Everybody ! Tobe tobe ! [Reiki]

156 2 0
                                    

Gattobe, tobe tobe ! 

Everybody ! Tobe tobe !

Le gramophone usé passait sa musique en zippant une ligne sur deux, ajoutant son charme rétro et vintage à la chanson de Saki. Everybody ! Tobe tobe !

Elle se passa la main sur le visage, drainant un peu de son maquillage d'humaine de sa sueur. Être sous les spotlights n'était pas éprouvant que pour les nerfs, même si ceux-ci étaient bien abîmés. Elle avait croisé dans la foule de ce soir le regard d'un profond améthyste de Reiko. Pas des plus faciles de se détendre sur scène quand votre amie-de-toujours-avec-qui-vous-ne-pouvez-plus-rien-partager-car-vous-êtes-un-zombie vous fixe de ses grands yeux émerveillés que vous trouviez si beaux, et ce à peu près vingt-et-un ans après la dernière fois que vous vous êtes vues, juste avant votre mort violente et inattendue. 

Saki grimaça. Ouais. Pire situation à avoir jamais existé.

Elle aurait donné cher pourtant pour revivre aux côtés de sa meilleure amie, pour partager à nouveau ces moments si particuliers, cette complicité qui aurait pu se passer de paroles si ses protagonistes n'étaient pas deux grandes gueules infermables, ces ailes de poulet frit partagées au drive-in tori, ces petites disputes insignifiantes avec le sourire, et tous ces autres milliers de souvenirs qu'elles avaient partagé pendant ces quelques années où elles avaient roulé côté à côté sur le grand chemin de la vie... jusqu'à ce que Saki crève. Alors Reiko était resté seule, roulant au pas, puis plus du tout. Elle avait jeté son manteau de chef de Dorami, donné sa place à une autre, et s'était barrée du clan. Elle avait suivi son rêve, fondé une famille normale, avec un mari aimant bien qu'un peu absent et une petite fille sage et mignonne qu'elle remerciait chaque jour d'être née, même si elle commençait à mal tourner. Reiko avait tout pour être heureuse. Mais...

Mais voilà, il lui manquait Saki à ses côtés. Il lui manquait cette petite étincelle plus folle qu'elle, cette boule d'énergie blonde pétillante et râleuse, cette jolie nana aux cheveux à moitié teints qui n'aimait rien plus que la moto, le poulet frit et son tamagochi. Mais bon, on ne peut pas ramener les morts, n'est pas ? Alors Reiko avait continué son bonhomme de chemin comme elle pouvait, sans son amie pour la soutenir et l'épauler. Elle avait mené la barque de sa vie normale entre les rocher de l'amour fané, de la désillusion, de l'alcoolisme et de la dépravation, mais s'était échouée sur le pire d'entre tous. Désir. Son mari l'avait quittée pour une femme plus jolie, ne lui laissant que la petite Maria et peu d'argent pour l'élever. Mais Reiko avait continué sa vie comme elle le pouvait, offrant à Maria tout ce qu'elle avait voulu lui offrir. 

Et puis ce jour funeste était arrivé. Sa fille s'était fait la malle pour affronter des délinquantes d'un clan rival sur le mont Kagamiyama à moto, à l'endroit précis où son ancienne amie avait trouvé la mort. Et la jeune fille qui s'était pointée à temps pour sauver les miches de son irresponsable de fille était le sosie parfait de Saki. Même voix. Même longue queue de cheval blonde striée de vert et de rouge. Même air de défi face à la mort. Même mots. Et elle y avait cru, imbécile qu'elle était. Elle l'avait appelée par le nom de son amie disparue. Et la réalité avait repris ses droits sur son cœur. Bien sûr que ce n'était pas Saki. La jeune inconnue avait dix-huit ans à peine, si elle vivait encore, Saki en aurait presque quarante désormais. Alors Reiko avait remballé ses états d'âme, giflé cette petite impertinente, et ramené sa fille en sécurité. Mais, lors du concert où elles étaient allées plus par politesse envers celle qui avait sauvé la mise à Dorami que réelle envie musicale, elle avait été subjuguée. Elle ressemblait tellement à Saki ! Même beauté tomboy qu'elle enviait à l'époque, même voix sublime qui roulait les R, même putain de style dans une veste du clan ! Mais ce n'était pas Saki. Alors tant pis.

~

Même à la réflexion, Saki ne comprenait toujours pas ce que lui avait dit Reiko peu avant sa mort. "Une famille banale", qu'est-ce que ça voulait donc dire ? Un mari, un ou deux beaux enfants bien sage, sans doute. Elle soupira et se laissa tomber pesamment dans un des fauteuils du manoir. C'est vrai qu'avec ses longs cheveux blonds à moitié teints, sa langue bien pendue et son caractère de cochon, elle n'était pas banale, elle. Dorami était sans doute trop atypique pour elle si elle l'avait quitté suffisamment tôt pour laisser le temps au gang d'avoir sept autres chefs. Mais elle ne lui en voulait pas. Aussi égocentrique que ça puisse sonner, elle savait qu'elle comptait assez pour Reiko pour que sa mort lui fasse perdre toute volonté de s'investir dans le clan. Sans sa fidèle seconde à ses côtés, Dorami aurait été bien fade pour elle. Et puis c'était bien pour elle, elle avait pu poursuivre son rêve d'une famille normale. Normale... L'inverse précise de Saki. N'était-elle pas assez normale pour Reiko ? Trop bizarre, trop différente, trop elle ?

Elle passa lentement une main dans ses cheveux. Ouais. Sans doute ça. Elle n'était pas assez normale pour être digne de Reiko. Mais bon. Ça faisait plus de vingt ans. A quoi bon se torturer en pensant au passé ? 

Saki se leva, étira ses muscles douloureux après le concert de la soirée, et monta dans les étages du manoir pour aller se coucher, ne prenant pas la peine de se démaquiller. Cependant, alors qu'elle tentait de s'endormir, un peu de maquillage couleur chair coula sous ses yeux.

Recueil d'OSOnde as histórias ganham vida. Descobre agora