main et pars sans me dire un seul mot de plus. Assise sur le trottoir devant chez lui, je soupire et passe mes mains sur mon visage. Mon portable vibre et me sors de ma léthargie. C'est Briana, ma meilleure amie. Nous avons convenu de nous voir chez elle sur son toit, pour que je lui parle. Elle m'envoie un texto pour me rappeler notre rendez-vous. Alors, en soufflant, je m'élance sous les gouttes de pluie pour la rejoindre.

Maintenant que je l'ai fait une fois, ça devrait être plus facile non ? Et bien non. C'est justement parce que j'ai pus voir la réaction de Flo que j'ai peur de celle de Briana. Elle me regarde justement d'un air pincé en rajustant sa serviette sous ses fesses. En maillot de bain, dehors sous 15 degrés sur son toit, telle est l'activité favorite de Briana. Elle se racle la gorge et balance ses longs cheveux blonds et soyeux sur son épaule en attendant que je me décide. Elle n'a pas beaucoup de patience. Je me jette à l'eau :

-Briana, je pars.

Je sais à l'instant même où les mots ont quitté ma bouche que j'aurais dus mettre plus de subtilité dans ma déclaration. Autant Florian ne s'en préoccupait pas outre mesure, mais Briana est plus sensible et intelligente qu'elle en a l'air. Elle me regarde bouche bée et me dis d'une voix étranglée :

- Qu .... Quoi ? Où ? Quand ? Mais . . .Pourquoi ?

Je lui réponds d'une voix que j'espère posée et sur d'elle :

-Ma mère, ma charmante et douce mère, a décidé de revenir aux sources et de partir dans le trou du cul du monde. En...Ecosse ! Je lâche un rire trop aigu pour paraître sincère. Alors voilà, je pars dans quelques jours. On ne se verra plus et je vais devoir tout recommencer de zéro. Bienvenue dans mon monde !

Elle me prend dans ses bras et je suis assaillis par son odeur, une odeur d'huile bronzante et de shampoing pour les cheveux. Une odeur si familière qui va me devenir si étrangère quand j'aurais quitté Paris. Elle me regarde de ses yeux de biche marrons, si expressifs en cet instant qu'il vaut presque toutes les paroles du monde. Ils me disent qu'ils sont désolés, autant pour moi que pour elle, que tout va s'arranger, que je ne m'inquiète pas pour elle mais aussi qu'elle veut me découper en petits morceaux. Elle me frappe de son poing, une frappe sensée être amicale mais qui me déstabilise car elle contient toute la rage que Briana veut contenir. Elle me demande si j'ai prévenue Florian alors bien sur je lui dit que oui, mais en omettant la vérité que j'étais un petit peu soulagé de voir notre histoire finir. Elle me fixe et me dit :

-Tu n'étais pas vraiment amoureuse de lui, j'me trompe ?

Tandis que j'hésite à lui répondre, ses doigts manucurés pianotent sur le sol de son toit. J'opte pour la franchise :

-Non, pas vraiment. Avoue-je en haussant les épaules mais en évitant son regard. Elle n'est pas dupe et me dis encore :

-Donc si je te dis que je suis presque sûr que tu étais soulagée au moment de lui dire, j'ai raison ?

-Oui, souffle-je. Je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé mais j'avais peur que.... (Peur de quoi, exactement ?) Peur que tu lui dises et qu'il me lâche.

Florian était mon pilier, mon filet de secours si jamais je déconnais trop. Avant lui et Briana, je faisais pas mal de conneries mais depuis quelques années, j'étais bien. Alors l'idée qu'il pouvait savoir que je n'éprouvais pas de vrais sentiments pour lui m'effrayait. Au revoir, mon avenir tout tracé. Au revoir, les décisions que je n'avais pas à prendre. Au revoir, ma stabilité. Et bonjour la responsabilité. Vous comprenez ? Oui, vous allez me juger et me dire que je suis une froussarde. Mais pas encore, s'il vous plait. Attendez un peu avant d'émettre un jugement. Avec Briana, nous avons convenus qu'elle passerait les jours suivants chez moi pour m'aider à faire les cartons et pour profiter des derniers instants de ma vie à Paris avec elle.

Après un dernier câlin, je la quitte sous la pluie qui a commencé à sévir. Je ruisselle lorsque j'arrive à la maison, un appartement au-dessus d'un restaurant chinois, au 13e arrondissement. Notre maison ressemble à tout autre appartement minuscule de Paris. Ma mère a fait plusieurs boulots, elle les enchaînait de fait qu'on n'était pas riche, mais jamais à cours d'argent. En ce moment elle est secrétaire dans un cabinet de vétérinaire et parfois aide au restaurant quand il a besoin de mains d'œuvre. Notre porte d'entrée débouche directement sur notre minuscule cuisine, encombré de cartons maintenant, équipé du strict minimum. Maman n'aime pas entreposée les affaires, alors elle jette ou vends. Tout le temps. De sorte que notre appartement, vus de l'intérieur, ne parait pas si petit. Notre salon, adjacent à notre cuisine est lui aussi très épuré. La petite salle de bain, pourvu d'un lavabo, d'une douche, d'un toilet et d'un miroir, se situe entre nos deux chambres. Les deux seules chambres de notre appartement. Celle de maman est à l'image de tout notre appartement ; dépourvue de choses inutiles. Quant à la mienne, ne vaut pas mieux s'aventurer dedans car vous serez aussi vite enfouillis dans la montagne d'objet que j'ai accumulé que dans des sables mouvants. A défaut d'avoir un appartement plein de vie, ma chambre était mon refuge et mon entre secrète. De toute façon, elle ne sera plus de ce monde dans quelques jours alors pourquoi m'attardais autant sur cette description ? Je bute sur un carton de vaisselle et je jure en me tenant les orteils. Ma mère arrive à ce moment-là, comme si elle avait senti que quelqu'un proférait des insultes dans son humble demeure de la rue. Elle se déchaussa et mis ses chaussures perpendiculairement sur le paillasson. Elle enleva les clés de la serrure, pour les mettre sur un crochet au-dessus du radiateur. Elle me donna son blouson pour que je puisse le mettre sur le porte manteau dans le salon. Et seulement après elle me dit :

-Pas d'insulte ici, Cassiopée. Je t'ai élevé mieux que ça.

Elle remit une de ses mèches d'un roux passé derrière son oreille et m'adressa un sourire triste. Elle ne m'adressait que des sourires tristes depuis qu'elle avait décidé seul le déménagement. Je ne le lui rendis pas et leva les yeux au ciel avant de me diriger vers ma chambre.

-Cassie ! M'appela-t-elle. Qu'as-tu fait à tes cheveux ??

Elle m'observa attentivement d'un air inquiet. Pour une fois, je lui lançai un des sourires tristes pour lesquelles elle a le secret et lui répondis :

-Tu voulais un nouveau départ, non ? je me mets dans ton optique maman et je me suis dit qu'un changement de coiffure pourrait très bien incarner ce changement ! Tu devrais essayer, c'est très libérateur.

Et je sortis de la pièce.

CassiopeiaWhere stories live. Discover now